Une parabole
Vous intervenez dans une émission politique et le présentateur vous montre une image de chien en affirmant qu'il s'agit d'une vache. Etonné, vous tentez de corriger cette erreur manifeste : « Non, non, il s'agit d'un chien ! »
Que n'avez-vous-pas dit malheureux, le ciel médiatique vous tombe sur la tête.
Le présentateur, avec ce talent acquis par des années de métier, vous met plus bas que terre.
« Ainsi vous n'aimez pas les vaches, affirme t-il le plus sérieusement du monde »
« Mais quel est donc votre problème avec les vaches ? Vous n'êtes donc pas un ami des animaux ? »
Il est immédiatement relayé par un invité, un de vos ennemis politiques. Lequel pense utile de rappeler comment vous aviez stigmatisé un éleveur de vaches, qui réclamait, bien légitimement, une augmentation de ses subventions européennes. Ce qui prouve que déjà vous faisiez montre d'un acharnement contre le bétail.
La « guest star » de l'émission, une célèbre vedette du music hall, embraye en dénonçant le manque de cœur des gens tels que vous qui ne pensent qu'à demander des augmentations de salaires et qui méprisent profondément les animaux. C'est honteux dit-elle, avec des mimiques à faire pleurer dans les chaumières.
Lors de cette séquence émotion, le public de l'émission, bien encadré par les « chauffeurs de salle » vous conspue avec véhémence. Hoù ! Salaud ! Dehors !
Les autres invités de l'émission, qui ne sont pas de votre camp politique, en rajoutent par quelques phrases assassines, tandis que vos « amis » regardent le bout de leur chaussure l'air un peu gêné.
Assommé, vous tentez de répondre, de vous défendre, mais votre micro est coupé, et puis de toutes façons la caméra vous invisibilise. Ne diffusant de vous que des images de votre visage déformé par la colère.
Avec une fausse générosité, le présentateur vous accorde la parole et vous somme de répondre immédiatement à la grave question qui préoccupe tout l'auditoire :
« Êtes vous réellement cet être abject qui déteste les animaux ? » et il ajoute d'un ton impératif
« Et je vous demanderais d'être clair et de répondre par oui ou par non ! »
Vous tentez de placer une phrase d'explication pour dissiper ce qui vous paraît être un malentendu ou pire un traquenard, mais le présentateur vous coupe rapidement la parole et le micro.
« Ainsi vous persistez à soutenir la thèse ignoble des contempteurs des animaux ! »
« Honte à vous ! »
Le reste de l'émission est entièrement occupé par les commentaires des invités qui discutent gravement du problème posé par votre supposé déclaration contre la cause animale et des mesures radicales qui devraient être prises pour empêcher l'expression de telles insanités.
En sortant de l'émission vous êtes insulté par une partie du public, bien convaincu d'avoir été témoin de l'expression ignoble d’un être sans cœur.
Mais ce n'est pas fini.
Le lendemain votre nom est en première page de cinq journaux quotidiens, lesquels appartiennent au même groupe de presse, avec des titres éloquents :
« Clash contre les droits des animaux »
« Le mépris de la cause animale »
Et dans l'un d’entre eux, quotidien à très grand tirage, vous êtes qualifié par une expression triviale que la décence m'interdit de reproduire ici.
Et vous n'êtes pas au bout de vos surprises.
Sur quatre grandes chaînes de télévisions et deux radios, toutes possédées par deux groupes financiers, des extraits de l'émission à laquelle vous avez participé sont diffusés en prime time, accompagnés des commentaires les plus déplaisants.
Les images et les sons reproduits étant soigneusement « arrangés » pour vous faire apparaître comme un véritable monstre qui déteste tous les animaux.
En conséquence, sur les réseaux sociaux, des dizaines de milliers de gens vous insultent. La plupart n’ont pas vu l’émission concernée mais en profitent pour régler des comptes, tandis que d’autres se contentent de suivre le mouvement initié par des « influenceurs » du camp politique opposé au votre. Et puis d’authentiques détraqués en profitent pour se défouler sans même savoir de quoi il s’agit.
Finalement devant la masse des « signalements » effectués par vos détracteurs malveillants, les opérateurs finissent par bloquer vos comptes, « à titre temporaire » disent-ils mais sans en préciser la durée.
Même en allant faire vos courses, vous sentez les regards hostiles des autres clients et des commerçants. L'un d'entre eux, en toute illégalité, refuse de vous servir. Dépité vous rentrez chez vous commander une pizza par internet.
A cette étape vous vous dites que votre carrière politique est fichtrement compromise.
Hélas vous n'avez encore rien vu.
Deux jours plus tard, sur le coup de 6H du matin, une équipe de policiers lourdement équipés vient frapper à la porte de votre logement et vous demande de les suivre sans résistance.
Placé immédiatement en garde à vue, vous apprenez que plusieurs associations de défense des animaux, outrés par ce qu'ils ont cru comprendre de vos propos, ont déposé des plaintes basées sur les articles 521 du Code Pénal et L214-1 du Code rural. Et la justice, bonne fille, a suivi.
Après une fouille à poil – complète – suivie du retrait de vos lacets et ceinture, vous êtes placé dans une cellule immonde, aux murs couverts de crasse voire d'excréments afin, dit le préposé, « de vous laisser le temps de bien réfléchir ».
(…)
Le lecteur imaginera, dans le contexte de la France de 2024, la suite qu'il trouvera la plus vraisemblable pour cette parabole.
Etant précisé que si l'on excepte l'épisode totalement fictif du chien et de la vache, tous les faits rapportés ici se produisent réellement, et quotidiennement, dans notre beau pays.
Le faux est le vrai, le mensonge est la vérité, l'émotion est la loi, la raison est l'ennemie.
Étonnant, non ?
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