Une vidéo de Canal + : combattre l’ethnisme anti-Malien par l’ethnisme anti-Français ?
On n’en revient toujours pas. On l’a découverte en page d’accueil d’AgoraVox, hier, 13 janvier 2010 : extraite du magazine humoristique « Groland Magzine » diffusé récemment par le Grand Journal de Canal +, une vidéo, intitulée « Pas facile de s’intégrer », était ainsi commentée par le rédacteur qui la présentait : « C’est pourtant facile de devenir con comme un Français ». Le rédacteur parlait-il de lui-même ? C’est probable !
Le scénario sommaire se présente comme un pseudo-reportage en deux parties opposées. Le contraste est d’autant plus brutal que l’ellipse supprime toute transition d’une scène à l’autre. Chacune est censée montrer « en direct » la vie difficile d’un Malien récemment arrivé en France. Les séquences des deux parties offrent des scènes de vie quotidienne comparables, parfois identiques. Seuls différent, de l’une à l’autre, le vêtement et la conduite de l’immigré malien.
1- La première partie est elle-même construite sur un autre contraste : on voit le Malien en gandoura et calotte traditionnelles se répandre en démonstrations familières envahissantes, le rire au lèvres, à chaque rencontre : son voisin de palier, une vieille dame dans la rue et un marchand de fruits et légumes. Or, il n’essuie qu’indifférence du premier, rebuffades affolées de la seconde qui s’enfuit ou injure du troisième qui l’envoie promener : « Qu’est-ce qu’y veut l’marabout ? » lui lance-t-il.
2- Si la seconde partie entre en violent contraste avec la première, le contraste n’oppose plus le Malien à son entourage : il est désormais « assimilé ». Revêtu, cette fois, du costume européen, en veston et cravate, il est censé adopter les mœurs françaises : il ne salue personne, se montre agressif dans le bus ou en voiture, manque de politesse envers un garçon de café, ignore le code de la route, ne respecte pas la propreté avec son chien et passe indifférent devant un blessé de la circulation. Le voisin de palier a le dernier mot : « Ah ! fait-il, en se retournant sur son passage dans l’escalier. Il est bien maintenant ! Il est comme nous ! ».
Une distribution manichéenne des rôles
Ce contraste entre les deux parties s’accompagne forcément d’une distribution manichéenne des rôles implicite répartissant les personnages en deux camps opposés :
- dans le camp du Bien, le Malien fait figure de victime en raison de son ouverture spontanée aux autres qui la refusent, et de sa capacité à comprendre son devoir d’adaptation aux habitants du pays d’accueil.
- En revanche, dans le camp du Mal, s’entassent les bourreaux, c’est-à-dire tous les Français mal embouchés rencontrés qui ne manifestent qu’indifférence à autrui, incivisme et absence de compassion et de solidarité.
Cette distribution manichéenne des rôles vise à stimuler un réflexe de sympathie voire de compassion envers la victime rejetée injustement et un réflexe inversement symétrique d’antipathie envers ses bourreaux qui l’ignorent ou l’excluent sans raison. « « Ben oui !, conclut l’animateur Moustic, l’antipathie ça s’attrape encore plus vite que la pneumo ! » À l’évidence, cet animateur fait étalage de la bonne conscience où il baigne, en croyant se porter au secours des « victimes » immigrées et en faisant la leçon à ses compatriotes qui les rejettent. La claque réunie dans le studio partage en choeur cette bonne conscience et applaudit à tant de grandeur d’âme quand elle devrait la siffler.
La stimulation d’un réflexe anti-Français pour combattre un réflexe anti-Malien
Ce qui sidère, en effet, c’est que cet animateur Moustic ne s’aperçoit pas qu’emporté par son élan généreux pour porter secours à de prétendues victimes immigrées, il fait la culbute et adopte envers ses propres compatriotes la même conduite qu’il leur reproche, mais inversée : le réflexe ethniste anti-Malien qu’il dénonce chez eux devient chez lui symétriquement un réflexe ethniste anti-Français. (1)
1- Une mise hors-contexte générale
Ce pseudo-reportage repose, à l’évidence, sur une mise-hors-contexte générale : les démonstrations excessives d’amabilité du Malien n’en deviennent pas plus compréhensibles que la froideur ou les rebuffades des Français. La relation est interactive : l’incompréhension des unes entraînent celle des autres et réciproquement. Or, dans le cas d’espèce, deux cultures entrent en collision : l’une, malienne, avec sa dominante rurale et les coutumes relationnelles familières qu’engendre dans un village la connaissance de chacun, l’autre, française, avec sa dominante citadine et les habitudes relationnelles qu’instaure dans la ville l’anonymat de chacun perdu dans le grand nombre. Le regard de tous sur chacun au village est-il préférable pour la préservation de l’intimité de chacun ? Ce n’est pas sûr. Ce sont deux modes de vie différents adaptés à deux structures politiques opposées.
2- Une généralisation invalide
À cette mise hors-contexte s’ajoute la généralisation du jugement qui est la marque de l’ethnisme (1) : du comportement répréhensible de quelques uns, l’ethnisme en déduit un comportement répréhensible de tous attribué à une tare culturelle ou génétique. Oui, certains manquent en France de courtoisie, de propreté, de civisme, de compassion : peut-on s’autoriser pour autant à y voir des caractères propres aux Français en général ? Non, évidemment !
Sans doute faut-il concéder que cette vidéo use du comique de farce qui incite à prendre une distance par le sourire : les scènes sont volontairement outrées pour accentuer la distorsion entre ce qui est et ce qui devrait être. Mais ces scènes font-elles vraiment sourire ? N’est pas Molière ni Beaumarchais qui veut ! Ce comique incertain sous lequel il a prétendu s’abriter, ne suffit pas à l’animateur Moustic pour s’exonérer de l’accusation d’ethnisme anti-français : la distribution manichéenne des rôles demeure. Or, mise hors-contexte et généralisation infondée l’invalident. Pis ! Les auteurs de cette vidéo ne paraissent pas avoir soupçonné qu’en caricaturant et stigmatisant ainsi leurs compatriotes français, ils faisaient preuve de légèreté et prenaient le risque de stimuler par interaction un réflexe ethniste anti-Malien. L’enfer est pavé de bonnes intentions. Paul Villach
(1) On préfère les mots « ethnisme » ou « ethniste » aux mots « racisme » ou « raciste », car la génétique a prouvé que la notion de « race » n’est pas opérationnelle pour l’espèce humaine.
(2) Extrait de l’émission « Groland » Magzine « Pas facile de s’intégrer » diffusée dans le Grand Journal de de Canal +
« C’est pourtant facile de devenir con comme un Français », a commenté Epsilon, 13 janvier 2010 sur AgoraVox
L’animateur. - « On dit toujours comme le disait Jean-Paul Sartre, « L’enfer c’est les autres » et comme lui répondait Simone de Beauvoir : « L’autre, y t’emmerde ! »
Vincent Maronnier . -
(Scène d’un Malien dans sa cuisine faisant la vaisselle) D’origine malienne, Samba Bongo est arrivé à Grolandville l’hiver dernier. Pour lui, la grande métropole, c’était un nouvel apprentissage à la vie (sic)…
(Scène du Malien en habit traditionnel quittant son appartement)
… qu’il a abordé avec sa bonne humeur habituelle
(Scène de rencontre du voisin qu’il aborde en riant)
« Ah ! bonjour mon ami ! ça va ? (voisin interloqué) Allez ! Salut ! Hein ! »
(Scène de rue)
Souhaitant s’intégrer rapidement, Samba n’a pas hésité à toujours faire le premier pas vers les autres. Mais il va vite déchanter.
(Scène de Samba tendant la main à une vieille dame qui le repousse et s’enfuit.)
« Bonjour Madame ! Faut pas avoir peur, Madame ! »
(Scène de Samba saluant un marchand de légumes)
« Bonjour, mon frère !
- J’suis pas ton frère ! Bon ! Qu’est-ce qu’y veut l’marabout ? » (Rire de Samba qui s’en va et marche heureux sur le trottoir.)
Des regards réprobateurs, des remarques à peine voilées, voire pas voilées du tout. Au bout de quelques semaines, Samba doit s’y résoudre malgré sa bonne volonté, ses tentatives d’intégration ont échoué. Pour lui, la conclusion coule de source.
(Samba attablé en train de manger)
« J’arrive dans un pays qui n’est pas le mien. C’est pas aux autres de s’habituer à moi, c’est à moi de m’habituer aux autres, c’est normal, c’est comme ça. Moi je comprends ça ? C’est la vie ! »
Pour Samba, c’est décidé : il va faire tous les efforts nécessaires pour s’insérer dans cette société. Nous l’avons suivi une journée. Il a fait un sans faute.
(Même scène de Samba quittant son appartement en habits européens, veston et cravate, mine renfrognée.) Il ne dit bonjour à personne de la journée (Il croise un voisin dans l’escalier en l’ignorant. Dans le bus, il repousse brutalement le sac à main de sa voisine). Il fait la gueule dans tous les transports en commun. (Au restaurant) Il traite tous les garçons de café comme de la merde. (En voiture) Il claxonne à tous les feux, à peine passés au vert. Il se gare comme un salaud (Il se gare sur un trottoir). Il fait chier son chien n’importe où (Le chien fait sa crotte dans un couloir), et il croise un homme en sang sans s’arrêter ni prévenir les urgences (Un motocycliste en vespa gît à terre. Il croise son voisin de palier en rentrant chez lui sans le saluer) Bref un modèle d’intégration.
- Le voisin : « Ah ! Il est bien maintenant ! Il est comme nous ! »
Applaudissements de la claque dans le studio du Journal de Canal +)
L’animateur . - « Ben oui ! l’antipathie ça s’attrape encore plus vite que la pneumo ! »
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