Une entreprise qui se voulait « éthique »…
Distribuer de l’argent dans la rue à des fins publicitaires, provoquer une émeute et s’en étonner... Face à tant de cynisme, il faut que justice passe pour éviter que ce type d’opération marketing assez scandaleuse ne se reproduise. Et dire que l’entreprise à l’origine de l’opération se vante d’être « éthique ». Mais les mots ont-ils encore un sens ?
Tout le monde aura vu les images spectaculaires de cette quasi-émeute au cœur du très chic 7e arrondissement parisien samedi dernier. La foule rassemblée, attirée par la promotion d’un annonceur sur internet promettant la distribution d’enveloppes de billet… pour créer le buzz et faire connaître les mérites du « cashback ». L’opération a finalement été annulée par les organisateurs pour des « raisons de sécurité » devant l’afflux de milliers de personnes.
D’abord, un profond sentiment de dégoût devant la désinvolture de quelques marketeux en mal d’idées pour se faire de la promo. Distribuer de l’argent dans la rue à des fins publicitaires alors que tant de gens ont du mal à boucler leurs fins de mois, n’est-ce pas du cynisme pur et simple ? Qui ne serait tenté de mordre à l’hameçon et de faire indirectement la promotion de l’organisateur de l’opération ? Mailorama se frotte les mains, on parle de cette société, ses dirigeants passent à la télé. Ecoeurant… La seule réponse possible passe par la justice. Une justice qui doit faire en sorte que de telles initiatives soient fermement réprimées puisqu’il est de toute façon interdit de distribuer de l’argent dans la rue sous couvert de publicité. La moindre des choses est bien que cette entreprise paye les frais occasionnés par l’émeute (bris de vitrines, voitures renversées etc.). Christophe Barbier, le pourtant peu rebelle directeur de la rédaction de L’Express, va jusqu’à réclamer l’interdiction d’exercer de cette société. Je partage son indignation mais cette solution radicale n’est peut-être pas si pertinente. On parle de morale et d’éthique, pas d’interdire de travailler à des jeunes loups qui se feraient passer pour des martyrs, ce qu’ils ne méritent pas.
Derrière Mailorama, se trouve la société Rentabiliweb, le spécialiste de la monétisation des audiences numériques. Cotée en Bourse, Rentabiliweb est dirigée par un drôle de loustic en la personne de Jean-François Descroix-Vernier. Un personnage excentrique qui vit en ermite sur une péniche à Amsterdam où en bon big brother contemporain il surveille en temps réel le travail de ses collaborateurs sans jamais les voir. Tout vêtu de noir, le teint blafard, il porte des dreadlocks et s’intéresse à la théologie. Après tout, là n’est pas le problème. En revanche, on se pince quand il n’hésite pas à écrire sur son site : « Rentabiliweb, c’est une véritable déontologie dans la fourniture de services et de contenus de divertissement. C’est une morale, une éthique, quel que soit le secteur concerné, c’est une recherche permanente de sécurité et de qualité. »
C’est surtout de la langue de bois digne de la RDA d’Erich Honecker. Une morale, une éthique ? Ben voyons, une organisation caritative dont une filiale distribue de l’argent à quelques gentils internautes (après les GO du Club Med, les GI…) dans les rues de Paris au risque de provoquer une émeute. Belle conception de l’éthique ! Ce jeune patron audacieux et désintéressé mérite sans nul doute le prix Nobel de la paix. Malgré son look de patron-rebelle qui ne fait pas le moine, Descroix-Vernier sait aussi bien s’entourer. Il compte à son conseil d’administration des personnalités aussi éminentes qu’Alain Madelin et Jean-Marie Messier tandis que Bernard Arnault (LVMH) et Stéphane Courbit (ex-Endemol, la société qui a produit le triste et pathétique Loft Story) sont également présents à son capital. Il a trouvé ses parrains. Voici donc la relève néolibérale adoubée par ses maîtres. Il ne manquerait plus que Paul-Loup Sulitzer pour parachever le tout. Et Alain Minc ? Pourquoi il n’est pas là lui aussi ? Peut-être trop banquier d’affaires à l’ancienne.
Sur le site de Rentabiliweb, la direction s’est fendue d’un communiqué pour déplorer les incidents de samedi. « Rentabiliweb est consternée de voir qu’une opération festive (sic) peut-être organisé sans aucun trouble à l’ordre public au Canada ou aux Etats-Unis, mais ne peut apparemment pas l’être en France. » Puisque cela se fait outre-Atlantique sans problème, cela est forcément bien, à importer d’urgence dans notre vieux pays. Ah ces ringards de Français ! Pourquoi ne pas faire tout comme les Américains ? On serait tellement plus heureux puisqu’il s’agissait d’une opération festive. En somme, ceux qui osent critiquer sont des rabat-joie. Conseil de lecture : lire ou relire Festivus Festivus du regretté Philippe Muray écrit en collaboration avec la journaliste Elisabeth Lévy. Un essai pas toujours nuancé mais vivifiant…
Dieu merci, l’Amérique n’est pas un bloc uniforme de consommateurs matérialistes. Il y a une autre Amérique qui se bat pour faire adopter par exemple un système de santé digne de ce nom. Les évènements de samedi dernier doivent simplement nous interpeller sur les dérives de certaines pratiques publicitaires et marketing. Non, la quête du profit et de la notoriété ne doit pas tout justifier. Non une économie de marché avec des entreprises performantes et responsables ne doit pas forcément se confondre avec ce modèle de société néolibérale que certains veulent à tout prix imposer en France. En somme, je reprendrais l’expression judicieuse de Jospin : « Oui à l’économie de marché, non à la société de marché ». Car le plus atterrant est finalement que les dirigeants de Mailorama ne trouvent rien à redire à ces pratiques. Espérons que la justice aura la possibilité de leur donner un petit cours de civisme assorti d’une amende exemplaire et dissuasive pour que ce genre d’opérations grotesques ne se reproduise plus.
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