Une photo du président Sarkozy si peu présidentielle
Une couverture de Paris-Match parue en juillet peut avoir échappé aux juillettistes. Et ce serait vraiment dommage de les en priver. De mémoire de citoyen, a-t-on jamais vu un président de la République française s’exhiber de la sorte avec sa femme sur une couverture de magazine ? Imagine-t-on le général de Gaulle ou l’un quelconque de ces successeurs prendre pareille pose enamourée et infatuée.
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Des tourtereaux amoureux d’eux-mêmes
Les deux tourtereaux s’offrent en plan moyen sur toute la page, dans la mise hors-contexte d’un arrière-plan arboré rendu flou pour que les yeux du lecteur ne puissent pas être distraits et ne soient attirés que par eux.
Car c’est à un simulacre de communication interpersonnelle que le convie le couple présidentiel par une mise en abyme de l’image. Mais, si les tourtereaux plantent leurs yeux dans les siens, ce n’est même pas pour feindre d’entrer en contact du regard avec lui. Ils s’en soucient comme d’une cerise. Ils ne recherchent ses yeux que pour s’y mirer comme dans un miroir.
Seule leur image les intéresse : on le devine à leur sourire par une métonymie qui présente l’effet pour la cause, associée à une intericonicité invitant à reconnaître dans une image nouvelle une autre déjà vue ; c’est le plaisir de deux amants qui se contemplent dans la glace. Elle, bouche entrouverte, laisse échapper un cri d’admiration : « Je ris de me voir si belle en ce miroir », croit-on l’entendre chanter puisqu’elle est aussi chanteuse. Elle encourage même son président de mari à tomber sa grimace officielle qui lui sert de sourire. Et ce n’est pas faute de faire des efforts pour tenter d’offrir des yeux presque rieurs. Il n’y parvient pas : il ne montre qu’une frimousse chiffonnée. Comme Narcisse fasciné par sa propre image, ils sont tombés amoureux de la leur.
Un indécent mélange des genres
Peut-être est-ce la raison pour laquelle ils ne perçoivent même plus l’indécent mélange des genres auquel ils se livrent. De la fonction présidentielle, il ne reste guère pour la rappeler que leurs vêtements aux couleurs sombres et à la coupe classique : elle, si friande de fringues affriolantes quand elle ne préfère pas tout bonnement la tenue d’Ève, s’est attifée pour l’occasion d’une austère robe-chasuble. Lui porte l’uniforme de la fonction, chemise cravate sous le veston où luit à son revers la rosette de grand-maître de la Légion d’honneur.
Pour le reste, les interconicités aidant, ce n’est pas un couple présidentiel que l’on reconnaît, mais un couple de stars, comme il y en a tant, qui se pavanent et s’offrent à leurs fans pour entretenir chez eux le réflexe d’identification d’où ils tirent leur fortune. On peut aussi y voir seulement de simples amants exhibitionnistes dont le plaisir décuple à être regardés dans leur posture amoureuse : elle, elle lui passe un bras autour du cou et couche sa joue câline sur sa chevelure, tandis que lui adosse sa tête contre son buste.
Du moins, la distribution des postures de chacun n’est-elle pas conventionnelle. L’usage traditionnel impose à la femme d’être assise tandis que l’homme se tient debout à ses côtés conformément au rôle protecteur qui lui revient de droit du fond des âges. Ici, le président de la République française joue au « petit garçon », comme dirait PPDA : il s’abandonne dans les bras de son amante jouant le rôle d’une mère qui le materne et le presse contre son sein. Peut-être s’est-il agi de donner de lui qui s’est décrit lui-même comme « inhumain » avant qu’il ne changeât, l’image d’un homme tendre et sensible. Un public un peu fruste – qui sait ? – peut y être sensible lui aussi et s’y laisser prendre.
Un président en campagne publicitaire
Mais le changement n’est pas allé jusqu’à éviter un autre mélange des genres : « Pour la sortie de son nouvel album, lit-on, parmi les titres et sous-titres de la couverture, la chanteuse nous parle de la première dame ». Ce dédoublement de personnalité ne peut faire illusion : la première dame fait la promo de la chanteuse. Et, on l’a compris, le président de la République française se prête à la même campagne publicitaire pour promouvoir le disque de sa femme, comme un simple VRP. Il ne craint donc pas de mettre sa fonction officielle au service des intérêts privés non seulement de sa femme, mais de son éditeur.
Après son élection, le président Sarkozy avait prétendu se retirer quelques jours sur le yacht d’un ami richissime pour, selon sa formule, « habiter la fonction ». Il ne semble pas que, plus d’un an après, il y soit totalement parvenu. Certains étages de l’édifice présidentiel restent encore à meubler, à en juger par cette couverture de Paris-Match, sauf à admettre qu’un président de la République française puisse singer les mœurs d’une vulgaire principauté de Monaco. Paul Villach
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