Une publicité du « Figaro » qui prête à sourire
Qu’on ne se laisse pas prendre au leurre ! « Qui voit le ciel dans l’eau, voit des poissons dans les arbres », dit un proverbe. La photo ci-contre est, en effet, trompeuse ! Ce n’est que le joli reflet d’une place parisienne que l’on aperçoit dans la vitre d’un panneau publicitaire Decaux. L’affiche du Figaro qu’il présente, ne comporte, elle, aucune image : elle se réduit à un slogan avec tout juste une photo d’un exemplaire du journal plié en deux, auquel s’ajoutent un bandeau en pied de page, annonçant la parution d’une nouvelle présentation, et un second slogan « Le Figaro, s’informer pour décider ».
Deux paradoxes
Du coup la méthode pour capter et retenir l’attention est la même. Rien de tel qu’un beau paradoxe ! Il est propre à déclencher le réflexe inné d’attirance puisqu’il pose une énigme à résoudre avec la frappe de l’ellipse : « Toujours autant de pages de gauche que de pages de droite. », lit-on. La contradiction apparente tient à l’énoncé inutile de ce truisme : la belle affaire que de crier sur tous les toits qu’un journal présente autant de pages de gauche que de pages de droite ! La solution cachée est cependant à rechercher, sous une pointe d’humour sans doute pour en atténuer l’audace, dans l’ambiguïté volontaire des termes « gauche » et « droite ». Le journal laisse entendre que son contenu comporte autant de pages pour défendre des opinions de Gauche que des opinions de Droite. C’est un deuxième paradoxe. Car qui l’eût cru, en effet ?
Un équilibre entre Droite et Gauche ?
C’est tout de même une première ! La notion de « journal d’information » opposée à celle de « journal d’opinion » qui appartient aux dogmes de la théorie promotionnelle des médias ressassée depuis des lustres, serait-elle enfin abandonnée ? Le milieu journalistique commencerait-il à réviser sa mythologie insensée à force de se heurter à l’expérience qui l’invalide ?
Si c’est le cas, le progrès reste tout de même mesuré. Car si le Figaro revendique le seul statut qui vaille, celui de "journal d’opinion", c’est pour prétendre à une sorte d’équilibre entre les opinions de gauche et celles de droite, voire de neutralité. Est-ce possible ? Il est des contraintes économiques qui en font douter. Le journal n’est-il pas la propriété de M . Serge Dassault, l’avionneur et l’ homme politique qui a été récemment condamné à l’inéligibilité pour avoir dans sa circonscription de Corbeil inciter des électeurs à voter en sa faveur en leur distribuant des billets de banque ? Comment d’ailleurs Le Figaro a-t-il rendu compte de cette infâmie ? Ce serait intéressant d’y revenir. Peut-on raisonnablement croire que son journal partage à égalité ses convictions entre la Droite et la Gauche ?
Un exemple de partialité
Toujours est-il que, même si c’est le cas, il est des situations où l’on n’est pas assuré pour autant d’une représentation fidèle de la réalité, qu’on soit de Gauche ou de Droite. On a pris, par exemple, Le Figaro en flagrant délit de partialité en janvier 2009 (3). Dans l’affaire d’Étampes où une jeune professeur a failli mourir dans sa classe, en décembre 2005, sous les coups de couteau d’un élève, le journal a fait de la victime une coupable (!), en prenant honteusement le parti de l’administration au mépris même de l’autorité de la chose jugée : il a mis en doute, en effet, l’abandon de la professeur par son administration ; et pourtant, le tribunal administratif, le 14 novembre 2008, a bien condamné l’État à lui verser des dommages et intérêts pour une l’absence de protection statutaire due. Le journal s’est gardé de le rappeler !
Et puis - Surprise ! - il a même reproché à la professeur sa grâce et sa sensibilité comme autant de défauts dans le milieu scolaire passablement fruste où elle se serait imprudemment aventurée, en oubliant que c’est un recteur qui l’y avait nommée. Le journal est ensuite allé, pour faire bonne mesure, chercher dans ses origines corses la raison du conflit qui s’est élevé entre elle et son administration ! Ce genre d’opération de discrédit par mise hors-contexte s’observe à Droite comme à Gauche !
Le leurre de l’insinuation par sous-entendu
Mine de rien, d’autre part, un autre leurre se glisse dans ce slogan. Il est insinué par sous-entendu que les opinions de Gauche et celles de Droite ne sont pas si différentes : elles seraient même compatibles puisqu’elles peuvent apparemment coexister pacifiquement dans le même journal, et qui plus est dans Le Figaro qui se partagerait équitablement entre les unes et les autres. Est-ce encore possible ? On ne doute pas que le patronyme du journal évoque, à l’origine, un valet de Beaumarchais qui dit ses quatre vérités à son maître : « Noblesse, fortune, un rang, des places : tout cela rend si fier ! s’écrie-il dans un célèbre monologue de la pièce qui raconte son mariage (1784). Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. Du reste, homme assez ordinaire ! Tandis que moi, - morbleu ! - perdu dans la foule obscure, il m’a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes » Un peu auparavant, dans « Le barbier de Séville » (1775) on l’avait entendu admonester son ancien maître : « Aux vertus qu’on exige d’un domestique, lui demandait-il, votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d’être valets ? » Le journal a beau avoir emprunté sa maxime à une formule de Figaro, « Sans la liberté de blâmer il n’est pas d’éloge flatteur », on ne saurait soutenir sans susciter l’hilarité que le journal épouse l’idéologie du valet dont il porte le nom !
Un amalgame discret
Le dernier slogan du bandeau en pied de page montre lui aussi une inflexion feinte dans la mythologie médiatique traditionnelle. « Le Figaro, est-il écrit toujours de façon elliptique. S’informer pour décider ». Apparemment rien à redire, du moins dans un premier temps ! Car, à y regarder de près, le journal opère un amalgame discret, l’air de rien. Au lieu de proclamer : « Le Figaro vous informe pour que vous décidiez », il préfère envisager la relation du côté du lecteur appelé à « s’informer (grâce au seul Figaro) pour décider ». Or « informer » et « s’informer » sont deux démarches différentes. L’acte d’informer obéit à la loi d’influence puisque nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire. L’acte de s’informer, au contraire, tente de s’y soustraire en recueillant un pluralisme de sources pour tenter d’accéder à l’information la plus fiable possible. Le Figaro veut faire croire qu’il suffit de le lire pour s’informer et ensuite décider, comme s’il échappait à la loi d’influence. Il ne peut malheureusement pas plus le faire que de se soustraire à la loi de la pesanteur sur terre.
Cette publicité du Figaro le montre. La théorie promotionnelle de l’information diffusée par les médias est toujours bien vivante, malgré les ruses qu’ils emploient. Sans doute les dogmes traditionnels, comme « journal d’information » et « journal d’opinion », ne sont-ils pas assénés ici comme c’en était l’usage. Mais les mêmes croyances fondamentales en une sorte de neutralité n’en continuent pas moins d’ inspirer les médias dans leur recherche désespérée d’un crédit qui leur est de moins en moins accordé. Quand donc comprendront-ils que c’est en acceptant loyalement, sans les nier comme ils le font, les contraintes inexorables qui s’exercent sur l’information qu’ils pourront espérer gagner en considération ? Paul Villach
(1) Paul Villach, « Une audacieuse publicité du journal « Libération » : un paradoxe stimulant », AGORAVOX, 11 septembre 2009.
http://www.agoravox.fr/ecrire/?exec=articles&id_article=61352
(2) Paul Villach, « Une publicité culottée de RTL : la promotion de l’information par des leurres », AGORAVOX, 18 septembre 2009.
http://www.agoravox.fr/ecrire/?exec=articles&id_article=61749
(3) Paul Villach, « Karen-Montet-Toutain, ce survivant reproche vivant qu’aimerait discréditer Le Figaro », AGORAVOX, lundi 26 janvier 2009
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