Une publicité commerciale à visée politique ?
On ne saurait trouver publicité plus sobre et même plus triste. Nulle photo de pays exotique pas plus que d’hôtesses aguichantes dans ce placard publié par un nouveau journal gratuit « Direct matin ! (1) L’annonceur, « transavia.com », une compagnie aérienne du groupe Air-France-KLM, se contente en milieu de page d’un simple commentaire prêté à un client :« La France je l’aime mais à ce prix là, je la quitte ! » Juste au-dessus, un avion au décollage confirme le moyen de transport. Et au-dessous, trois médaillons bleus ciel cerclés de blanc affichent le prix de trois destinations en aller simple à partir de l’aéroport d’Orly.
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Même si un leurre, usé à force d’avoir servi, soustrait la dernière unité pour amalgamer la dizaine supérieure à la dizaine inférieure, 59 euros le voyage à Porto au lieu de 60, c’est donné, comme 79 euros pour Marrakech.
Une citation qui saute aux yeux
En faut-il davantage pour capter l’attention et déclencher un réflexe d’attirance ? On ne parle pas des prix mais du commentaire ! On retrouve dans le domaine des mots un procédé semblable à celui de l’intericonicité qu’on connaît dans celui des images et qui est désormais bien assimilé par certains lecteurs. Sous ses airs d’innocente redondance pour insister sur la modicité des prix, la citation politique ne peut manquer de sauter aux yeux d’un citoyen français. L’extrême-droite lepéniste en a fait son slogan des années durant : « La France, on l’aime ou on la quitte ». Pour attirer son électorat avec le succès que l’on sait, lors de la dernière élection présidentielle, le candidat de la Droite l’a même repris à son compte. C’est vrai qu’il a la force probante de l’évidence, grâce à l’ambiguïté volontaire du mot « France » ! Mais dès que l’on commence à oser soupçonner que la France peut offrir des visages contraires comme le montre l’Histoire, ce slogan simpliste se révèle être un leurre.
Un paradoxe d’humour noir
Sans doute « transavia.com » le détourne-t-il , comme d’autres détournent une affiche en mettant des moustaches à un personnage. Elle en inverse la logique pour en tirer un paradoxe :
la contradiction apparente entre amour de la France et départ doit être résolue par le coût dérisoire du transport qui encourage à s’expatrier. Mais est-ce suffisant ? Elle ne l’est, en vérité, que par l’humour - même noir - dont on veut bien créditer « transavia.com » : le départ allégué n’a ici rien de définitif, comme il l’est dans le slogan nationaliste, il n’est que provisoire, le temps de quelques jours de vacances.
Une dédramatisation d’un slogan inacceptable
Mais ne touche-t-on pas à la limite de l’acceptable ? Ce n’est pas que la stimulation du réflexe patriotique et/ou nationaliste par une entreprise soit répréhensible. La préférence nationale est souvent encouragée en sous-main par l’assortiment des couleurs du drapeau national. Et pourquoi pas ? Seulement, on soupçonne ici une autre ambiguïté volontaire : car même détourné, l’ultimatum nationaliste lancé aux immigrés n’en continue pas moins de contaminer le slogan de « transavia.com ». La compagnie aérienne se prêterait-elle à une campagne insidieuse d’imprégnation nationaliste des esprits ?
On objectera avec raison que le paradoxe humoristique en ruine le sérieux par le rire de la blague. Mais justement n’est-ce pas aussi une façon de dédramatiser par le rire un slogan inacceptable et de le banaliser ? Revient, en outre, à l’esprit le mot de Pierre Desproges qui ressuscite ces jours-ci sur Internet : "on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui". N’est-ce pas le reproche que l’on peut faire à « transavia.com », de vouloir, par voie d’affiche, de rire de tout avec n’importe qui ?
Pour autant, quand bien même « transavia.com » jouerait double jeu, on ne lui en voudra pas. Car un malheureux lapsus lui a échappé qui retourne à son insu le slogan contre la cause nationaliste peut-être défendue. Le départ de France d’un esprit cocardier, sinon nationaliste, n’est-il pas lié au profit escompté ? « À ce prix-là, je la quitte », est-il clamé ! Il est si vrai que tant de nationalistes ombrageux qui, en plus, ont le culot de temps à autre de revenir faire la leçon dans les médias à leurs compatriotes, ont le cœur en France et le porte-feuille à l’étranger pour des raisons fiscales. Faut-il donner des noms ? Paul Villach
(1) Quotidien dont l’actionnaire principal est M. Vincent Bolloré.
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