Une publicité culottée de RTL : la promotion de l’information par des leurres
On reconnaît aux leurres qu’il emploie, le type de poisson qu’un pêcheur cherche à capturer.
Il en est de même avec les médias. Faut-il être sûr de s’adresser à des naïfs pour concevoir une campagne publicitaire comme celle que réalise RTL actuellement ! Les activités de la station radiophonique sont déclinées sur plusieurs affiches. Parmi elles, « l’information » revient au moins à trois reprises selon un schéma identique d’une grande sobriété. Sur la photo d’un(e) journaliste, pris(e) en gros plan, sont simplement incrustés en hautes et fines lettres rouges ces deux mots « L’INFO ».

À l’évidence, cette sobriété de moyens prétend emprunter à la force probante de l’évidence : comme si ça coulait de source, RTL entend identifier la qualité de son information aux journalistes-stars qui présentent ses journaux, Christophe Hondelatte ou Adeline François, par exemple. Ceux-ci apparaissent solitaires dans une mise hors-contexte favorisée par le gros plan qui laisse peu de place à une toile de fond unie. Fixant des yeux le lecteur, selon le procédé de l’image mise en abyme, ils feignent de nouer une relation interpersonnelle avec lui. Les effets du leurre de la métonymie – regard ardent, bouche entrouverte, sourire juste esquissé - laissent à penser, par exemple, qu’Adeline François est saisie en pleine action : elle lève les yeux alors qu’elle est en train de parler au micro ou qu’elle vient de s’interrompre. Le cadrage décentré donne en outre l’impression d’un instantané pris sur le vif à la va-vite , quand la pose a été minutieusement composée : c’est le leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée qui vise à livrer de la journaliste une représentation sans artifices, naturelle et donc fiable comme l’information qu’elle délivre.
L’argument d’autorité de la star prescriptrice
Or, cette mise en scène est-elle bien de mise pour traiter un sujet comme « l’information », dont RTL entend faire un de ses produits d’appel qui attire l’auditeur ? Les leurres de l’affiche tendent déjà à démentir ce que la station veut affirmer, la fiabilité de son information. Et puis, franchement, peut-on raisonnablement fonder cette dernière sur la seule personnalité de stars qui s’en porteraient garantes ? On reconnaît le rôle d’argument d’autorité que la star prescriptrice joue si souvent. C’est oublier que le statut même de star obéit à une stratégie peu compatible avec « un discours de la méthode » qui recherche cette fiabilité. Pour susciter chez les fans le réflexe d’identification qui fait d’une personne une star, encore faut-il leur offrir matière à projeter leurs fantasmes et ne pas les en distraire. On doute qu’à ce compte, la fiabilité de l’information soit assurée. Il suffit de voir comme les stars savent, à l’instar des caméléons, prendre la couleur du milieu où elles évoluent, sous peine de décevoir et de n’être plus adulées.
Une information réduite au médium
On objectera que la fiabilité de l’information ici importe peu : la station de radio n’a d’autre but que d’attirer l’auditeur par tous les moyens et le plus efficace est de le sidérer par l’attrait physique du ou de la journaliste. C’est vraisemblable ! « Le médium est le message », ne cesse-t-on pas de répéter après Mac-Luhan. Qu’importe ce que peut dire une jolie fille ou un beau garçon ! Suspendu à leurs lèvres, l’auditeur boit leur paroles, fussent-elles erronées ou ineptes. L’information promise par RTL, à en juger par ces affiches, paraît, en effet, se limiter à n’être que l’aimable babil dont une star remplit son temps d’antenne. Et dans une telle proximité artificielle recherchée, l’information en perd d’ailleurs jusqu’à son nom pour n’être plus appelée que par son diminutif, « L’info ».
Le leurre du diminutif « L’info »
Or, cette privauté révèle-t-elle pour autant une connaissance intime de l’information ? Où aurait-elle été acquise ? À l’écoute des médias, à l’École ? Ils n’en livrent les uns et les autres que des leurres. La définition qu’ils en donnent, en est déjà un. Ils font croire partout sans rire qu’une information est « un fait » et même parfois « un fait brut », quand elle n’est que « la représentation d’un fait plus ou moins fidèle ». La différence est de taille : elle modifie du tout au tout l’accueil qu’on doit réserver à une information. La présenter comme « un fait » favorise la crédulité. La définir, au contraire, comme « la représentation d’un fait » commande l’usage du doute méthodique.
Et que peut bien signifier ce diminutif général « L’info » quand il existe trois variétés d’information très différentes l’une de l’autre au regard de la fiabilité.
- Ainsi « l’information donnée » est-elle peu fiable parce qu’elle est livrée volontairement et qu’elle passe donc au filtre des intérêts de l’émetteur : celui-ci la trie et la toilette à son gré. La campagne de RTL en est un bon exemple : elle prétend que la qualité de son information est garantie par ses stars-maison. Qui peut le croire ?
- En revanche, « l’information extorquée » est plus fiable, pour être obtenue par le récepteur à l’insu et/ou contre le gré de l’émetteur, échappant donc à son filtre. C’est l’objet de cet article, par exemple, qui, pratiquant le doute méthodique, repère les leurres de la campagne de RTL.
- Quant à « l’information indifférente » qui remplit pour une large part le temps d’antenne comme les colonnes des journaux, elle tire de son envahissement une fonction tactique ou stratégique pour offrir des modèles ou opérer une censure discrète en chassant les autres variétés d’information, sous la contrainte de l’exiguïté du temps et de l’espace de diffusion disponible. L’usage de stars relève le plus souvent de cette « information indifférente » qui offre des modèles auxquels les fans sont incités à adhérer : c’est ce que fait précisément la publicité de RTL.
Recourir à des leurres pour vanter la qualité de son information et attirer des auditeurs, voilà un paradoxe qui ne manque pas de culot ! Mais n’est-ce pas ainsi que procède le pêcheur quand il lance sa ligne avec un ver alléchant qui se tortille au bout ? On ne peut lui en vouloir, il est dans son rôle de pêcheur. Le poisson, en revanche, a tout intérêt à savoir repérer le leurre s’il ne veut pas finir dans la poêle à frire ! Paul Villach
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