Une opération Win-Win
L'action punitive imminente de la part de certains pays occidentaux contre le régime d'Al Assad engendre une série de commentaires divers se focalisant surtout sur l'aspect abject ou 'humanitaire' de l'opération. Il faut pourtant considérer les choses telles qu'elles sont et se poser toujours la même question : à qui profite le crime ?
Il n'y a pas trente-six réponses. Pour comprendre ce qui se déroule sous nos yeux, il faut se concentrer sur les faits, non pas sur ce que les médias en distillent. Et là, les choses deviennent subitement claires. Il n'y a pas lieu de remonter bien loin dans le temps. Il suffit de voir ce qui s'est passé depuis la première attaque à l'arme chimique perpétrée en Syrie. Le monde entier s'en était offusqué. Le monde entier a réclamé une expertise. Il n'a pourtant pas menacé de représailles à l'époque. L'expertise réclamée devait avoir lieu cette semaine et c'est la raison pour laquelle les experts onusiens sont arrivés en Syrie. Que cela ait pris près de cinq mois est dû au fait que ni l'ONU, ni le gouvernement légitime syrien ne parvenaient à un accord sur les compétences de ces experts. Dès qu'ils y sont arrivés, la chose était conclue et les voilà à pieds d'œuvre.
Mais que s'est-il passé dans l'intervalle ? Nous savons tous que l'Occident impérialiste souhaitait la chute du régime en place et a tout manigancé pour ce faire. Cela n'a pas réussi, malheureusement. Qu'on arme, forme et soutienne ces rebelles – plutôt des terroristes – l'armée régulière syrienne parvient depuis plusieurs mois à déjouer leurs actions. Mieux, elle massacre ces rebelles, ces djihadistes sectaires, sanguinaires, cannibales. Mais ces derniers continuent d'affluer sur le territoire, envoyés et financés par le Qatar et l'Arabie Saoudite, venant parfois de leur geôles. Perdant continuellement du terrain, la position occidentale devenait intenable. Or, cet Occident, menée par les USA, avait accepté les pourparlers de paix appelés Genève II. L'Occident comptait toutefois sur quelques victoires afin d'avoir plus de poids dans ces pourparlers.
Malgré plusieurs tentatives infructueuses, les rebelles ne sont jamais parvenus à gagner du terrain. Ils se font écraser partout, systématiquement par l'armée régulière, une armée de conscrits, soulignons-le. Ces rebelles se sont alors tournés contre la population, la trouvant sans doute trop peu accommodante. Ils ont eu la bêtise de s'en prendre contre les Kurdes, les seuls à s'être maintenus à l'écart de toutes ces hostilités. Al Assad comprenant la situation mieux que personne a fait un vibrant appel au peuple en début d'année. Ce dernier a immédiatement réagi favorablement et depuis collabore ouvertement avec l'armée régulière pour éradiquer cette bande de dégénérés sanguinaires. Les Kurdes en font autant actuellement.
Pendant ce temps, le président égyptien est évincé par l'armée de son pays. On s'insurge, en Occident, car ce président a été élu démocratiquement. Je ne me prononce pas sur cette élection, mais il faut reconnaître que ce président s'intéressait très peu aux besoins de son peuple et favorisait davantage sa confrérie. Il a commis une faute grave vis-à-vis de l'armée. Peu avant son éviction, alors que le peuple manifestait déjà et que l'armée se tâtait, voilà qu'il décide de couper les liens avec la Syrie. Or l'armée égyptienne a de très grandes accointances avec la syrienne. C'en était trop et le président Morsi a été mis à l'écart.
Depuis, l'Égypte et la Syrie ont renoué et conclu un accord de collaboration pour éradiquer la vermine terroriste sur leur territoire. Les pays occidentaux n'en croyaient pas leurs oreilles et ont proféré des menaces. Le gouvernement égyptien leur tient tête, comme le fait Al Assad actuellement.
Autre fait récurrent est la gêne des Occidentaux face à ces rebelles qu'ils soutiennent officiellement. Ils se rendent compte que ces derniers sont incapables de renverser le régime syrien en place. On a beau les former, leur donner des armes sophistiquées, leur inculquer le maniement d'armes chimiques, ils ne parviennent pas à conquérir un pouce carré de territoire et se font piéger et massacrer systématiquement par l'armée régulière. Ils réclament davantage de soutien. L'Occident hésite car cette engeance n'est franchement pas fréquentable. Alors, que faire ?
Abandonner la partie n'est pas une solution. Stopper le soutien aux rebelles risque de les retourner contre leurs commanditaires, que nous sommes. C'est une crainte récurrente en Occident mais aussi dans les pétromonarchies arabes qui les financent. L'Occident ne peut perdre la face.
Cet Occident est en mauvaise posture, tant militaire qu'économique. Ses dirigeants sont peu chéris. Leur cote de popularité baisse partout, surtout aux États-Unis, en France et en Angleterre. Il est vrai qu'aucun d'entre eux ne parvient à juguler la crise qui les frappe. Ce sont de vraies calamités pour leur pays respectif (leurs prédécesseurs ne valaient pas mieux). Une aventure militaire de plus n'est pas une option réalisable. La population est plus concernée par le maintien de ses acquis sociaux que par des représailles punitives dans un pays qu'elle ne connaît même pas.
Vient alors l'occasion inespérée : la venue des experts. Pour fomenter un prétexte, les rebelles au Nord de la Syrie lance deux missiles sur une banlieue de Damas et tuent ainsi une partie d'autres rebelles avec qui, probablement, ils ne s'entendaient plus. Ils fabriquent au préalable des 'preuves' de cette action, nous envoie des vidéos de centaines de victimes. Personne ne sait d'où proviennent ces images, mais certainement pas de Damas. Les experts sur place nous en diront davantage bientôt. Enfin, espérons-le.
Pour l'Occident belliqueux et en perte de vitesse dans les sondages, l'affaire est parfaite. Il accuse, sans preuve, le régime d'Al Assad et prépare une expédition punitive. Les médias battent le tambour de concert, inféodés aux dirigeants et leurs commanditaires. On nous abreuve de commentaires et d'arguments et les experts militaires et autres professeurs patentés nous expliquent en long et en large ce qui va se passer.
Le ton monte de toute part. L'Iran menace. La Russie aussi, selon certains commentateurs, elle se tiendra coite parce qu'elle ne serait pas encore prête. On l'a vu, en Géorgie, en 2008, elle n'était effectivement pas prête. Mais voilà qu'un certain Feltman est dépêché par l'ONU à Téhéran pour discuter des affaires syriennes. Il semble que le gars voulait persuader l'Iran et son nouveau gouvernement d'abandonner Al Assad. C'est du moins la version officielle qu'on nous débite. Depuis quand un belligérant irait raconter ce qu'il prépare à son ennemi ?
L'empressement des Occidentaux est étrange. La Russie, cette incapable, envoie des bâtiments de guerre en Méditerranée. Elle en possède plus que les Occidentaux, 14 en tout dont trois sous-marins, nous affirme-t-on. Des commentateurs occidentaux nous serine que la base russe de Tartous, en Syrie, est vétuste et ne représente rien. Si c'était le cas, pourquoi les Russes envoient-ils une telle armada ?
L'Égypte, faisant fi des menaces occidentales, déploie des bataillons le long du canal de Suez et au Sinaï. Le gouvernement, par la voix de son ministre de la Défense, Al Sisi, interdit à tout bâtiment de guerre de traverser le canal. Une fameuse épine qui doit surtout inquiéter Israël. Si l'Égypte se met ouvertement à soutenir la Syrie, c'est que le pays n'accorde plus tant d'importance aux accords de paix conclus par ses prédécesseurs. Le Fata palestinien se rallie lui aussi au régime d'Al Assad. Et ceci en plein pourparlers de paix avec le régime sioniste.
En clair, par cette énumération, on peut en effet craindre le pire. Car personne ne sait comment la Syrie, l'Iran, la Russie, voire la Chine, réagiront. Or chacun de ces pays possède une clé de survie de l'Occident. Sans le gaz russe, plus d'un tiers de l'Europe se retrouve sans énergie. La Chine est le principal pourvoyeur de fonds du monde, détient l'avenir du dollar entre ses mains et nous fournit les ustensiles les plus élémentaires que nous avons eu la bêtise de leur transférer par nos délocalisations idiotes depuis plus de vingt ans. L'Iran détient le détroit d'Ormuz et peut stopper notre approvisionnement en pétrole. Sans oublier les effets dévastateurs que tout cela aurait sur les marchés dont nous dépendons outrancièrement. Ajoutez à cela le prix exorbitant qu'une telle campagne nous coûterait alors que nos économies sont moribondes et les représailles que cela engendrerait, non, franchement, l'opération est suicidaire à tous les niveaux.
Et pourtant, nos doctes dirigeants poursuivent imperturbablement. C'est qu'il y a une autre explication, plus terre-à-terre, n'ayant strictement rien à voir avec ce que nos médias nous serinent. Quel est le véritable danger en Syrie ? Les rebelles djihadistes et sectaires. L'Occident n'en veut pas, les pétromonarchies non plus et la Syrie encore moins. Ils sont donc tous d'accord pour les éradiquer d'une façon ou d'une autre. Mais cela doit se faire sans qu'une partie y perde la face. Et c'est précisément ce qui va se passer.
La coalition temporaire occidentale, épaulée par les Turcs et les pétromonorachies, entamera quelques frappes ciblées en Syrie. Via l'Iran, les USA ont prévenu ces derniers que cela se bornerait à ces quelques frappes insignifiantes et les ont priés de prévenir Al Assad de jouer le jeu. Il devra se contenter de quelques répliques sommaires pour rendre le conflit plus plausible aux yeux du monde médiatisé. De toute façon, les cibles choisies sont insignifiantes ou déjà désaffectées. La Russie est de connivence et sa flottille est là, dans les parages, pour assurer le respect de la portée de cette opération. Les rebelles, eux, sont dans l'ignorance et l'action doit leur démontrer que l'Occident tient parole. L'occident et leurs alliés les enjoindront de profiter de l'occasion pour attaquer les forces régulières. Les rebelles seront probablement convaincus et enchantés et sortiront de leurs caches.
Les Russes suivant tout avec leurs satellites transmettront les coordonnées à l'armée régulière syrienne qui pilonnera les positions rebelles, les exterminant le mieux possible. Tout le monde y trouvera son profit. Ensuite, ils pourront s'attabler à Genève et fixer l'agenda pour apaiser cette région du monde.
Les dirigeants occidentaux mêlés dans l'affaire profiteront de l'enthousiasme populaire que cette réussite aura occasionné et consolideront leur place politique. En clair, tout le monde y gagne, sauf les rebelles, la véritable cible de tout ce ramdam.
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