Une science sans limites pour un homme de plus en plus limité ?
Entre Neil Postman, Aldous Huxley ou George Orwell, nombreux sont les écrivains qui, dans leurs romans d’anticipations, ont décrit le nouveau monde dans lequel nous entrons, doucement mais surement. Si ce thème a été maintes fois abordé, il est aujourd’hui d’une actualité brûlante. C’est pour éviter les dérives de la fuite en avant vers le Progrès que certains réclament une réflexion sur ce qui fait la condition humaine.
Notre société actuelle est devenue une usine à frustrations. Dans son objectif de mettre l’infini à notre portée, de nous faire consommer tout ce qui est consommable et même plus, bref, de faire de l’individu un agent de consommation indifférencié, ce qui fait notre humanité est mis à mal. Ce qui nous reste est ce « double empire de l’artificiel et de l’argent, qui s’empare du plus intime de nos vies et saccage nos écosystèmes », selon Gauthier Bès, agrégé de Lettres.
Albert Camus nous avait pourtant prévenu et se voyait optimiste lorsqu’il affirmait, dans son discours de réception du Prix Nobel de littérature, que « chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. Héritière d’une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, ou de médiocres pouvoirs peuvent aujourd’hui tout détruire mais ne savent plus convaincre, cette génération a dû, en elle même et autour d’elle, restaurer un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir ». Mais nous n’en avons pas tenu compte.
Nous poursuivons notre course vers un monde aux contours définis, dans lequel la « société plus juste » a normé les conduites des citoyens, dans lequel l’hygiénisme est un nouveau dogme dispensé par l’Etat pour nous surveiller, nous circonscrire, nous limiter. Ce gommage des différence orchestre un véritable lissage de l'humanité.
Ces prédictions, confirmées par notre société actuelle caractérisée par ce « toujours plus de Progrès », se manifestent par exemple dans le véritable eugénisme dont sont aujourd’hui victimes les trisomiques 21. L’objet n’est pas ici de parler de l’acte même de l’avortement, mais simplement de s’interroger sur les raisons qui amènent aujourd’hui 96% des mères enceintes d’un petit trisomique à l’éliminer. Le coût pour la société serait ainsi moindre que le préjudice moral que lui occasionnerait un trisomique s’il vivait. Voilà l’argumentaire de l’Etat qui préfère financer un dépistage généralisé qu’un programme de recherche afin de guérir la maladie.
Cet exemple, contre lequel s’insurge par exemple la Fondation Lejeune en rappelant sans cesse que ces personnes ont également une dignité d’êtres humains, témoigne de la prépondérance de la rentabilité économique qui règne dans notre monde ultra libéral. L’organisation de notre société mériterait d’être repensée pour trouver de nouveaux équilibres, plus pérennes et plus justes. Selon les mots d’Ivan Illich, il est temps de bâtir une société « ou l’acte personnel retrouve une valeur plus grande que la fabrication des choses et la manipulation des êtres ».
Neil Postman, dans Se distraire à en mourir, affirmait qu’ « Orwell (1984) nous avertit du risque que nous courons d'être écrasés par une force oppressive externe. Huxley (Le meilleur des mondes), dans sa vision, n'a nul besoin de faire intervenir un Big Brother pour expliquer que les gens seront dépossédés de leur autonomie, de leur maturité, de leur histoire. Il sait que les gens en viendront à aimer leur oppression, à adorer les technologies qui détruisent leur capacité de penser ». Tachons d’être un peu plus optimiste. Le monde de demain n'est pas encore dessiné. Il nous appartient toujours d'en tracer les contours.
16 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON