Une libération qui pose problème ...
Obama joue avec le feu. Lorsque l'on a appris il y a quelques jours la libération de Bowe Bergdahl, un soldat américain capturé par les Talibans voici cinq ans (il avait été capturé le 30 juin 2009) beaucoup se sont réjouis, comme sa famille, son image vidéo de prisonnier prostré ayant ému toute la planète. Barack Obama en personne était venu annoncer la nouvelle en fanfare, affirmant péremptoirement que les "américains ne laissent jamais leurs hommes et leur femmes en uniforme derrière eux". Sans donner plus de détail sur les conditions de sa libération, espérée depuis toujours. L'Amérique se montrait alors contente et satisfaite. Surprise dès le lendemain, avec un communiqué vengeur venu de l'ineffable et invisible Mollah Omar, l'entité fantomatique citée comme responsable du mouvement, qui saluait cette libération comme "une grande victoire" ... des Talibans. La communication triomphante de la Maison Blanche se révélait pointée du doigt. Au décryptage, on apprenait en effet que la libération avait été l'objet d'un deal surprenant, cinq des pires responsables du mouvement, dont des auteurs de crimes de guerre et un trafiquant d'opium ayant été libérés discrètement de Guantanamo pour être remis discrètement au Qatar. Outre le fait que ce dernier reconnaissait ouvertement soutenir leur cause, pour le moins, il y a avait là comme une forme d'abandon, ce que n'ont pas raté d'évoquer deux congressistes républicains, outrés de ne pas avoir été mis au courant en temps et heure, comme l'exige pourtant la loi américaine. Obama est-il en train de solder Guantanamo, en outrepassant une législation contraignante qui l'empêche de le faire, la question mérite d'être posée en effet. Car en prime, le soldat libéré pose un autre problème, ses collègues l'accusant d'avoir déserté ! Et pour ajouter encore à la défiance, on a appris aussi que des collègues partis à sa recherche étaient morts !
La polémique est en train d'enfler aux USA, emportant les médias, et provoquant une défiance énorme vis à vis de Barack Obama. Il n'y a pas que des élus républicains, désormais, pour avoir critiqué la décision présidentielle de l'échange de talibans au lourd CV contre le soldat Bergdahl. Désormais, il y a aussi les familles des soldats morts, pris dans une embuscade en tentant d'aller le recupérer. Le retour du soldat emprisonné s'annonce déjà comme un terrible fiasco pour le président américain, et il l'affaiblit, très certainement. pourquoi donc avoir pris ce risque, on ne peut le comprendre que si l'on revient en 2012...
Le point de départ des critiques est la personnalité même des talibans libérés, qui viennent juste de débarquer au Qatar...sous les applaudissements. Parmi eux, Nurullah Nuri (ou Noori), par exemple, fait prisonnier dès novembre 2001. Avec les deux autres talibans Mohammad Fazi et Dadullah. Nuri avait négocié sa reddition à Kunduz, alors qu'il combattait... l'alliance du Nord et son dirigeant à poigne, le général Dostum, lui-même auteur de terribles exactions. Nuri et Abdullah Ghulam Rasoul ont été ensuite transférés à la forteresse de Ala-i-Jangi à Mazar-e-Sharif. Après une révole sanglante, ou sont morts près de 80 prisonniers, Dostum les a transférés ensuite à à la prison de Sheberghan, c'est là qu'ils ont été remis aux autorités américaines pour les emmener à Guantanamo. Or Nuri est l'auteur d'un massacre au moins, perpétré dans le village de Yakawlang, dans le district de la province de Bamiyan Hazarajat (au centre de l'Afghanistan) où résidaient 60 000 personnes. En décembre 2000, les forces de l'Alliance du Nord avaient pris la région qui a été reprise enusite par la milice des talibans début janvier 2001, date à laquelle des exactions de représailles avaient été commises. Les Nations Unies (*), Amnesty International et Human Rights Watch les ont confirmés, précisant qu'environ 300 civils, tous des hommes, y compris les membres des groupes humanitaires, ont été arrêtés et fusillés dans différents lieux publics par les talibans (ici deux survivants).
Un témoignage raconte : " les corps étaient allongés sur le sol face contre terre. Ils avaient tous leurs mains liées derrière le dos .... Les blessures par balle pouvaient avoir été faites dans le dos, car il y avait du sang sur le sol sous (leurs ) corps. ils avient été attachés ensemble ... en groupes de trois, à l'aide de leurs turbans et de leurs foulards, qui avaient été enroulées ensemble pour faire des cordes "ils ont été attachés ensemble, l'un à l' autre, en utilisant leur propre turban" avait raconté un le témoin. Nuri étant un récidiviste en 1998, alors qu'il commandait la province de Balkh pour le régime taliban, il avait déjà tué de sang froid des villageois « Norullah Noori a du sang sur les mains », dit un intervenant afghan, faisant allusion à un massacre organisé par les talibans à Mazar-i-Sharif en août 1998. « Nos proches et voisins ont été tués », renchérit Hussain Ali, un chauffeur de taxi de cette ville, évoquant les "années sombres » du régime taliban".
Les autres libérés Mohammad Fazl, Mohammed Nabi, Khairullah Khairkhwa et Abdul Haq Wasiq, avaient eux aussi été impliqués dans des massacres de civils. Les hommes étaient en fait des haut-placés du régime : Khairullah Khairkhwa était l'équivalent du ministre de l'intérieur, Abdul Haq Wasiq le vice-ministre des renseignements du régime taliban, auteur de tortures sur des prisonniers, notamment. Si bien que l'explication que donne à la Maison Blanche Barack Obama paraît bien légère : "la libération des détenus talibans est venu seulement après que le gouvernement du Qatar ait convenu qu'il pourra "garder les yeux sur eux et de créer une structure dans laquelle nous pourrons suivre leurs activités », a déclaré Obama. Il a reconnu il y avait une possibilité que certains d'entre eux puissent revenir à des activités qui menacent les États-Unis, mais il a dit aussi que c'était vrai pour tous les prisonniers qui ont été libérés de Guantanamo au fil du temps . « Je ne le ferais pas si je pensais que c'était contraire à la sécurité nationale américaine ", a déclaré Obama . " C'est ce qui arrive à la fin de la guerre , " a-t-ii dit , en faisant valoir que la même chose avait été valable aussi pour George Washington, Abraham Lincoln et Franklin D. Roosevelt . " Plaçant ainsi plutôt le débat du côté de la Libération de 1945, lorsqu'il a fallu amnistier certains collaborateurs pour refaire marcher l'administration en France, par exemple. Les américains ayant fait l'inverse en Irak, ce qui avait bloqué tout le pays. "C'est la vérité dans toutes les situations de guerre" a-t-il dit , ajoutant "qu' à un certain moment, vous essayez de faire revenir vos hommes" Peu importe les circonstances pour Bergdahl , "quelles que soient ces circonstances, nous faisons toujours revenir un soldat américain resté en captivité - un point c'est tout , a-t-il dit. " Nous ne mettons pas de conditions. C'est ce que chaque mère et père qui voit un fils ou une fille envoyé(e) sur le théâtre de la guerre attend - pas seulement de leur commandant en chef , mais aussi des États-Unis d'Amérique " . On reste un peu surpris ; et on se dit que cela ressemble fort à un appel du pied pour une ouverture de discussion avec les talibans... ce que confirme peu après Chuck Hagel, du Pentagone. Evidemment, Ahmid Karzaï ne pouvant que dénoncer cette libération, qui sous entend un futur retour des talibans à la tête du pays !
En réalité, cette libération est la suite d'une autre et d'un long processus. En 2012, déjà, les États-Unis avaient (secrètement) libéré des combattants talibans retenus prisonniers dans un centre de détention en Afghanistan, dans le seul but de "faire avancer des pourparlers de paix avec les talibans," avait alors révélé à l'étonnement général le Washington Post. "Le programme "libération stratégique » des détenus de haut niveau est conçu pour donner aux États-Unis une monnaie d'échange dans certaines régions de l'Afghanistan où les forces internationales ont du mal à exercer un contrôle", indiquait le rapport. "Dans le cadre de ce programme risqué, les combattants endurcis doivent promettent de renoncer à la violence et sont menacés d'une autre punition, mais il n'y a rien de prévu pour les arrêter de reprendre les attaques contre les troupes afghanes et américaines" notait le journal : en somme on avait déjà joué avec le feu, une première fois ; mais sans trop de succès, les talibans rompant assez vite les négociations trouvant leurs exigences non satisfaites !!! Lors d'une visite en Afghanistan, Obama avait déjà confirmé que les États-Unis poursuivaient des pourparlers de paix avec les talibans. A l'époque, l'opération avait en effet échoué... "en raison du refus américain d'approuver le transfert de cinq détenus talibans de Guantanamo au Qatar... " avait-on pu lire. L'opération d'il y a quelques jours est donc bien dans la continuité de la recherche de discussions avec les talibans débutée deux ans auparavant : Obama craint donc fort que le régime de Karzaï s'effondre rapidement, et il a pris les devants depuis longtemps en envisageant de discuter avec les talibans !!! Le même jour de la visite américaine, Hamid Karzaï et Barack Obama avaient pourtant réussi à signer l'accord de partenariat qui engageait sur 10 ans les deux parrtis, avec un retrait primitivement prévu en 2014. Obama jouant sur les deux plans !
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(*) cité aussi dans le Journal officiel de l'Union européenne :
http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=OJ:L:2014:076:FULL
extrait :
Nurullah Nuri (alias Norullah Noori)
Titre : maulavi. Motifs de l'inscription sur la liste : a) gouverneur de la province de Balkh (Afghanistan) sous le régime des talibans ; b) chef de la zone nord sous le régime des talibans. Date de naissance : a) vers 1958, b)1er janvier 1967. Lieu de naissance : district de Shahjoe, province de Zabol, Afghanistan. Nationalité : afghane. Adresse : détenu à la prison de Guantanamo. Renseignements complémentaires : a) détenu par les États-Unis d'Amérique à la mi-2013 ; b) membre de la tribu Tokhi. Date de désignation par les Nations unies:25.1.2001.
les biographies des 5 libérés
sur les massacres Hazaras
http://www.hazarapeople.com/2010/08/08/massacre-stories/
http://www.hazarapeople.com/2010/07/22/afghanistan-massacres-of-hazaras-in-afghanistan/
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