Une nouvelle photo de Paris-Match contestée : le communiqué ambigu de la Société des journalistes du magazine
La Société des journalistes de Paris-Match s’est émue, le 25 septembre 2008, de la retouche d’une photo publiée dans le numéro du 17 septembre 2008 : elle montrait le pape Benoît XVI et le président Sarkozy à leur sortie de la salle des fêtes de l’Élysée le 12 septembre précédent. S’est-il agi de changer le décor, de rapprocher les deux hommes ou d’effacer une grimace disgracieuse de l’un d’eux ?
Non ! Un garde du corps derrière le président a perdu la tête, ne laissant vaguement traîner qu’une jambe derrière celles du président. Le sens de la photo en a-t-elle été bouleversé pour autant ? L’entente étroite des deux hommes qu’elle illustre, souffre-t-elle de l’effacement d’un de leurs gardes du corps ?
Une protestation salutaire
Ce n’est évidemment pas ce que prétend la SDJ. Elle entend seulement s’élever contre la violation d’une règle de base : on ne retouche pas une photo. Elle a, c’est vrai, de bonnes raisons de se montrer pointilleuse, car la retouche d’une photo est un usage à Paris-Match : on se souvient de la princesse Caroline de Monaco qui avait ainsi été rapprochée de celui qui n’était pas encore déclaré comme son fiancé et qui deviendra son époux, par l’élimination du personnage qui les séparait.
Surtout la retouche de photo évoque les méthodes de la société stalinienne dont les dirigeants s’entredévoraient. Une photo célèbre de Staline entouré de ses compagnons s’est ainsi, au fil des ans, dépeuplée au fur et à mesure de leur élimination physique par le petit père des peuples jusqu’à ce qu’il se retrouvât dans une hautaine solitude. On les comprend, les journalistes de Paris-Match ne voudraient pas que leur magazine soit, par ces méthodes, associé dans les esprits à la Pravda d’alors.
Il est vrai que qui vole un œuf vole un bœuf. On commence par ôter un garde du corps et, de fil en aiguille, on finit par faire disparaître des personnages ou par les transporter dans un autre décor. Les possibilités qu’offre la technique numérique, sont sans commune mesure avec la gouache et les ciseaux d’autrefois. On ne conteste donc pas aux journalistes le droit à se montrer vigilants.
Mais une protestation ambiguë
Toutefois, il ne faudrait pas que ce soit au prix d’un leurre qui inculquerait une idée fausse. Toute photo, sans même subir d’outrage, est une retouche de la réalité, car elle n’est pas la réalité, mais seulement une représentation de la réalité. C’est ici que le bât blesse dans la protestation du SDJ : « L’altération des photos déforme la réalité, dit-elle, et doit être, en ce sens, strictement interdite. » La formule est malheureuse, car elle donne à croire que la photo non altérée pourrait être la réalité quand elle est déjà par elle-même retouche de la réalité.
Et celle-ci est d’autant plus dangereuse qu’elle n’est pas perceptible ou qu’on finit par l’oublier, tant la fidélité de la représentation est confondante. Cette retouche commence ni plus ni moins par le cadrage d’un champ qui exclut, hors-champ, plus qu’il ne retient. C’est ainsi que toute image est constituée structurellement d’une mise hors-contexte. Et chacun sait qu’à un mot, une phrase ou une image mis hors-contexte on peut faire dire ce qu’on veut.
Une excellente campagne publicitaire de la chaîne Planète, en octobre 1999, avait en deux photos fait une démonstration lumineuse (voir photos ci-contre).
- Sur l’une d’elles, deux enfants s’adonnaient insouciants à leurs jeux innocents en courant dans les eaux transparentes d’un lagon, du moins si l’on ne prenait pas garde aux retouches grossières effectuées à la gouache qui rétrécissaient le champ.
- Sur l’autre, rendue à un contexte plus large, le décor changeait et le sens de la photo avec lui. Sur la ligne d’horizon se déployait le champignon d’une bombe atomique et les deux gosses s’enfuyaient à toutes jambes comme si, les malheureux, avaient quelques chances d’échapper au rayonnement mortel.
Pour être utile, il ne faudrait donc pas que cette juste protestation du SDJ chasse un leurre par un autre. Une photo, retouchée ou non, ne peut pas être le fameux « terrain » si cher aux reporters qu’ils rapporteraient de leurs enquêtes, mais n’en est qu’« une carte » appauvrie dont la signification est toujours menacée par la mise hors-contexte qui lui est congénitale. Paul Villach
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