Une nageuse américaine pataugeant dans les eaux du réalisme nationaliste à Pékin
Être l’ami des bêtes implique-t-il de faire la bête à son tour et même de renoncer à sa dignité humaine ? Une nageuse américaine paraît en être convaincue. Amanda Beard n’est pourtant pas la dernière venue : elle est capitaine de l’équipe de natation de son pays et déjà détentrice de deux médailles d’or. Or, elle vient de profiter de cette nouvelle olympiade à Pékin pour militer sottement à sa façon contre un sport qu’elle réprouve, le port de fourrure animale : « Be comfortable IN YOUR OWN SKIN, intime le slogan de son affiche. Don’t wear fur » - Soyez bien dans votre propre peau. Ne portez pas de fourrure »
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Le lieu était évidemment tentant : peut-on trouver scène plus exposée aux regards du monde entier que les jeux olympiques ? Malheureusement, la mise en scène choisie par l’intrépide militante est des plus convenues, voire des plus inquiétantes.
Un leurre d’appel sexuel sans rival
Il est entendu qu’aucun leurre ne rivalise avec le leurre d’appel sexuel pour capter l’attention. Mlle Beard pose donc comme il se doit, après tant d’autres avant elle, en plan américain, dans la tenue d’Ève, nue comme un ver. Une nageuse, c’est vrai, est habituée à se vêtir de peu et surtout pas de fourrure : il lui a donc suffit de tomber le maillot.
Mais morale publique oblige, même au pays laudateur depuis si longtemps des ondoyantes figures érotiques que peuvent dessiner « la Tige de Jade » et « la Vallée de Cinabre » dans leur commerce charmant, si l’on en croit Robert van Gulick dans son délicieux ouvrage, « La vie sexuelle dans la Chine ancienne » (Editions Gallimard, 1971) ! La belle se campe donc sagement de profil, des jambes jusqu’à son bassin olympique et place opportunément sur son buste tourné de trois quart une main pudique pour masquer l’essentiel qu’on voudrait tant voir.
Rien de plus conventionnel, cependant, que ce double jeu de l’exhibition et de la dissimulation qui, tout en stimulant les réflexes de voyeurisme et de frustration, satisfait autant la morale du groupe qu’il évite une fixation exclusive du regard sur les indices sexuels au risque de le détourner du produit à promouvoir.
Une esthétique de réalisme nationaliste
Seulement, censée illustrer la sensation d’ être bien dans sa propre peau, la posture est inexpressive au possible, voire en contradiction avec son message, tant elle est rigide et frigide. On en vient par intericonicité à y retrouver les allures emphatiques et ridicules des héros statufiés par feu le réalisme socialiste d’autrefois. Buste bombé, bras en équerre, la main reposant bravache sur le haut de la fesse, Mlle Beard entend sans doute signifier une liberté d’allure, mais son visage fantomatique la dément aussitôt : elle lève des yeux morts et son regard éteint se perd quelque part au-dessus de la tête du lecteur : on la sent prisonnière d’une idéologie asservissante.
La contradiction vient aussi du contraste stupide entre la fourrure et la nudité, comme si renoncer à la première revenait obligatoirement à choisir la seconde. Depuis l’époque des cavernes, les hommes n’ont survécu à l’infirmité de leur système pileux de « singes nus » qu’en se confectionnant des vêtements. Et les premiers étaient forcément des peaux de bêtes. Qu’aujourd’hui, la fourrure ne remplisse plus qu’une fonction toute secondaire de séduction de luxe peut sans doute justifier qu’on épargne les bêtes à qui on l’emprunte. Mais, Dieu merci, la nudité n’est pas la solution alternative.
L’autre incongruité de l’affiche est l’arrière-plan devant lequel a tenu à poser la pin-up. On est certes habitué à voir le drapeau américain accommodé à toutes les sauces. On ne voit pas ici pourquoi il a été choisi sinon pour proclamer à la face de la terre un attachement patriotique immodéré. Les jeux olympiques, c’est vrai, s’y prêtent.
Un manifeste de la femme américaine ?
Malgré tout, on voudrait bien faire crédit à Mlle Beard. Ne pourrait-on voir dans cette affiche un manifeste de la femme américaine « bien dans sa peau » et l’exhibant à sa guise, « si et quand elle le veut » ? Par temps de voiles islamiques proliférants où tant d’autres femmes emprisonnent la leur de gré ou de force, on saluerait volontiers son audace. Seulement sa posture respire à plein nez une esthétique nauséabonde, celle d’un nouveau réalisme politique, aussi laid que son prédécesseur, le réalisme nationaliste.
Que n’a-t-elle songé à s’inspirer de Daphné échappant aux assiduités d’Apollon non en s’emmitouflant de fourrure mais en devenant laurier, comme l’a sculptée splendidement dans le marbre Le Bernin ? Mais la nageuse américaine a-t-elle jamais fait quelques brasses jusqu’à ces rives de la culture qui lui eussent épargné le ridicule ? Pascal ne doit pas lui être davantage familier. « L’homme n’est ni ange ni bête, disait-il, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête. »
La différence est-elle, en effet, si grande entre l’affiche de Mlle Beard et celles qui sont aujourd’hui diffusés en Chine, à l’occasion des jeux de Pékin pour célébrer les dieux du stade chinois offerts à l’adoration des « masses » ? Portés, acclamés, implorés, exaltés par des millions de bras tendus au-dessus des têtes, dans un gigantesque orgasme collectif, ils surgissent au-dessus de la marée humaine pour, en se dépassant, accomplir l’acte héroïque le plus dérisoire qui soit : frapper un ballon ou le mettre dans un panier. Comme l’ont soutenu les présidents chinois et américain, les jeux olympiques sont avant tout sportifs et n’ont strictement rien à voir avec la politique : le réalisme nationaliste de ces affiches le montre à suffisance en effet.
Paul Villach
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