Une France décadente présidée par un synthétique Sarkozy
Cette année 2007 aura vu se dessiner une France aux contours inédits, dévoilés à l’occasion d’une campagne présidentielle chargée en émotions et en couleurs mais que le politologue aura trouvée, à juste raison, un peu courte, question idées. Le politologue a aussi déclaré que les lignes ont bougé. C’est vrai. Avec cette percée de François Bayrou et les piètres résultats des formations aux marges, FN à droite, anticapitalistes à gauche. On a dit par ailleurs que la droite s’est décomplexée, avec un discours bien ficelé servi par un Sarkozy dopé par la course à l’Elysée et la victoire pressentie, alors que Ségolène Royal aurait dépoussiéré le PS de ses éléphantesques dirigeants formés à l’école mitterrandienne. Et donc, une campagne rajeunie, apparemment modernisée, ajustée pour une France que les médias autorisés ont décrétée en désir de rupture. Ces médias qui, de miroir des Français, se sont institués porte-parole des Français, de manière unilatérale. Au temps du Général, l’ORTF incarnait la voix de la France. En 2007, les chaînes publiques relayent les émotions, les désirs, les craintes, les opinions des Français. Ainsi, la voix de la Nation est devenue aussi la voix de l’émotion populaire, d’une "sousFrance".
Les médias participent indéniablement à la production d’une représentation du monde pour ceux qui les regardent. Les médias, devenus populaires, voire populistes, osent tout et c’est à ça qu’on les reconnaît, comme aurait pu dire Audiard. Un fait divers et nous aurons une interview du neveu du concierge qui a été le témoin direct d’un horrible fait divers. Les médias, ça ose parler des cellules psychologiques. Dès qu’un événement affecte une masse critique d’individus, il est indispensable de préciser qu’une cellule psychologique a été dépêchée pour une prise en charge. Les médias, ça ose tout et pourtant, on ne les reconnaît plus. Le temps d’Albert Londres et du Washington Post est révolu. Le monde a changé, la France avec. Mais ne jouons pas les innocents. Cette France n’est pas inédite. Elle est assez proche de celle de 1995. Disons, pour reprendre une notion triviale, que le monde politique a fait son aggiornamento. Dans le langage techno-saxon, on parlerait d’un update et en bon français, d’une réactualisation ou alors d’une mise à jour. Maître Sarko a réussi la mise à jour de l’UMP et Maîtresse Ségo a raté l’opération sur le PS.
Au résultat, Sarkozy assume avec prestance et agilité une présidence endiablée, se mettant en phase avec une France briefée par les médias de masse. Ceux qui osent tout, y compris affirmer que le crédit d’impôts promis pour les acquéreurs entre 2002 et 2007 est une mesure populaire, appréciée des Français, alors qu’elle ne touche que 2 à 3 % des ménages. Mais cette rupture, avérée ou imaginée, n’est pas de nature à restaurer la confiance des Français en eux-mêmes, ni d’ailleurs en leurs dirigeants, même si l’ouverture laisse présager une politique inédite. La France doute et, comme bien des fois, se contemple dans le miroir du déclin. La grande conjuration promise par Sarkozy devrait accoucher d’une souris semble-t-il. Quelle est la situation exacte de la France sur le plan social, psychique et politique ? Voilà une question qui doit faire débat. Le social, la confiance et l’énergie, la rage de travailler, voilà un premier thème, auquel on ajoutera le thème d’un pays sortant de la dépression nerveuse grâce à un Sarkozy intronisé psychiatre de la Nation, quant au politique, on aura deviné qu’il sera question d’ouverture.
Je crains cependant que les réponses ne soient pas à la hauteur de ce que la pensée veut connaître sur la France. Si bien qu’une interrogation plus radicale devrait voir le jour, et s’il y a lieu, inspirer une politique elle aussi inscrite dans la radicalité, comme par le passé, avec un radicalisme mis à jour, actualisé. Affaire à suivre. La question porte sur l’état de la France en termes de civilisation. Une question posée notamment à la fin du XIXe siècle. Sans que les protagonistes se soient entendus sur ce que sous-entend cette notion de civilisation. Et à la clé, une sérieuse divergence entre l’Allemagne et la France. Tandis que quelques âmes inquiètes en appelaient à la rigueur de l’esprit germanique afin de lutter contre les faiblesses du Sud, ses cultures latines, indolentes, jugées comme autant de dérives vers la décadence.
Décadence, le mot est lâché, livré comme une équation axiologique et sociologique déterminant pour une part la courbe du développement de l’Occident. La question de la décadence ne date pas d’hier. Les historiens ont longtemps associé déclin et décadence, notamment en associant ces deux notions pour expliciter la chute de l’Empire romain. Brièvement, la décadence, dans son acception moderne, décrit des tendances sociales puissantes, où se dessinent plusieurs phénomènes entrelacés, les penchants hédonistes, la perte des valeurs morales, des vertus, le délitement social, la sclérose de la spiritualité, exprimée notamment dans les sphères esthétiques. Un auteur subtil a dit que les Etats-Unis étaient passés de la préhistoire à la décadence, sans passer par le stade de la civilisation, contrairement aux sociétés antiques ou aux nations européennes modernes. Le propos est certes exagéré mais il a le mérite de faire débat ; d’autant plus que les States sont en phase avec le modernisme de bien des nations, notamment celles à la technique avancée et surtout cette France qui s’américanise lentement mais sûrement, à l’insu d’une opinion croyant encore à l’exception française. L’Italie a précédé la France dans cette américanisation qu’on dira décadente.
Les cons, ça n’ose pas tout, contrairement à ce qu’énonce la réplique d’Audiard. Mais les décadents, ça ose tout et c’est à ça qu’on les reconnaît. Pendant la Belle Epoque, les dandys, souvent rentiers, incarnèrent une forme aristocratique de décadence, refusant les valeurs bourgeoises, la propriété, le souci de la famille, de l’héritage, de la petite entreprise. Mais de nos jours, la décadence a pris d’autres formes. Disons qu’il y en a pour tous les goûts et les niveaux sociaux. Le jeune actif trentenaire alcoolisé sur son canapé face au foot sur l’écran et à la table de salon où il se nourrit de produits industriels édulcorés est à sa manière décadent. Les nouvelles élites analysées par Lasch sont décadentes. Comme ceux qui vont écouter Chantal Goya ou Daniel Gérard parce que c’est branché, ou encore les gesticulations sur les chars de la Gay pride, ou enfin les supporters de...
Mais ne condamnons pas la décadence, gardons-nous de juger car tous, nous pouvons prendre quelques traits décadents. Certes, la décadence est le signe de quelques travers sociaux, d’un relâchement, d’un échec de civilisation, mais c’est aussi la marque des sociétés libérales, tolérantes, modernes, techniquement avancées. Les régimes politiques qui se sont attaqué à la décadence ne sont pas recommandés. Le nazisme et le stalinisme en donnent un exemple édifiant. De nos jours, ce sont les Talibans qui, au nom de l’instauration de valeurs suprêmes interprétées à partir d’un Livre écrit il y a 14 siècles, se réclament du combat contre un Occident jugé décadent.
Les contours de la civilisation technicienne libérale se forgent avec le progrès technique, les valeurs, l’ordre, la sécurité, la propriété, la culture, l’art d’exister, l’art de créer, de s’élever vers les sommets des grandes œuvres ou de basculer vers la décadence qui elle aussi, peut donner lieu à esthétique, mais plutôt kitsch. Notre France de 2007, elle est un peu l’archétype des nations avancées. Elle donne des signes de décadence, avec des attitudes sans conséquences, autant que des incivilités et des violences, mais les pouvoirs en place tentent de lutter contre les tendances les plus « nocives » tout en maintenant les prérogatives libérales car le marché de la décadence pèse lourd et l’abrutissement des masses - par les médias qui osent tout - alimente les fonds de pensions pour les seniors.
La décadence, un signe des temps modernes, un phénomène qu’on ne doit ni condamner ni encenser. Si on la condamne, alors on a l’alternative totalitaire, despotique, mais si on l’ignore, on passe à côté d’un destin de civilisation. Pour l’instant, saluons le président Sarkozy, qui, osant filer sur un jet pour atterrir sur un yacht, juste après son élection, a osé et c’est à ça qu’on le reconnaît, avec son zeste de décadence parfaitement assumé, puisque le personnage paraît plus complexe et qu’en matière de gouvernance, il semble assumer son programme d’ordre et de sécurité. Sarkozy, un président de la synthèse, dont la devise est travail, progrès technique, fric, rigueur, ordre et décadence.
Quant au PS, il n’a pas su voir que la décadence le minait de l’intérieur, lentement, depuis longtemps. Je me suis souvent demandé comment décrire le verbe de François Hollande. Eh bien Hollande a le verbe et la gestuelle décadente. Il ose faire le pitre. Les incantations de la diva Ségolène n’ont pu masquer aux yeux des Français cet état de délitement du PS. Si bien que le président élu a été le plus sérieux des décadents, le plus rassurant, ce qui explique entre autres le vote des retraités. Ainsi, nous portons un autre regard sur cette France qui n’est pas en déclin mais assume avec sérieux ses multiples décadences, avec notamment ces chaînes qui osent tout et ces commentaires à hauteur du QI de collégien.
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