« Vania » Supplément d’âme tchékhovienne au Vieux-Colombier
En adoptant une configuration bi-frontale pour rendre à Tchekhov ce qui appartient à l’humanité, Julie Deliquet a fait au moins d’une pierre deux coups tant la salle en profondeur du Vieux-Colombier semble subitement prendre sa véritable dimension à l’aune des spectateurs ainsi tous bien placés de part et d’autre de la scène.
De surcroît dans ce dispositif, la convivialité s’invite naturellement au banquet des esprits en souffrance tendant la main aux comédiens de manière si proche, si tactile, si charnelle que d’évidence, ils apparaissent comme les représentants légitimes de ceux qui, dans les gradins, vont leur inspirer une solidarité à partager tous ensemble, le temps de la représentation :
Soit deux heures d’horloge affichée dans le décor rustique d’une chaumière campagnarde autour d’une grande table en bois servant de lien quotidien à l’ensemble de la maisonnée résonnant de jour comme de nuit des états d’âme que la recomposition familiale distille au gré des humeurs des uns et des autres.
Ici, point de folklore russe localisé dans l’espace et le temps dédiés, de façon convenue, à l’auteur mais seulement des êtres balancés dans des tourments à mélancolie récurrente.
Ils sont tous là, Elena, Vania, Alexandre, Astrov, Tielieguine, Sonia & Maria, disponibles aux rendez-vous maintes fois réitérés par la clairvoyance du dramaturge mais dont Julie Deliquet, elle, s’empare de façon à mettre en perspective la conscience humaine reliant les uns aux autres selon le registre du ressenti de préférence à celui des mots.
Et pourtant la parole d’Anton Tchekhov sera bien dite et bien entendue, même allégée et débarrassée de tout emballage contextuel en prise avec le lieu et l’époque et c’est donc, au sein des sentiments qu’elle suscite que vont se nouer, grandeur nature, les peines, les ressentiments, les frustrations, les jalousies, les colères rentrées ou explosives mais également que va régner l’amour unilatéral en maître du désespoir général car vécu sans réciproque et diapason similaire valorisant :
En effet, si X aime Y qui, lui-même, est en adoration pour Z et ainsi de suite, alors se forme une ronde non vertueuse renvoyant chacun à ses ambitions déçues.
A Florence Viala, le rôle séducteur de les rendre tous un peu « fous » de tristesse admirative. A Laurent Stocker et Stéphane Varupenne, celui de se relayer pour renvoyer Hervé Pierre dans les cordes rivales du ring ! Cependant qu’Anna Cervinka focalisera sur elle toutes les larmes libidinales que l’échec amoureux a dû générer dès l’origine du monde. Dominique Blanc et Noam Morgensztern, quelque peu en marge de cette grande désolation universelle, se devront, eux, de résister aux contrecoups du moral ambiant totalement en berne.
Sous la méthode du « hic et nunc » improvisée lors des répétitions où les comédiens ont eu l’opportunité de s’emparer des rôles selon leur intuition, Julie Deliquet a organisé une mise en scène captant cette créativité spontanée pour la modéliser en une entité pérenne destinée « à être (re)jouée » lors de chaque représentation.
Rendons à la metteuse en scène ce qui relève de la justesse des comédiens car c’est, effectivement, sous son influx inspiré que ceux-ci ont pu épanouir l’aptitude artisanale à fonder cette famille « emblématique » au travers de leurs apports respectifs.
photos © Simon Gosselin, coll.CF
VANIA - ***. Theothea.com - d'après Anton Tchekhov - mise en scène Julie Deliquet - avec Florence Viala, Laurent Stocker, Hervé Pierre, Stéphane Varupenne, Noam Morgensztern, Anna Cervinka et Dominique Blanc - Comédie-Française Salle du Vieux-Colombier
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