Valérie Trierweiler face à la civilisation du spectacle
Le grand écrivain sud-américain, Mario Vargas Llosa, prix Nobel de littérature, pose dans son dernier essai, La civilisation du spectacle (Gallimard), titre dont on sait ce qu'il doit à la célèbre Société du spectacle de Guy Debord, cette question essentielle à la compréhension du monde contemporain : « Que veut dire civilisation du spectacle ? Celle d'un monde où la première place sur la table de valeurs en vigueur est occupée par le divertissement, et où se divertir, échapper à l'ennui, est devenu la passion universelle. Cet idéal de vie est, certes, parfaitement légitime. (…) Mais transformer en valeur suprême cette propension naturelle (…) a des conséquences inattendues : la banalisation de la culture, la généralisation de la frivolité et, dans le domaine de l'information, la prolifération de la presse irresponsable, potinière et scandaleuse. »
PENSEE UNIQUE, CONFORMISME AMBIANT ET TRIVIALITE MEDIATIQUE
Le constat est, certes, aussi amer qu'affligeant pour l'intelligence humaine : ce sont les insidieux mais. terribles ravages de la pensée unique, le conformisme ambiant tout autant que la trivialité médiatique, que Vargas Llosa fustige en cette judicieuse analyse critique. Qui connaît un peu les méandres de la presse, pour ne s'en tenir qu'à cette spécialité en vogue aujourd’hui, ne pourra, du reste, que lui donner, hélas, raison ! Qu'il suffise, pour s'en convaincre, de considérer la manière, souvent aussi inutilement tapageuse qu'injustement outrancière, dont, en France, elle a traité ces derniers mois, à longueur de pages, les insignes cas, même s'ils ne sont guère comparables dans la gravité des faits incriminés, de Dominique Strauss-Kahn ou de Valérie Trierweiler, sur lesquels je me suis par ailleurs déjà beaucoup exprimé, en les défendant face aux ignominies dont ils étaient accusés.
Sur Dominique Strauss-Kahn, à propos duquel je laisse au lecteur le soin d'apprécier, ou non, l'une de mes nombreuses défenses (http://m.lalibre.be/debats/opinions/le-proces-de-dsk-un-meurtre-symbolique-51b8e820e4b0de6db9c60a0b), je ne reviendrai pas ici. Qu'il me soit toutefois permis d'insister, en revanche, sur Valérie Trierweiler, que je crois avoir été l'un des premiers et rares intellectuels français à avoir publiquement défendue, avant et après la publication de son livre, Merci pour ce moment (Éditions des Arènes), alors qu'elle subissait l'opprobre. Voici, à ce propos, le lien électronique (http://www.lepoint.fr/politique/pour-valerie-trierweiler-13-06-2012-1472740_20.php) vers cette tribune, intitulée Pour Valérie Trierweiler, que le site du « Point » me publia le 13 juin 2012.
LA DANDY DE LA REPUBLIQUE : UN INCORRUPTIBLE ESPRIT DE LIBERTE
Ce que j'y défendais, chez celle que j'avais appelée là, pour sa distinction naturelle comme pour son caractère rebelle, « la dandy de la République » (la formule, depuis, a fait fortune), c'était, avant tout, son indomptable et bel esprit de liberté : Valérie Trierweiler, magnifiquement libre et insolente, titra même le site du « Plus-Nouvel Obs » (http://leplus.nouvelobs.com/contribution/570432-valerie-trierweiler-la-dandy-de-la-republique-magnifiquement-libre-et-insolente.html) à propos d'un autre de mes articles sur ce sujet.
Cet esprit d'indépendance, je l'avais illustré à travers ce qu'en écrivit ce grand écrivain du XIXe siècle que fut Jules Barbey d’Aurevilly dans le superbe tableau qu’il brossa, en son essai sur le dandysme, de Lord Brummell : « Ce qui fait le Dandy, c’est l’indépendance. Autrement, il y aurait une législation du Dandysme, et il n’y en a pas. » Aussi pertinent qu'impertinent, il en infère : « Ainsi, une des conséquences du Dandysme, un de ses principaux caractères (…) est-il de produire toujours l’imprévu, ce à quoi l’esprit accoutumé au joug des règles ne peut pas s’attendre en bonne logique. (…). C’est une révolution individuelle contre l’ordre établi, quelquefois contre nature (…) Le Dandysme, (…) se joue de la règle et pourtant la respecte encore. Il en souffre et s’en venge tout en la subissant ; (...) il la domine et en est dominé tour à tour : double muable caractère ! » Il conclut : « Tout dandy est un oseur ». Autant de prérogatives dont peut se prévaloir, en effet, Valérie Trierweiler !
DROITURE MORALE, MALGRE L'ADVERSITE
Mais la belle et très distinguée Valérie, ce n'est pas, toutefois, que cela. Non : c'est, pour qui a eu le privilège de l'approcher sur le plan humain, et d'en connaître ainsi un peu mieux la complexité du caractère, beaucoup plus. Car à sa notoire élégance physique, symbole du chic à la française, comme à sa légendaire liberté de ton, paradigme de toute femme émancipée, s'ajoute, chose non négligeable sur le plan psychique cette fois, une autre et précieuse qualité : une rare noblesse d'âme, où la sincérité des sentiments, fussent-ils parfois douloureux à supporter, n'a d'égale que l'exigence des valeurs éthiques. Oui : contrairement à ce que d'hypocrites et vulgaires gazettes à scandales peuvent parfois propager de manière éhontée, et souvent lâche, à son encontre, il y a beaucoup de dignité, cet humble mais docte mélange de courage moral et d'honnêteté intellectuelle, chez Valérie Trierweiler. Il y a de la droiture en elle, et elle ne plie pas, malgré l'adversité !
Je me souviens, à ce propos, de ce que mon cher Oscar Wilde, ce flamboyant quoique tragique dandy sur lequel j'ai tant écrit, énonça en cet opuscule trop peu connu qu'est son Âme de l'homme sous le socialisme (un certain François Hollande, socialiste président de la République, pourrait, méditant ces sages paroles, en prendre de la graine !) : « En ce qui concerne les journalistes modernes, ils n'arrêtent pas de vous prier en privé d'excuser ce qu'ils ont écrit contre vous en public. ». Si bien qu'on ne sait, au bout du compte, si c'est la lâcheté desdits journalistes ou leur consternante servilité face au pouvoir en place, qu'il faut, en l'occurrence, blâmer le plus ! Toujours est-il que, bouclant la boucle, c'est Mario Vargas Llosa lui-même, par lequel l'on a entamé cette tribune, qu'Oscar Wilde semblait, magistral et lucide, anticiper là...
Ainsi, pour en revenir à Valérie Trierweiler, c'est à juste titre qu'elle a pu exprimer, pas plus tard que ce jeudi 15 octobre 2015, à la Maison de la presse de Liège, en Belgique, son exaspération face aux incessants ragots, et autres rumeurs de bas étage, la concernant : « Je ne me vois pas du tout comme une people » (http://www.lexpress.fr/styles/vip/valerie-trierweiler-je-ne-me-considere-pas-du-tout-comme-une-people_1726245.html), y a-t-elle déclaré, pour qui voulait bien l'entendre, à raison.
PRIX SAGA CAFE : VERA, DE JEAN-PIERRE ORBAN
Quant à savoir ce qu'elle pouvait bien faire à Liège ce jour-là, en voici la véritable raison : elle était la marraine d'un prix littéraire annuel – le Prix Saga Café, récompensant l'auteur d'un premier roman, équivalent belge du prix du Café de Flore – que j'ai moi-même créé, dans cette même ville, il y a maintenant six ans.
Oui, aussi surprenant, du moins pour certains esprits chagrins, sinon malveillants, cela puisse-t-il paraître à première et superficielle vue : Valérie Trierweiler, marraine d'un important prix littéraire, ayant désormais pignon sur rue, et quelle marraine ! Valérie, intelligente et cultivée, et surtout en excellente professionnelle qu'elle est, a fait, lors de la cérémonie de remise de ce prix, un splendide résumé, discours tout en nuances et finesse, empreint de ce charme discret propre aux profondeurs de l'intelligence, du livre primé : l'éblouissant Vera, publié au prestigieux Mercure de France, et dont l'auteur est Jean-Pierre Orban, déjà mis à l'honneur, il y a quelques mois, pour ce même roman, à l'Académie Royale de Langue et de Littérature Françaises de Belgique.
L'ENGAGEMENT HUMANITAIRE
Mais, surtout, ce qui m'a le plus frappé, à l'occasion de cet événement culturel, c'est la longue, féconde et intense conversation que nous avons eue ensuite ensemble, Valérie et moi, lors du déjeuner qui a suivi cette cérémonie. Car, loin des médisances des potins parisiens, bien loin de ce médiocre germanopratisme caractérisant trop souvent la très snob gauche caviar, c'est de nos engagements respectifs, sur le plan de l'action humanitaire bien plus encore qu'au niveau de la pensée politique, dont nous avons surtout et très agréablement parlé, en toute franchise, gentillesse, confiance et amitié. Une belle complicité intellectuelle !
Ainsi avons-nous fermement condamné, par exemple, la peine de mort, y compris aux États-Unis, pays censé être la plus grande démocratie de la planète, n'épargnant pas, pour ce faire, les incompréhensibles silences, sur cette douloureuse question, de Barack Obama. Nous avons aussi déploré la faim dans le monde, dénoncé le malheureux sort des migrants, fustigé la maltraitance des enfants, stigmatisé le viol des femmes. Bref : un réquisitoire, en bonne et due forme, contre l'injustice, la souffrance des hommes, les malheurs de la terre, l'absurdité des guerres, l'obscurantisme du fondamentalisme religieux, le crime partout où il sévit aux quatre coins du globe.
UNE CONSCIENCE CRITIQUE
Oui : Valérie Trierweiler, femme éminemment libre mais non pour autant insolente, incarnation d'une certaine forme de résistance à toute oppression, c'est peut-être, comme je l'ai naguère dit, la « dandy de la République », mais c'est, surtout, une conscience... une conscience critique, vigilante et aux aguets, recelant en secret, au tréfonds de l'âme, un humanisme que l'arrogante étroitesse de la bien-pensance ne soupçonne pas.
Valérie Trierweiler, sans certes la surestimer outre-mesure (elle me le reprocherait, dans son aimable modestie, avec raison) gagne à être connue, et mérite d'être reconnue, à sa juste valeur !
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
*Philosophe, auteur de « Philosophie du dandysme - Une esthétique de l’âme et du corps » (PUF), « Oscar Wilde » et « Lord Byron » (Gallimard - Folio Biographies), « Oscar Wilde - Splendeur et misère d'un dandy » (Éditions de La Martinièrre) et « Le Testament du Kosovo – Journal de guerre » (Éditions du Rocher).
11 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON