Une France libérée de son propre peuple, grâce à Charles de Gaulle
En novembre 1943, Pierre Mendès France avait été nommé, par Charles de Gaulle, commissaire aux Finances du Comité Français de la Libération Nationale. Il allait devoir préparer les dispositions à prendre au fur et à mesure de la libération du territoire et durant les premiers mois, voire les premières années, de paix. En fait, il ne serait qu’un écran… Au-delà du sien, un plan avait été préparé par René Pleven… l’homme des États‒Uniens. Ayant utilisé Pierre Mendès France pendant dix-huit mois (novembre 1943 - 2 avril 1945) comme une vitrine apte à rassurer la Résistance par les mesures radicales qu’il proposait de prendre, De Gaulle mettrait finalement en œuvre le plan… Pleven.
L’ensemble de la collaboration économique avec l’Allemagne hitlérienne telle qu’elle s’était incrustée dans l’ensemble du pays ‒ et spécialement dans la zone Nord ‒ échapperait à toute sanction. Seules quelques parties trop visibles, et triées sur le volet, allaient suffire ‒ en subissant des foudres d’autant plus visibles qu’elles s’accompagnaient d’un parfum de scandale ‒ à calmer la vindicte populaire.
En lui-même, le crime de collaboration économique est une parfaite illustration de ce qui, en des temps normaux, n’en est pas moins présent. Ce n’est que l’affichage qui diffère sur le mur de l’habitude… Actuellement, rien ne nous choque vraiment, en France. On expulse, de-ci, de-là… Rien que de très normal, sans doute. Il paraît qu’ici ou là, on visite les poubelles, celles des hypermarchés, par exemple… pour nourrir hommes, femmes et enfants.
Mais lorsque nous lisons le courrier échangé par deux anciens officiers d’ordonnance du général de Gaulle, en novembre 1943, l’un l'écrivant depuis Paris ‒ Claude Bouchinet-Serreulles ‒, l’autre le recevant à Londres ‒ Geoffroy Chodron de Courcel ‒, il y a comme quelque chose d’insoutenable. La seconde guerre mondiale a décidément été une guerre de classes, à l’intérieur même de notre pays. Les fusils y étaient. Ils étaient allemands. Et c’était bien eux qui organisaient, de près ou de loin, la belle économie du marché noir que voici dans tous ses états, ainsi que l’écrit Claude Bouchinet-Serreulles, l’un des derniers hommes à avoir vu Jean Moulin vivant :
« Jamais, chez ceux qui possèdent, le désir de jouissance n’a été plus exacerbé ni plus provocant. Jamais, pour les autres, la misère ne fut, par contraste, plus douloureuse. Puisque c’est sur l’alimentation que portent d’abord les restrictions, tout le souci des profiteurs est de manger davantage encore et plus grassement qu’autrefois. S’empiffrer est à la mode et le fin mot du snobisme est de mourir d’indigestion. Rue Royale, chaque soir, des voitures et des fiacres, dont la file s’allonge jusqu’au boulevard Malesherbes, attendent pour les porter jusqu’à leur lit des clients que leur panse trop pleine empêche de marcher. Maxim’s restera comme le symptôme de cette période scandaleuse. » (Claude Bouchinet-Serreulles, page 396)
Voilà pour la capitale… Et voici pour le reste…
« Mais dans toutes nos villes, il est d’innombrables Maxim’s clandestins et sordides, où, sur le marbre, à la lumière d’un bec Auer, les initiés, munis du mot de passe, viennent engouffrer des foies gras à cinq cents francs la portion. Et ces festins noirs se prolongent jusqu’à l’aube tandis que dehors les femmes du quartier font la queue dans l’espoir de quelques choux‒raves ou d’une poignée de radis. Voilà pourquoi les Français réclament des sanctions. » (page 397)
Des sanctions économiques ? Avec Pierre Mendès France : oui. Avec René Pleven : non.
Et De Gaulle ? Que va-t-il choisir ?
C’est à Claude Bouchinet-Serreulles d’anticiper sur sa réponse. Car, dès septembre 1944, elle était déjà là… Elle avait pris la forme du discours prononcé par le chef du Gouvernement provisoire au palais de Chaillot. Voici ce que nous en dit celui qui, quelques temps plus tôt, côtoyait quotidiennement et de façon tout ce qu’il y a de plus rapprochée, le grand homme :
« Le discours du général de Gaulle est déjà terminé et je trouve une salle en pleine ébullition. Tous les anciens camarades sont là, issus des mouvements, du C.N.R. ou de l’ex-délégation. Tous sont consternés et l’atmosphère est tendue. Il y a là Lucie Aubrac, Georges Bidault, au visage blême. "C’est atroce" me dit Pascal Copeau. "De Gaulle a trahi la Résistance", déclare un autre. Tous ont l’air de suivre un corbillard. "C’est l’esprit de la Résistance qu’on veut tuer" murmure un jeune homme. » (page 371)
Quant au sens politique profond de cette "trahison" clairement affichée en ce 12 septembre 1944 au palais de Chaillot, il est dans la logique du crime perpétré contre Jean Moulin le 21 juin 1943. Claude Bouchinet-Serreulles écrit :
« Je réalise que le discours du Général a mis le feu aux poudres ; il a en fait adressé une fin de non‒recevoir aux espoirs de la Résistance de jouer un rôle politique immédiat et a consacré le décès politique du C.N.R. [Conseil National de la Résistance souverain, créé et présidé durant vingt-cinq jours ‒ 27 mai - 21 juin 1943 ‒ par Jean Moulin], qui avait cru pouvoir lui disputer, l’espace d’un instant, l’autorité suprême. De Gaulle a opposé aux rêves du C.N.R. la dure réalité de l’autorité restaurée de l’État. » (page 371)
L’État bourgeois ‒ maintenu autant par Vichy que par la présence allemande… L’État français d’aujourd’hui, étayé tout simplement sur la bonne et belle bourgeoisie allemande, du fait de la politique têtue et inepte d’un… Charles de Gaulle qui nous aura, toutes et tous, laissé(e)s sans voix par la grâce de la mort provoquée de Jean Moulin, et par cette Constitution de 1958 qui nous étrangle à n’en plus finir.
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