Une secrétaire d’État aux Droits de l’homme peut très bien servir à s’essuyer les mains avant d’ avoir serré celles ensanglantées d’un dictateur
Si on ne sait pas ce que le pSarkozy avait à dire à Mme Rama Yade en la convoquant dare-dare à l’Élysée lundi matin 10 décembre 2007 après sa sortie tonitruante sur la visite du président libyen à Paris, on peut le deviner en raisonnant sur une représentation des faits la plus fidèle possible. Que sait-on ?

Les données du problème
1- Mme RamaYade, secrétaire d’État aux Droits de l’homme, a publiquement condamné la venue du colonel Kadhafi en des termes d’une rare violence qui a rendu toute autre désapprobation inaudible. Deux images restent à l’esprit : « le paillasson » - France sur lequel le dictateur viendrait « s’essuyer les pieds du sang de ses forfaits » - et « le baiser de la mort » que recevrait ainsi le « pays des droits de l’homme ».
2- Mme Rama Yade est ressortie du palais de l’Élysée en Secrétaire d’État, comme elle y était entrée.
3- Un désaveu aussi définitif de la politique gouvernementale, comme l’était celui de M. Chevènement à propos de la première guerre du Golfe en 1990-1991, est toujours traduit par une démission du ministre, qu’elle soit spontanée ou exigée.
Une hypothèse vraisemblable
Le
maintien de Mme Yade au gouvernement invite donc à imaginer une
hypothèse vraisemblable qui l’explique. Sa sortie fracassante, non
suivie d’une sortie automatique du gouvernement, ne lui aurait-elle pas
été demandée par le président de la République lui-même afin de couvrir
les voix qui s’élevaient contre cette visite compromettante ? Dans ce
cas, on peut très bien supposer ce que les deux complices ont pu se
raconter lundi matin 10 décembre dans le bureau de l’Élysée : ils se
sont félicités, le leurre a marché au-delà de toute
espérance. Les propos de la secrétaire d’État aux Droits de l’homme ont
été pris au sérieux. La preuve ? Ils ont fait le tour du monde des
médias au point que la seule opposition au voyage à Paris de Kadhafi
qui ait été entendue, est celle de Mme Rama Yade. C’est un comble !
Mais ce n’est pas le seul bénéfice de l’opération :
1- Mme Rama Yade
a pu ainsi démontrer qu’elle n’était pas qu’une potiche, qu’elle
servait à quelque chose, du moins quand le président décide de tirer
sur les fils qui la mettent en mouvement, pour, par exemple, s’essuyer
les mains avant même d’avoir serré celles ensanglantées d’un dictateur.
Dans le cas contraire, comme lors du voyage en Chine dont Mme Yade a
été privée, elle reste sur le tapis.
2- En second lieu, le président
fait la preuve de sa capacité d’ouverture et de tolérance au point
d’accepter au sein de son gouvernement des critiques que même
l’opposition n’aurait pas l’audace de formuler.
Le leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée
D’où
la question : comment a-t-il été possible de faire croire à une
information aussi incroyable ? Tout simplement par l’usage du leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée.
1- On sait que l’information donnée
n’est pas crédible parce qu’elle est livrée volontairement par un
émetteur qui y a intérêt. On s’en méfie donc. Quelle est ici
l’information que le président de la République avait intérêt à
diffuser ? Je ne veux pas recevoir Kadhafi, ce terroriste même pas
repenti ; je le fais à contre-cœur, je « fais don de ma personne » à la
raison d’État. Qu’on se le dise ! Je suis héroïque.
Voit-on le président convoquer PPDA et Mme Chabot pour leur faire cette
confidence ? C’est insensé. Non pas que ces éminents journalistes ne se
précipiteraient pas à l’Élysée toutes affaires cessantes ! Mais
personne ne croirait à cet état d’âme. Si vous ne voulez pas recevoir
Kadhafi, lui répondrait-on, ayez donc le courage de ne pas le recevoir.
Les infirmières bulgares sont libérées : « c’est double plaisir de
tromper le trompeur », dit La Fontaine.
2- Il s’agit donc de donner du crédit à cette information incroyable en la déguisant en une information extorquée.
Cette variété d’information tire sa plus grande fiabilité de l’enquête
que mène le récepteur plus ou moins sérieusement, et qui peut
malheureusement se résumer à un simple raisonnement.
- Il suffit donc de vicier son raisonnement en lui livrant une prémisse majeure qui conduira logiquement à la conclusion attendue. Ici, la prémisse majeure
est la réprobation publique du Premier ministre et du président
exprimée par un rappel à l’ordre lancé de l’étranger par le premier et
par une convocation immédiate de la fautive par le second.
- On en
déduit logiquement que Mme Rama Yade a agi de sa propre initiative et
sans en référer à quiconque, mettant dans un grand embarras le président qui s’apprête à recevoir son hôte encombrant. On a pu
entendre dire ici et là que le président aurait été « très énervé »,
qu’ « il (aurait) passé un savon » à sa « ministre inexpérimentée » et
qu’elle en serait sortie « habillée pour l’hiver ».
- On voit d’ici la poilade que les deux compère et commère se sont payée ! Le raisonnement qui conduit à une information extorquée fiable, car passée au crible de l’enquête sommaire du récepteur, repose en fait sur une prémisse majeure
qui n’est qu’une idée reçue non démontrée, fondée sans doute 99 fois
sur 100, mais peut-être pas cette fois-ci. La preuve ? Mme Rama Yade
est toujours à son poste et nul ne songe à le lui retirer.
Si cette hypothèse est vérifiée, on serait donc en présence d’un nouvel usage du leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée par les stratèges publicitaires qui assistent le président. On a vu déjà ce leurre à l’oeuvre dans les photos floues du yacht maltais où le président se reposait des fatigues de sa campagne après son élection. Ce leurre permet de faire savoir ce qu’on paraît ne pas vouloir faire savoir. L’information qui en ressort, devient fiable avec une apparence d’information extorquée, en sollicitant à son insu la coopération du récepteur à son propre égarement. C’est du grand art.
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