Variété « saumon européen »
Regardant hier soir « Cash investigation » je m’étonnais qu’Élise Lucet, ne ménageant pourtant pas ses efforts à courir comme elle le fait après patrons et ministres micro en main, consacre près de 30mn à s’offusquer qu’une grande entreprise comme Microsoft soit domiciliée en Irlande, pays où l’impôt sur les sociétés est de 8 à 12% alors qu’il est de plus de 30% en France et dans de nombreux autres pays d’Europe.
Il y a comme une sorte d’impuissance dans sa charge, car finalement, c’est l’organisation du système fiscal européen qui permet ce genre de scandale, les entreprises américaines ne font qu’exploiter les possibilités (et non pas les failles) qu’on leur laisse.
Il est facile pour Microsoft (mais aussi Apple, Google etc.) de rétorquer qu’il n’y a là qu’application du Droit européen.
En utilisant une grille de lecture « asselinienne » de l’Europe telle qu’elle fonctionne, voici comment on pourrait résumer les choses :
A la fin de la seconde guerre mondiale les vainqueurs se sont répartis le monde en zones d’influence. Chacun son pré carré. Les Américains ont rapidement entrepris d’organiser à leur profit la principale zone obtenue, l’Europe de l’Ouest. Tout en finançant la reconstruction, ils ont initié la construction Européenne, c’est à dire la création d’une zone économiquement unifiée, sous prétexte de paix et de « plus jamais la guerre », ils en ont petit à petit guidé le développement, créé les règles, influençant les goûts et habitudes de manière à pouvoir transformer cette zone peuplée et riche en un vivier de près de 500 millions de consommateurs captifs.
La Commission européenne a petit à petit oeuvré à remplacer la complexité des lois nationales par un ensemble de règles uniques facilitant grandement la gestion de ce territoire (de l’extérieur). Tout cela prend du temps, il faut composer avec les susceptibilités nationales, on tombe en chemin sur des grognons comme De Gaulle, beaucoup d’efforts et de patience donc, beaucoup de « soft power », acheter ou mettre dans sa poche tout ce qui agit sur l’opinion, on y arrive.
Pourquoi diable, si la construction européenne est faite pour le profit de peuples européens, y avoir ménagé des paradis fiscaux comme l’Irlande, le Luxembourg ?
La réponse bien évidemment, c’est de permettre aux multinationales principalement américaines de venir ramasser en Europe de juteux profits, sans payer d’impôts.
Explication trop simple ? Mais pourquoi sinon cette impuissance des instances européennes à résoudre ce problème basique de concurrence déloyale identifié depuis longtemps ? Comment comprendre sinon ces incohérences inacceptables dans le plan de construction de l’Union européenne ?
Dans cette vision de l’Europe, inutile de pousser des cris d’orfraie à l’approche du TTIP ou du CETA : nous assistons juste au parachèvement de 50 années de travail, la transformation de l’Europe de l’ouest en une vaste zone de profit pour les entreprises nord-américaines. Le terrain préparé, les règles harmonisées, les droits de douane supprimés, le grand tablier du viaduc transatlantique jaillissant de la brume peut venir se poser en douceur sur les piliers arasés des anciens pays d’Europe, réduits à de simples provinces.
Sauf mouvement populaire de rejet massif et concerté, ces accords seront validés d’une manière ou d’une autre parce qu’ils sont l’aboutissement d’un long processus de transformation, qu’ils sont voulus par les élites, et que de toute façon les peuples n’ont aucunement leur mot à dire. Il faut juste préserver un semblant de démocratie, les media s’y emploient activement.
Nous pouvons désormais nous considérer comme un grand élevage de saumons, variété « saumon européen ».
Elise Lucet gagnerait du temps à aller poser ses questions à la Commission européenne plutôt qu’aux chargés de communication de Microsoft.
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