Une révolution dans les économies occidentales
André Gide
La crise financière qui a secoué à des degrés divers les économies capitalistes avec des dommages collatéraux importants mais inaudibles pour les pays sous-développés, a amené les dirigeants des pays industrialisés à une introspection, celle de s’apercevoir que -même en terre d’opulence- la richesse n’est pas forcément synonyme de bonheur. On se serait douté. Font-ils preuve de philanthropie devant « la misère du monde » pour paraphraser un socialiste bon chic bon genre, Michel Rocard ? Que nenni ! Cela sent la manoeuvre pour faire perdurer un système même dimensionné à la taille des plus nantis qui fait eau de toute part et se dirige vers l’implosion à plus ou moins brève échéance ! Examinons avant de rentrer dans le vif du sujet quelques définitions pour fixer les idées et se retrouver dans le jargon hermétique des économistes.
En économie justement, le Produit national brut (PNB) correspond à la production annuelle de biens et services marchands créés par un pays, que cette production se déroule sur le sol national ou à l’étranger. Le PNB est la valeur totale de la production finale de biens et de services des acteurs économiques d’un pays donné au cours d’une année donnée. À la différence du PIB, le PNB inclut les produits nets provenant de l’étranger, c’est-à-dire le revenu sur les investissements nets réalisés à l’étranger.
Le Produit intérieur brut (PIB) est un indicateur économique qui mesure le niveau de production d’un pays. Il est défini comme la valeur totale de la production interne de biens et ser-vices dans un pays donné, au cours d’une année donnée, par les agents résidant à l’intérieur du territoire national. Le PIB/habitant ou produit intérieur brut par habitant (ou par tête) est la valeur du PIB divisée par le nombre d’habitants d’un pays. Il n’est qu’une moyenne donc il ne permet pas de rendre compte des inégalités de revenu et de richesse au sein d’une population.
Ces trente dernières années, la croissance du PIB s’est concrétisée dans les pays développés par l’explosion du « beaucoup avoir » d’une minorité et la relative stagnation d’une majorité. Sur la période 1998-2005, par exemple, les 0,01% des foyers français les plus riches ont vu leur revenu réel croître de 42.6% contre 4.6% pour les 90% des foyers les moins riches. Autre illustration : 50% du surcroît de richesses créées aux États-Unis entre 1983 et
Rapidement, il est apparu que le PIB était insuffisant pour rendre compte du développement dans ses multiples dimensions. Un autre indice a été développé en 1990 par l’économiste pakistanais Mahbub ul Haq et l’économiste indien Amartya Sen. L’indice de développement humain ou IDH est un indice statistique composite, créé par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) en 1990, évaluant le niveau de développement humain des pays du monde. L’IDH est un indice composite, sans unité, compris entre 0 (exécrable) et 1 (excellent), calculé par la moyenne de trois indices quantifiant respectivement : la santé /longévité, le savoir ou niveau d’éducation, le niveau de vie contrairement au PIB par habitant, qui présente des écarts qui peuvent être très importants avec l’IDH.
Chaque année, le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) publie l’indice du développement humain, un classement des Etats qui ne tient pas seulement compte des données économiques, mais aussi de facteurs humains comme l’éducation, la santé, l’environnement, la place des femmes. Loin, très loin de cette concurrence entre pays riches, il y a un autre monde. Celui de ces dix pays, tous africains, où deux enfants sur cinq d’aujourd’hui n’atteindront pas l’âge de 40 ans, et dans le cas de
Malgré cela, il est apparu que même l’IDH rendait insuffisamment compte du bien-être de la qualité de la vie, voire du bonheur. Les économistes dans les pays développés ont imaginé d’autres indicateurs qui, on l’aura compris, ne sont applicables en toute rigueur qu’aux citoyens de ces pays pour qui la survivance appartient au passé contrairement aux populations du Sud. Le niveau de vie fait référence à la qualité et quantité des biens et services qu’un individu ou une population peut s’acheter. Une mesure généralement utilisée du niveau de vie, pour une zone donnée, est le revenu par habitant réel ou des mesures de santé comme l’espérance de vie.
L’économie du bien-être est la branche de l’économie qui étudie le bien-être matériel. L’économie du bien-être se limite stricto sensu au bien-être individuel, par opposition aux groupes, communautés ou sociétés qui relèvent plus du bien-être social. Elle part de la supposition que les individus sont les mieux placés pour juger leur propre bien-être (rationalité), qu’ils cherchent à l’améliorer (utilité), et que celui-ci peut être mesuré soit directement en termes monétaires, soit sous la forme de préférences ordonnées. Pour un individu, on considère que, à travail fourni égal, le bien-être augmente lorsqu’il y a hausse du temps de loisir.
Le Bonheur national brut (BNB) est une tentative de définition du niveau de vie en des termes plus psychologiques et holistiques que le Produit national brut. Cet indice a été préconisé par le roi du Bhoutan, Jigme Singye Wangchuck, en 1972. Il apparaît comme un indice englobant le Produit intérieur brut (PIB) ou l’Indice de développement humain (IDH) qui apparaissent comme insuffisants pour mesurer le bonheur des habitants d’un pays. Il est basé sur quatre facteurs : la croissance et le développement économique, la conservation et la promotion de la culture bhoutanaise ; la sauvegarde de l’environnement et la promotion du développement durable ; la bonne gouvernance responsable. L’économie du bonheur est l’étude du bien-être en croisant les techniques de l’économie et de la psychologie avec une attention plus particulière à la notion d’utilité.
Plutôt que de viser à augmenter la quantité de biens de quelques-uns (en visant la croissance du PIB à tout prix), la politique économique devrait ainsi plutôt cibler la croissance de la qualité de vie de tous...Pour y parvenir, il importe notamment d’investir massivement sur les services d’intérêt général (éducation, santé, petite enfance, culture, sport, justice...) qui, centrés sur l’épanouissement des hommes, de tous les hommes, permettent une amélioration de la qualité de vie individuelle et collective. La croissance du PIB serait alors la conséquence et non le but...La nuance est de taille !
Le bien-être et
Erik Rydberg s’inscrit en faux contre la perception des pays industrialisés qui veut que croissance et bonheur,ça marche ensemble : « Que l’Ocde, gendarme autoproclamé de l’orthodoxie néolibérale, juge plaisant et opportun aujourd’hui, de sponsoriser des « happenings » académiques sur la décroissance, achève de fermer la boucle. Décroissance ? (...) Vue dans une perspective mondiale, la décroissance est une préoccupation de riches, une petite minorité - dans sa très grande candeur, elle s’inquiète parfois de voir tous les Chinois posséder une automobile- sans aller jusqu’au bout de sa pensée : on maintient le reste du monde en sous-développement pour sauver la « planète » ? Il s’agirait, entend-on, de proclamer avec force que l’argent ne fait pas le bonheur, qu’il y a autre chose dans la vie que l’accumulation de biens matériels. (..) C’est naturellement faire abstraction des couches sociales qui, de plus en plus larges, peinent à joindre les deux bouts, qui n’ont d’autre choix que mal manger, mal se vêtir et mal se loger. (...) Nous ne vivons pas, jusqu’à nouvel ordre, dans une société où les intérêts des uns correspondent à ceux des autres. Encore faut-il s’entendre sur ce qu’il conviendrait de faire décroître et, détrônant le sacro-saint objectif de croissance, ce par quoi on se propose de le remplacer.(...)(4)
Les travaux de
Toute l’argumentation de remise en cause des vertus de la croissance, mesurée sur la base de l’évolution du produit intérieur brut (PIB), n’a de sens que dans les pays du capitalisme avancé, où existe dans certaines classes sociales assez d’aisance matérielle pour rêver d’autres paradis. Pierre Bourdieu proposait de concevoir le libéralisme comme un programme de « destruction des structures collectives » et de promotion d’un nouvel ordre fondé sur le culte de « l’individu seul mais libre », « le néolibéralisme vise à la ruine des instances collectives construites de longue date, par exemple, les syndicats, les formes politiques, mais aussi et surtout la culture en ce qu’elle a de plus structurant et de ce que nous pensions être pérennes ».(...) Avec raison en 1997, Pierre Bourdieu avec sa lucidité coutumière avait lancé un appel pour qu’on procède à un vaste travail d’enquête en vue de fournir des « descriptions circonstanciées des souffrances engendrées par les politiques néolibérales » susceptibles de déboucher sur des indices ad hoc qui permettent de poser la question « des coûts sociaux de la violence économique et tenter de jeter les bases d’une véritable économie du bonheur ».(5)
En définitive, le bonheur est-il une notion scientifique ? Le mot n’est-il pas plus adapté, par exemple, à un grand moment de joie collective comme la victoire de l’Algérie quand elle a battu
1.Pierre Haski Rue. Développement humain : le danger d’un apartheid planétaire. Rue 89 29/11/2007
2. Edgar Morin. La politique de civilisation, Seuil, 2008
3.Le bonheur fait des progrès dans le monde Nouvel.Obs.Com 10.07.2008
4.Erik Rydberg : Croissance et bonheur, ça marche ensemble ? www.gresea.be
5.Pierre Bourdieu. L’essence du libéralisme, le Monde Diplomatique mars 1998.
Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique Alger enp-edu.dz
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