Une journée au pays des douceurs
07H30, je sors du parking souterrain et commence à descendre l’avenue Jean Jaurès quand, plusieurs sonorités agressives me cueillent au bout d’une centaine de mètres. Je regarde dans le rétroviseur et j’aperçois un excité vociférant dans son véhicule les mains crispées sur le volant. Il me double avec un doigt levé bien haut, signe d’une élégante éducation. Manque de chance pour l’australopithèque, au croisement suivant le feu passe au rouge l’obligeant à laisser de la gomme sur le bitume. Arrivé à sa hauteur, je lui souris afin qu’il se détende ce qui déclenche chez lui une litanie très descriptive à mon encontre concernant un voyage chez les Grecs et sur la possibilité de lui faire la spécialité jurassienne de la charmante bourgade de Saint Claude. Bien qu’animé d’aucune homophobie, mais n’ayant pas particulièrement d’attrait quant à la sodomie, je ne l’encourage pas à continuer dans cette voie plutôt étroite. De plus, je me suis toujours un peu méfié des énergumènes qui veulent agrandir le cercle de leurs relations. Concernant le deuxième point, je suis non-fumeur, il est donc absolument exclu que je m’occupe par voie orale de son excroissance prostatique. Le toto continue ses vocalises jusqu’à ce que le feu tricolore, comme son visage, vire au vert et c’est, toujours l’index fièrement dressé qu’il démarre dans une odeur de caoutchouc brulé. Je me suis souvent interrogé sur cette colère qui fait naitre cette haine envers autrui qui nous est pourtant totalement étranger. L’animalité est une partie intégrante de l’homme depuis Cro-Magnon, mais la détestation gratuite de l’autre est une chose déconcertante qui laisse penser, que bien que descendant du singe, certains ont loupé des branches et se sont directement cassé la gueule de l’arbre.
08H15, arrivée légèrement tardive au bureau suite aux flots toujours plus croissants des usagers motorisés. Évidemment, le petit chef préposé à l’horloge me scrute avec une minutie teintée d’une probable constipation si je m’en réfère au vermillon de sa face à moins, qu’il ne s’humecte plus que de raison les papilles avec le produit liquide des vignes environnantes. Je n’ai pas trop à attendre la réponse. Il me fait part, en postillonnant avec hargne et une odeur de vieux beaujolais, de mon manque de professionnalisme et de responsabilité quant au respect de l’heure et, que certainement, nous en reparlerons le moment venu. L’alternative d’une discussion hautement philosophique sur la position des aiguilles et les fuseaux horaires avec le petit Staline de l’administratif ne déclenche pas chez moi une vague d’optimisme.
12H10, au cadran du restaurant d’entreprise. Madame Bertho responsable des ressources humaines dialogue avec sa collaboratrice Madame Schubert, qui de la truite a hérité du cerveau. Notre élégante et pimpante DHR explique très sérieusement que le licenciement est une opportunité pour avoir du temps libre, faire aboutir de nouveaux projets et enfin rebondir. L’autre aquatique, la bouche ouverte et de la purée à la commissure des lèvres écoute, subjuguée, les inepties de sa supérieure. La connasse en Chanel rémunérée sept fois le SMIC, continue son délire verbal en s’offusquant de l’attentisme et de l’immobilisme de la classe ouvrière qui, accessoirement la nourrit, refuse la formidable opportunité d’aller travailler en Pologne ou en Roumanie. C’est bien vrai ça ! L’ouvrier fait chier et doublement chier quand il est syndiqué ! Moi qui pensais que le travail était un outil de sociabilisation, comme quoi on se plante parfois… En ayant assez entendu, je regagne mes pénates pour remplir de chiffres mes tableurs Excel afin de provoquer à la prochaine assemblée de fortes tensions érectiles chez les sangsues spéculatives que l’on nomme « actionnaires ».
17H30, après cette enrichissante journée je quitte l’arène des plaisirs bureaucratiques pleins d’émotions positives. C’est dans les bouchons, au milieu des effluves de carbures, qu’à la radio, se répandent en flagorneries des ersatz de journalistes interrogeant Sa Sainteté Emmanuel le poudré sur la crise sanitaire. Son Altesse, qui intérieurement n’en a rien à foutre, explique solennellement que la France et les Français, patati et patata mon cul sur la commode… Honnêtement, Sa Majesté s’en contrebalance d’une force qui susciterait presque de l’admiration. Pour lui l’essai demandé par ses supérieurs est transformé : comment avec une petite épidémie on peut arriver à enfermer chez eux, de plein gré et dans plusieurs pays, des populations entières. La feuille de route vers un ordre parfait, mélange du « Le meilleur des mondes » d’Huxley et de « 1984 » d’Orwell est en passe d’être finalisée. Bientôt le vaccin malin enrichira les coquins puis, dans quelques mois, on passera aux choses sérieuses, la phase réelle avec un virus digne de ce nom qui règlera le problème de gouvernance planétaire et de surpopulation. Terminus capitale Jérusalem. C’est tonton Attali qui va être content. Bordel, je dois être fatigué, je vire complotiste
21H00, terrible erreur j’allume la télé ! Je tombe sur un programme où des couples viennent se confesser de leurs vies très privées devant un public qui se délecte de leurs malheurs. Le troupeau hurle, siffle, juge et surtout prend parti pour l’un ou l’autre afin d’alimenter les égouts de cette farce nauséabonde. Et tout ça, sous l’œil attentif et faussement compassionnel d’un animateur pervers qui mériterait de passer le restant de ses jours à prendre des baffes. Au bout de 20 minutes de cette soupe, j’éteins la boite à laver les cerveaux. Demain ce sera les soldes, de la prison à la consommation, le changement d’herbage réjouira les veaux qui se précipiteront dans les commerces. Complètement largué, je vais me servir un double scotch histoire de trinquer et de me noyer dans l’alcool à la santé de cet Eden terrestre.
23H00, j’essaie de m’endormir, mais mon voisin à régler son ampli sur max afin d’écouter un rap de merde ou un décérébré nique la France, veut trucider les Français et épanouir les femmes dans les joies de la charia. Je ne me fais pas trop de souci pour lui, ses projets sont en bonne voie, des idiots achèteront ses disques et certains grands penseurs qualifieront ses écrits de poésie révolutionnaire. Il faut les comprendre ces jeunes révoltés, ils vivent dans un pays raciste qui empêche leurs développements intellectuels et religieux et leurs créativités commerciales quant à la distribution de substances illégales.
01H30 je finis par sombrer dans un rêve merveilleux, délire mystique, ou un vieillard sénile élu président dans des couches-culottes à la bannière étoilée, déclenche une guerre mondiale qui fera sauter la planète et nettoiera la terre de ses parasites. Arrivés au paradis, enfin un truc dans ce genre, Dieu, les anges, les saints et Lucifer sont morts de rire. En effet, on a été tellement con qu’il faut qu’on y retourne et qu’on recommence tout à zéro ! Je sursaute et me réveille en sueur. Finalement, j’avais pensé au suicide, mais désappointé j’en rejette l’idée par contrariété. J’aurais aimé terminer sur un message d’espoir, mais je n’en ai pas en revanche, est-ce que deux messages de désespoir vous iraient ?
Hasta la vista hermanos ! Désormais, on ne dit plus « bonne journée » mais, « bon confinement » !
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