Une mécanique politique bien huilée
Depuis plusieurs années, nous vivons sous l’emprise d’une mécanique bien huilée, un passage de témoin, une politique qui quels que soient les hommes ou les partis au pouvoir, reste similaire, conduisant systématiquement à une alternance destructrice, qui étouffe les droits sociaux.
Dans cette situation, toutes les caractéristiques d’un séisme politique de haute intensité sont devant nous et peuvent conduire à l’abîme.
Le point de vue exprimé ici, est le résultat d’une observation sur le terrain, d’une analyse concrète de situations concrètes. C’est aussi un retour sur les gauches et l’évolution de celles-ci ces trente dernières années.
Face à la déroute de ces gauches, n’avons-nous pas besoin de faire le point, de faire le tri, de faire un état des lieux, de se situer dans ce paysage idéologique bouleversé ? N’est-il pas impératif de comprendre les mécanismes politiques et institutionnels qui ont conduit et qui conduisent encore aujourd’hui à ce résultat ?
Pour cela, nous avons besoin d’un retour critique sur le proche passé.
Lors des élections présidentielles de 2012, à la fin de son premier mandat, les électeurs ont chassé Nicolas SARKOZY[i], ancien secrétaire général de l’UMP, (LR aujourd’hui), l’homme de droite, celui qui avait fêté sa victoire sans complexe, dans le célèbre restaurant bourgeois « le FOUQUET’S » à Paris en 2007.
Nicolas SARKOZY a été battu, c’est son arrogance et son mépris affiché pour les gens qui ont été sanctionné, mais c’est aussi sa politique d’austérité qui en tournant le dos aux aspirations et à l’intérêt général a été rejetée. Une politique de classe, essentiellement tournée vers les intérêts des plus riches. Un va-t’en guerre qui porte de lourdes responsabilités dans la situation de la Méditerranée orientale plongée aujourd’hui encore, dans le chaos.
HOLLANDE, Un espoir déçu
François HOLLANDE, l’ancien secrétaire général du Parti Socialiste est arrivé sur cette base. Celui-ci, pour se faire élire, s’est déclaré « l’ennemi de la finance », celui qui avait annoncé ne pas céder face aux injonctions néolibérales, néocoloniales, des dirigeants européens. Celui qui devait renégocier les traités.
Se présentant comme un homme de « gauche » les électeurs étaient en droit d’attendre un changement de politique, une meilleure prise en compte des aspirations à plus de justice sociale et d’égalité. C’était le sens de leur vote, même si l’expérience de la cohabitation CHIRAC/MITTERRAND dans un passé pas si lointain avait déjà montré la continuité des politiques économiques et sociales de ces différentes forces politiques.
Comme il était à prévoir, le résultat ne s’est pas fait attendre et très vite les promesses ont été reléguées au second plan, ou mises au placard.
Et c’est ainsi qu’on a pu avoir le sentiment que le nouveau Président de la République, François HOLLANDE en 2012 prenait le relais, (ou le témoin pour prendre une image sportive), là où son prédécesseur Nicolas SARKOZY l’avait laissé.
Ce revirement politique, n’est pas sans rappeler une phrase prononcée par Jean Claude JUNCKER[ii] alors Président de la commission européenne, quelques deux ans plus tard, à propos des élections en Grèce, lorsqu’il déclarait que « les choix démocratiques ne peuvent remettre en cause les traités européens ». `
Les politiques d’austérité, chères aux responsables européens, ont ainsi repris de plus belle avec François HOLLANDE, tout comme le démantèlement des acquis sociaux et services publics, à commencer par la destruction du code du travail avec la loi EL KHOMRY[iii] qui au-delà, elle aussi d’avoir été approuvée par le 49/3, mettra aussi en évidence de nouvelles pratiques policières à l’encontre des manifestants et mouvements sociaux. Une violence d’état se mettait en place.
Cette situation amènera François HOLLANDE à devenir tellement impopulaire, qu’il lui sera impossible de se représenter à l’élection présidentielle qui suivra.
Quant à son premier ministre, Manuel VALLS, celui-ci s’affirmera peu de temps après, un parfait réactionnaire, prêt à s’allier à l’extrême droite à l’occasion des élections municipales de Barcelone en Espagne ou il était candidat.
Quel désastre dans les têtes quand ceux, se prétendant à gauche épousent les politiques néolibérales, celles défendues théoriquement par la droite, des politiques injustes socialement et pour une grande part imposées par une Europe réactionnaire.
MACRON, en homme providentiel
C’est ainsi que pour l’élection présidentielle de 2017 et loin de tirer les enseignements des dix années écoulées, est arrivé Emmanuel MACRON ancien ministre de HOLLANDE, celui qui soi-disant par sa jeunesse, allait rénover, révolutionner la politique.
Recevant le soutien de personnalités politiques dites « de gauche » comme de droite, celui-ci sera élu Président de la République, au deuxième tour face à Marine LE PEN, avec seulement 43,6% des électeurs inscrits.
L’abstention, les votes blancs et nuls ont représenté 34 %, le taux le plus fort enregistré pour ce type d’élection depuis plus de quarante-cinq ans. Ces chiffres alarmants, traduisent la crise de la représentation politique, la défiance des électeurs, surtout des électeurs de gauche.
Ainsi, « la course aux présidentielles a remplacé le débat d’idées, l’extrême centralisation politique débouche sur l’incohérence. Le parlement est dévalué dans sa fonction représentative et décisionnelle, et la décentralisation ne s’est pas accompagnée d’une requalification de l’action étatique, ni d’une modernisation réelle des grands services publics[iv] ».
Alternance, mais pas alternative.
Pur produit des banquiers et des hommes d’affaires, probablement le premier Président de la République Française, aussi influencé par le monde de la grande finance, Emmanuel MACRON, ancien ministre d’un gouvernement soi-disant « de gauche », reprendra à son tour le néfaste relais de son prédécesseur François HOLLANDE.
Un passage de témoin, parfaitement bien huilé, une nouvelle alternance, avec pour chacun sa partition, vers une trajectoire identique. L’objectif, démanteler les acquis sociaux au nom d’une soi-disant « réalité économique », quand on ne l’habille pas de « démocratie ».
La contre-réforme sur les retraites engagée cette fois-ci encore avec le 49/3 aujourd’hui, symbolise les aspects les plus réactionnaires de la politique MACRON/PHILIPPE.
Ce n’est pas seulement un recul de plusieurs décennies qui se prépare avec ces hommes, c’est aussi un énorme recul de civilisation par un appauvrissement du plus grand nombre, une remise en cause frontale des droits élémentaires, le droit à la santé, le droit à l’éducation...
C’est le sentiment qu’avec la « République en Marche » la république n’est plus la république, que l’autoritarisme et les violences policières deviennent la règle et prennent le pas sur le dialogue. Une violence d’état institutionnalisée, instrumentalisée.
En moins de trois années d’exercice du pouvoir, le taux de popularité d’Emmanuel MACRON est au plus bas, laissant entrevoir comme pour son prédécesseur, une impossibilité de se représenter en 2022.
Malgré une répression féroce, la rébellion s’installe dans le pays. La persistance des mouvements sociaux sur les retraites, l’importance des manifestations syndicales et gilets jaunes, démontrent le rejet massif d’une politique, qui crée de l’inégalité et approfondit la fracture sociale. Les électeurs et notamment les électeurs de gauche, ne perçoivent pas de différences entre les politiques de SARKOZY avant-hier, HOLLANDE hier ou MACRON aujourd’hui.
Mais cela malheureusement, reste au niveau du constat. Il y aurait pourtant besoin de faire cesser ce passage de relais politiquement destructeur.
L’espoir a horreur du vide.
La situation actuelle est déplorable, elle traduit un énorme affaiblissement idéologique de la gauche, une sorte de bérézina suicidaire et elle vient de loin.
Depuis près d’une quarantaine d’années nous avons assisté au spectacle d’un parti socialiste pratiquant tous les renoncements pour ne garder que ce qu’il considérait comme essentiel, « la culture de gouvernement ». Par l’exercice du pouvoir et le libéralisme économique qu’il a épousé, il porte ainsi, une grande responsabilité dans la désespérance sociale et l’absence de perspective crédible à gauche.
Le parti communiste s’est avéré quant à lui, dans l’incapacité de surmonter le séisme politique du à l’effondrement « du socialisme étatique dans le bloc soviétique », un socialisme toujours et intimement lié à l’histoire du Stalinisme. Sa lente marginalisation électorale vient pour une grande part de cet état de fait et de l’insuffisance d’autocritique.
Il aurait été nécessaire de s’interroger plus que cela n’a été le cas, d’ouvrir en grand les portes à l’autocritique, de comprendre pourquoi la gauche se trouve dans cette impasse ?
Pourquoi le parti socialiste a effectué un tel revirement ?
Pourquoi à l’est, « Staline, Li Ping et Ceausescu ont été possibles[v] ? »
L’arrivée au pouvoir de GORBATCHEV et sa PÉRESTROÏKA en URSS, n’a pas été en mesure d’inverser le cours des choses et de réconcilier socialisme et démocratie.
Pourtant la voie a été ouverte et la disparition du socialisme bureaucratique et autoritaire aurait dû créer les conditions d’une mise en perspective d’un socialisme démocratique. Pourquoi cela ne s’est-il pas réalisé ?
Les décennies 80 et 90 resteront comme celles « de la déroute intellectuelle et morale de la gauche » ou chacun à des degrés divers, PC et PS, ont tenu leur partition. L’union de la gauche n’étant devenue qu’une caricature, un simple outil de préservation électoral des appareils.
Le socialisme est-il encore perspective ?
L’absence d’autocritique réelle à gauche a produit pour une part la situation désespérante d’aujourd’hui, les dérives et la perte de confiance. Les mutations nombreuses de la société ont fait le reste.
Il y a une vingtaine d’années face au capitalisme néolibéral, néocolonial, populiste, on espérait construire le socialisme, mais aujourd’hui la thèse du passage « historiquement nécessaire » est rendue floue par l’échec du prétendu « socialisme réel » dans les pays de l’Est. Cet échec historique, ce séisme politique a peu à peu amené les interrogations sur le concept même de socialisme au point que y compris les forces de gauche n’utilisent plus ou peu ce concept. C’est ainsi que nous vivons dans un monde unipolaire, sans perspectives politiques réelles pour symboliser et changer ce système.
Qu’avons-nous à gauche comme système à opposer au capitalisme néolibéral si le socialisme n’est plus de mise ?
Cette question dépasse de loin le cadre de la seule France ou Europe. C’est une question essentielle pour les gauches dans le monde, car les problèmes actuels pour une bonne part se jouent à l’échelle planétaire.
Sur tous les continents du monde, des révolutions et insurrections populaires se déroulent, (Tunisie, Burkina Faso, Algérie...) mais ce n’est pas pour autant qu’une perspective émancipatrice s’affirme. A chaque fois elles butent sur des régimes autoritaires, sur la force du capitalisme et ses outils. (Banque Mondiale, Fond Monétaire International, Organisation Mondiale du Commerce), sans oublier d’un point de vue militaire l’OTAN.
N’y a-t-il pas urgence à développer les coopérations internationales solidaires et à mondialiser une vision sociale commune pour s’opposer au système en place et tenter d’ouvrir de nouvelles perspectives ?
Les limites de la démocratie représentative.
Il n’est pas inutile de rappeler l’importance absolue du suffrage universel, « le bloc de l’Est est mort d’avoir méprisé la démocratie représentative, d’avoir prétendu faire le bonheur des peuples sans eux et malgré eux ». Mais nous connaissons aussi les limites de la démocratie représentative : la délégation de pouvoir.
D’où l’importance aujourd’hui d’ouvrir des pistes nouvelles, ou reprendre des idées déjà développées par le passé, comme « la stratégie autogestionnaire[vi], conçue comme une nouvelle citoyenneté, ou les individus et les collectifs de travail ou d’intérêt pourraient jouer un rôle direct dans les processus de la gestion sociale et économique. »
Nous ne partons pas de rien, en son temps des intellectuels de gauche, à l’image de Félix Damette[vii] et d’autres, ont largement traité le sujet et ouvert les pistes de réflexions.
Sortir de la confusion politique
Il suffit de regarder pour ces élections municipales, l’extrême confusion politique, la multitude de listes dans des grandes villes, se présentant apolitiques, ou encore le nombre de regroupements hétéroclites, (droite, gauche, centre, nationalistes), dont l’absence de clarté, de lisibilité reste la principale indication.
Tout cela fonctionne d’une volonté de déstabilisation des valeurs et clivages qui pourtant existent, comme la lutte de classe, entre la droite et la gauche.
Il est temps à gauche de se ressaisir, de clarifier les enjeux, être porteur d’un projet autour duquel peuvent s’identifier les citoyens qui rêvent d’une autre vie.
Il est temps de laisser la « fausse gauche » celle du « renoncement social » et de la confusion, faire la route qu’elle souhaite. La confusion politique, est une impasse démocratique et pire encore, elle est en train d’installer durablement dans le pays les idées d’exclusion, d’ouvrir la porte aux extrêmes droites nationalistes et racistes.
Macron a été élu par défaut, en rejet de Le Pen, mais pour combien de temps encore ?
L’urgence aujourd’hui est à l’action, à l’image des manifestations pour sauver notre régime de retraites, mais il est aussi à la clarté politique.
Il est grand temps de se préoccuper du futur, d’ouvrir grand la porte à l’autocritique à gauche, de travailler à regrouper, à rassembler juste et clair, à refonder une espérance avec une gauche sociale et écologiste. Une gauche ou l’intérêt général deviendra la règle, une gauche forte de ses convictions et en opposition au capitalisme néolibéral. Une gauche dont la solidarité internationale sera le socle de son engagement contre les guerres et autres misères.
Si nous travaillons à modifier les rapports de forces politiques sur de vrais projets émancipateurs, alors l’espoir sera demain au rendez-vous.
Il y a urgence à clarifier les débats politiques, car le temps nous est compté.
Il y a urgence pour le présent et le futur.
[i] En 2012, Jacques Chirac Président de la République terminait son deuxième mandat. Conformément à la constitution, il ne se représentait pas. Nicolas Sarkozy était élu au deuxième tour face Ségolène Royal, l’ancienne épouse de François Hollande.
[ii] Interview le 28 janvier 2015 de Jean Claude Juncker dans le Figaro, après la victoire d’Alexis Tsipras et de Syriza à Athènes en Grèce.
[iv] Une force politique nouvelle, pour faire du neuf à gauche. Plaquette éditée en mars 1992 par ADS (Alternative Démocratie Socialisme), dont Félix Damette cité ci-dessous et Marcel Rigout ancien ministre communiste en faisaient partie.
[v] Avec le peuple Roumain, motion votée le 26 décembre 1989 par le bureau de fédération de la corse du sud du parti communiste. Cette motion qualifiant Ceaucescu « de tyran », dénonçait la présence d’une délégation du parti communiste français au congrès du PC roumain et d’un régime « qui n’avait rien à voir avec le socialisme ».
[vi] Une force politique nouvelle, pour faire du neuf à gauche. Idem déjà citée.
[vii] Félix Damette né en 1936 dans le Pas de Calais, les Hauts de France aujourd’hui. Agrégé de géographie, professeur à l’université de Paris 1. Spécialiste de géographie urbaine et d’aménagement du territoire. Il adhère au parti communiste en 1954, devient membre du comité central en 1976 et député européen de 1979 à 1984. Il est particulièrement actif dans la réflexion sur la stratégie autogestionnaire et ses rapports avec la ligne politique du PCF. C’est lui qui était chargé pour le comité central de suivre les travaux de la fédération de la corse du sud entre les 24ème et 26ème congrès, date de sa mise à l’écart du comité central. Félix Damette était en désaccord avec la ligne majoritaire du PCF. Lors de la réunion du comité central entre les 17 et 19 septembre 1984, il votera contre le rapport présenté par Georges Marchais.
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