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Accueil du site > Tribune Libre > Une France qu’il faut arracher des mains du peuple français, de peur (...)

Une France qu’il faut arracher des mains du peuple français, de peur qu’il ne nous la casse

Fatigué de la politique active, André Tardieu décida de rompre, et de mettre par écrit les leçons qu’il pensait pouvoir tirer de cette expérience malheureuse qui l’avait fait passer de l’enthousiasme pour le rêve américain à la réalité cruelle d’une crise économique qui paraissait devoir tout balayer sur son passage.

Nous le retrouvons volontairement désœuvré en 1936, et livré à l’emprise de sa réflexion politique :
« Dans l’instant que j’aborde cette grande entreprise, j’abandonne, pour la mieux mener, le mandat parlementaire que j’exerce depuis vingt années et qui m’a valu, soit dans la guerre, soit dans la paix, dix ans passés au gouvernement, onze fois comme ministre, trois fois comme président du Conseil. » (André Tardieu, La Révolution à refaire, tome I, Flammarion 1936, page 8)

Comme on le voit, son temps aura été partagé en deux moitiés sensiblement égales : l’une du côté législatif, l’autre du côté exécutif. Le bilan qu’il établit n’en ressort qu’avec plus d’éclat :
« J’ai cessé de croire à la possibilité, soit pour la France de tolérer, soit pour les Chambres de corriger le régime sous lequel vit la France. » (page 8)

Mais, dans l’une et l’autre formule, de quelle " France " pouvait-il effectivement s’agir ? Il y a ici un début de réponse :
« Je crois que, s’il reste une chance de corriger ce régime, c’est - en s’adressant au pays, et non pas à ses élus - de persuader le pays que cette correction est urgente. Je crois que, pour l’en persuader, il faut n’être pas parlementaire. » (page 8)

Il ne faudrait pas être un élu de base… Mais qui, alors ? Et agissant selon quelles modalités ? Dans le numéro 31 daté de décembre 1934 de La Victoire, l’ancien anarchiste et futur meneur d’extrême-droite Gustave Hervé s’était fait prophète à propos de la situation au soir du 6 février 1934 :
« Il aurait fallu un homme qui osât exiger une véritable dictature pour expédier les affaires courantes, mettre debout une nouvelle Constitution qu’il aurait soumise à un plébiscite. L’année portera un nom dans l’histoire : on l’appellera l’année de la belle occasion manquée. » (Jean Gicquel et Lucien Sfez, Problèmes de la réforme de l’État en France depuis 1934, P.U.F. 1965, page 73)

Avec une certaine surprise, nous découvrons qu’il s’agit très exactement de ce qui devait se passer pour Philippe Pétain en juin-juillet 1940 et pour Charles de Gaulle en mai-juin 1958…

Revenons à André Tardieu qui se cite lui-même pour ce propos qu’il avait tenu en 1935, c’est-à-dire un an plus tôt :
« L’état politique de la France ne peut pas être légalement amélioré. » (page 19)

Encore et toujours cette "France" qui ne paraît pas encore avoir dit son vrai nom à l’endroit où nous en sommes…

Voici alors une autre façon d’aborder le même problème. André Tardieu y lève tout de même un peu plus le coin du voile :
« Résolu à recouvrer ainsi liberté et autorité, je nourris un autre espoir : c’est, par un acte de caractère exceptionnel, de fixer l’attention du peuple sous la meurtrière gravité de la situation. » (page 29)

Or là, ce n’est plus la France ; c’est le "peuple" ; un peuple captivé par le spectacle qu’on lui donne à voir, et qui devrait le convaincre de se plier à quelque chose… ou à quelqu’un.

À quoi faudrait-il plier le peuple ?

Quittons la Préface, et entrons maintenant dans le corps même du livre d’André Tardieu.

Nous nous arrêterons d’abord ici :
« Reste la question de la souveraineté nationale, - d’une souveraineté exercée par le suffrage universel, c’est-à-dire par la loi du nombre. » (page 99)

Et ensuite, là :
« Qu’est-ce qui établit que la majorité ait nécessairement raison ; que l’avis de 20 millions d’hommes soit plus proche de la vérité que l’avis de 200.000 ; que le nombre assure à un total d’individus des vertus, qui manquent à chacun ; qu’un million d’erreurs individuelles puisse équivaloir à une vérité ? » (page 100)

"Loi du nombre"… Suffrage universel source d’erreurs…

Tout ceci - qui est du peuple - ne peut certes pas être la France au nom de laquelle il conviendra de s’exprimer depuis Vichy ou depuis Londres quand le temps du grand chambardement sera enfin là.

N’empêche qu’ici, en évoquant la "loi du nombre" et les "erreurs" qui vont avec, André Tardieu nous a ouvert une piste plus qu’intéressante. Elle a pour nom : Charles Benoist.


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7 réactions à cet article    


  • Aristide Aristide 11 avril 2015 12:41

    Conclusion : « N’empêche qu’ici, en évoquant la »loi du nombre« et les »erreurs« qui vont avec, André Tardieu nous a ouvert une piste plus qu’intéressante. »


    Une piste ? Plutôt une autoroute qui mène immanquablement au fascisme : l’élite qui a raison contre le peuple. Ces deux « lois » qui ne sont que des affirmations sans fondement ont conduit tous les régimes politiques au totalitarisme et au fascisme.

    Dans ces conditions, le peuple devient un ramassis d’individus sans droit à la parole. Au gré des totalitarismes, l’élite se constitue autour des possédants, des intellectuels, des descendants de la caste, de ceux qui imposent leur force, ... Enfin la déclinaison infinie de toutes les formes de fascisme qui veulent imposer LA vérité.

    LA vérité, comme si LA vérité par définition était unique, connue de cette élite seule. Non, il y a DES vérités, et c’est bien la diversité et la sagesse du peuple qui les révèle. La vision d’UNE vérité incontestable est fausse, le peuple par ses aspirations représente immanquablement SES vérités. Il n’est plus question d’erreurs, il est question d’aspirations différentes, diverses, des plus communes au plus exotiques. 

    Il serait facile de plagier l’affirmation de Tardieu "« Qu’est-ce qui établit que la majorité ait nécessairement raison ; que l’avis de 20 millions d’hommes soit plus proche de la vérité que l’avis de ----- ; que le nombre assure à un total d’individus des vertus, qui manquent à chacun ; qu’un million d’erreurs individuelles puisse équivaloir à une vérité ? ». Vous remplacez les tirets par le fuhrer, le duce, le guide, le roi, le parti, ... et vous avez fait le tour de tous les totalitarismes.

    La démocratie est n’est pas un système idéal mais elle est surement le moins mauvais des systèmes, toutes les tentatives de s’y substituer ont abouti au totalitarisme. 

    • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 11 avril 2015 15:23

      @Aristide
      Merci pour votre commentaire.
      Je compte que vous m’aiderez pour la suite.


    • sls0 sls0 12 avril 2015 02:27

      @Aristide
      Complètement d’accord avec votre commentaire

      Stanley Milgram avait prouvé qu’avec les 3/4 des personnes on pouvait en faire des nazis simplement par soumission à l’autorité. Ca fait réfléchir au sens critique de la plupart, ils votent quand même.

      Les personnes qui décideraient pour les autres si c’est le bien être de l’autre qui les guiderait et que ça se fasse avec un minimum de contraintes ce serait possible mais connaissant le genre humain c’est utopique.

      On reste donc avec une démocratie imparfaite mais la moins mauvaise des solutions.

      Il y a fallu une guerre pour qu’un gouvernement vise le bien être des autres, c’était les résistants, 0 ;6% de la population, une vraie minorité, mais les pros étaient mouillés. Ensuite les pros de la politique ont repris le dessus.
      C’est le bon coté de la guerre mais c’est le seul, c’est très cher payé. 60 millions de morts dont 25 en URSS et 20 en Chine, 600.000 en France et 300.000 américains.

      En URSS ça n’a pas changé grand chose, peut être moins de purges.
      En Chine ça changé mais je ne donne pas d’avis qui risque de partir en polémique.
      En France ça changé quelques années mais en ce moment les acquits sautent.
      Au USA, le complexe militairo-industriel est devenu énorme, ça commence à être assez visible, il sont au dessus de la constitution.

      On fait donc avec une démocratie pour veaux, on a la démocratie qu’on mérite.


    • Dwaabala Dwaabala 11 avril 2015 15:12

      Bonjour Michel J. Cuny
      Le suffrage universel n’a pas pour principe de définir la vérité (la pensée d’A. Tardieu dérape sur ce point), ce qui est une question philosophique ou scientifique (qui ne se tranche pas à la majorité) mais celui, pratique, politique, de fixer la direction de l’action.
      Avec tous les risques, assumés par le consensus démocratique, que cela comporte.
      Cependant posée ainsi abstraitement la question est évidemment biaisée car elle ne tient pas compte des rapports de classes qui montrent que la bourgeoisie sait utiliser, et qu’elle en a les moyens, le suffrage universel dans la république la plus démocratique qu’on puisse imaginer pour perpétuer sa domination de classe, et mener la politique qui lui convient.


      • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 11 avril 2015 15:24

        @Dwaabala
        Merci Maurice,
        Je sais que vous m’aiderez pour la suite.


      • Jacques 12 avril 2015 00:35
        Bonjour Miche J. C,

        Les historiens (je pense à Henri Guillemin) savent et ont relevé que De Gaulle avait lu Tardieu. 
        Ce que De Gaulle en avait retenu n’était pas la haine bourgeoise du suffrage universel, mais le mépris du système représentatif, notamment parlementaire : 
        « Je crois que, s’il reste une chance de corriger ce régime, c’est - en s’adressant au pays, et non pas à ses élus - de persuader le pays que cette correction est urgente. Je crois que, pour l’en persuader, il faut n’être pas parlementaire. » Tardieu dixit 

        Cette phrase d’un partisan déclaré d’une dictature - qui nous rappelle la voltairienne « monarchie éclairée » - est, paradoxalement, une profession de foi démocratique.

        En effet, la « démocratie représentative » n’existe pas ; le député n’est pas le peuple, il est un notable qui défend une classe de notables. Le système représentatif est un moyen très efficace pour bâillonner le peuple, tout en se réclamant de lui, c’est ainsi que l’avait voulu Siéyès dès 1789. Rien n’a changé depuis. Le système représentatif est l’instrumentalisation du peuple.

        Des professeurs de droit constitutionnel comme Dominique Rousseau (Paris-Sorbonne) ou Thibaut de Berranger (IPAG de Nantes) soulignent bien que la démocratie - la seule qui mérite ce nom - n’est pas l’élection de représentants mais le contrôle direct des citoyens sur la législation du pays.

        Pour amodier l’actuel pouvoir législatif des « représentants » élus, ces professeurs de droit constitutionnel proposent le concept de « démocratie continue », par lequel des assemblées de citoyens tirés au sort (une par département) contrôlent, modifient ou censurent les projets de lois.

        De Gaulle, en 1969, avec la chambre UDR introuvable élue en juin 1968 qui lui permettait d’imposer aveuglément sa politique, a néanmoins soumis démocratiquement au référendum son projet de « participation » (partage de la plus-value du travail entre salariés et actionnaires) ; mal informée, une majorité de Français a voté non. Un bel exemple de démocratie pleinement assumée par un dirigeant, et de sottise populaire exprimée à la majorité ! 

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