Valérie Trierweiler : la dandy de la République
On savait déjà Valérie Trierweiler, la compagne de François Hollande, intelligente et cultivée : ses chroniques à Paris Match ne laissent planer, sur ce point, aucun doute. Elles font souvent mouche !
On la savait également une femme belle et distinguée : son allure lors de la cérémonie d’investiture de François Hollande à la Présidence de la République, le 15 mai dernier, a paru même infiniment plus chic, avec sa simple mais élégante robe noire et ses fins escarpins à hauts talons, que la pourtant gracieuse Carla Bruni, alors quelque peu godiche, à côté d’elle, avec ses chaussures plates, son pantalon un peu long et son air fatigué. Sarko était vraiment épuisant !
Mais on sait maintenant Valérie Trierweiler une femme libre également : ce qui, dans la France un peu coincée d’aujourd’hui, surtout chez ces politiciens engoncés en leurs très conventionnelles postures de circonstance, ne peut, certes, que surprendre ce que d’aucuns appellent à raison, pour mieux la fustiger, la « pensée unique ».
Car c’est en effet de cet inestimable esprit d’indépendance, le bien le plus précieux pour tout homme et toute femme épris de cette valeur suprême qu’est la liberté de pensée et de parole, dont la première dame de France a fait remarquablement preuve en affichant publiquement son soutien, contre les injonctions du Parti Socialiste et donc contre son compagnon lui-même, le très puissant Président de la République, à Olivier Falorni, dissident socialiste menaçant de battre Ségolène Royal, dans la circonscription de La Rochelle, au second tour des législatives.
Le premier drame de France, comme l’ont qualifié les mieux inspirés !
Je suis en outre convaincu que cette femme d’une rare noblesse de sentiments, comme de force de caractère, n’a agi là qu’en conscience - l’emploi du terme « désintéressé », fréquent chez elle, y compris dans ce fameux tweet, tend à le prouver - et non bassement mue par un quelconque esprit de vengeance personnelle, de mesquine rivalité ou de vulgaire jalousie.
Ce séditieux et nécessaire esprit d’indépendance, signe d’une tout aussi appréciable âme rebelle, ce grand écrivain du XIXe siècle que fut Jules Barbey d’Aurevilly l’explique particulièrement bien, tout en finesse et nuance, dans le superbe tableau qu’il brossa, en son petit mais historique essai sur le dandysme, de Lord Brummell, alors surnommé, tout à la fois, le « prince des dandys », l’ « arbitre de l’élégance » et « Beau Brummell » : « Ce qui fait le Dandy, c’est l’indépendance. Autrement, il y aurait une législation du Dandysme, et il n’y en a pas. »1, y stipule-t-il.
Il ajoute, y conférant par la même occasion une définition aussi pertinente qu’originale du dandy : « Tout Dandy est un oseur, mais un oseur qui a du tact, qui s’arrête à temps et qui trouve, entre l’originalité et l’excentricité, le fameux point d’intersection de Pascal. »2.
Puis il conclut : « Ainsi, une des conséquences du Dandysme, un de ses principaux caractères (…) est-il de produire toujours l’imprévu, ce à quoi l’esprit accoutumé au joug des règles ne peut pas s’attendre en bonne logique. (…). C’est une révolution individuelle contre l’ordre établi, quelquefois contre nature (…) Le Dandysme, (…) se joue de la règle et pourtant la respecte encore. Il en souffre et s’en venge tout en la subissant ; il s’en réclame quand il y échappe ; il la domine et en est dominé tour à tour : double muable caractère ! Pour ce jeu, il faut avoir à son service toutes les souplesses qui font la grâce, comme les nuances du prisme forment l’opale, en se réunissant. C’était là ce qu’avait Brummell. Il avait la grâce comme le ciel la donne et comme souvent les compressions sociales la faussent. Mais enfin il l’avait, et par-là il répondait aux besoins de caprice des sociétés ennuyées et trop durement ployées sous les strictes rigueurs de la convenance. Il était la preuve de cette vérité (…) : c’est que si l’on coupe les ailes à la Fantaisie, elles repoussent plus longues de moitié »3.
De fait : « cette révolution individuelle contre l’ordre établi », cette très subtile manière de se « jouer de la règle tout en la respectant encore », cette encore plus adroite façon de « s’en venger tout en la subissant » et de « la dominer en étant dominé tour à tour », c’est là l’immense et rare privilège dont peut se targuer aujourd’hui, tel ce « double muable caractère » qu’incarna jadis le beau Brummell, la belle Valérie !
Cette éminente femme dandy des temps modernes, magnifiquement insolente avec ses tweets impromptus qui font jaser jusqu’aux plus mauvaises langues du Palais Bourbon, affolent les cerveaux les plus compassés de la République et font trembler jusqu’aux ors de l’Elysée, n’a pas seulement, pour elle, le poids des mots et le choc des photos, comme ont pu ironiser certains balourds rompus à la médisance. Elle a surtout, comme tout authentique dandy, même lorsqu’il s’ignore, l’étoffe, alliée au panache, des vrais héros : courageux et solitaires, insoumis même dans l’adversité et indomptables même sous la contrainte.
C’est là, du reste, la plus profonde et juste des définitions que l’on ait jamais donnée du dandysme : « le dandysme est le dernier éclat d’héroïsme dans les décadences »4, établit le grand Baudelaire, maudit d’entre les maudits et impie parmi les impies, dans une critique d’art ayant pour emblématique titre Le Peintre de la vie moderne.
Certes serait-il exagéré, et même inexact, de dire que la France contemporaine vit aujourd’hui, malgré son conformisme ambiant et son moral en berne, une époque de décadence. Elle vient même de prouver, avec l’élection de François Hollande à la tête de l’Etat, exactement le contraire : l’alternance politique, voire idéologique, est un indubitable signe de bonne santé sociale et d’équilibre démocratique. Mais, enfin, la France serait-elle donc devenue à ce point provinciale, « bon chic bon genre » et petite-bourgeoise, que même Ségolène, femme pourtant réputée émancipée, ne comprendrait pas combien Valérie, ainsi parée de la race des seigneurs, s’avère… royale ?
Il n’est pas d’ordre qui tienne, ni de diktat qui vaille, pas même émanant du parti de la personne avec laquelle on partage sa vie, face à un dandy pour qui l’existence tout entière consiste à se poser en s’opposant, pour mieux s’imposer : question d’exigence intellectuelle plus encore qu’esthétique.
On appelle cela le style.
Quant à savoir si l’autorité du Président aurait été ainsi écornée, remise en cause ou malmenée, c’est là une question dont un dandy, libertaire et subversif par définition, n’a franchement que faire : « La désobéissance, pour qui connaît l’histoire, est la vertu originelle de l’homme. C’est par la désobéissance que le progrès s’est réalisé, par la désobéissance et par la révolte. »5, affirme Oscar Wilde, faisant de la rébellion un facteur de progrès pour toute civilisation, dans cette utopie socialo-anarchiste que représente ce petit livre programmatique qu’est le bien nommé « L’âme de l’homme sous le socialisme ».
Valérie Trierweiler, la dandy de la République !
Reste à espérer qu’elle n’aura pas à payer un jour le très cher prix de cette liberté qu’elle ose ainsi s’accorder à l’ombre de l’Elysée, mais sous la lumière des projecteurs. C’est pour ce type d’impudence que Lord Brummell fut naguère banni par le Prince de Galles, à qui il s’était permis de tenir effrontément tête lui aussi, de Buckingham Palace.
Il fut répudié, jusqu’à un exil forcé, par tous les courtisans de Londres. Il n’en manque pas non plus, aujourd’hui, à Paris, où, si on ne coupe certes plus les trop fortes têtes, on sait néanmoins encore comment abattre les trop grandes gueules.
Et ça, ce n’est pas très dandy !
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
*Philosophe, auteur de « Philosophie du dandysme - Une esthétique de l’âme et du corps » (PUF), « Oscar Wilde » (Gallimard - Folio Biographies) et « Le Dandysme - La création de soi » (François Bourin Editeur)
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