Vers quelle nouvelle économie des territoires ?
Au début du mois de mai, lors d'une ballade urbaine, pour une fois, une publicité sur le flanc d'un abri bus retint mon attention. L'affiche annonce un événement chevalin. Précisément, il s'agit du Concours National d'Attelage Elite de Rennes. Les collectivités locales intéressées par l'usage public du cheval sont invitées à se manifester.

Le cheval est-il le pétrole de demain ?
En ce jour férié, où l'on peut marcher deux minutes dans la ville, sans avoir à respirer ni entendre les méfaits du moteur à explosion, je ne peux que l'espérer.
J'espère tout du moins qu'il est une énergie en devenir. Les tracteurs obèses poussant les autos presque dans les fossés dans nos campagnes m'exaspèrent. Le clapotis des battues sur le pavé a quelque chose d'aussi romantique que l'odeur de la pluie d'été.
A la ville ou à la campagne, comme dans les banlieues, il y a de quoi créer de l'emploi dans le secteur primaire. Si nous voulons vivre libéré du cancer commençons par faire pousser tous nos légumes, fruits et céréales sans le concours de l'industrie chimique. Cessons ensuite de biberonner les veaux aux antibiotiques.
Jeune je suis, vieux con aussi, dépité de voir la masse de mes cogénérationnaires bouffer des plats préparés, sans goût. Nous ne savons plus planter, nous ne savons plus attendre, nous ne savons même plus faire de sandwich. Prenons le temps de racler la terre pour nous donner une chance de longtemps vieillir.
Les riches néoruraux affichent leur réussite avec des chevaux de course bien brossés, inutiles. En même temps se meurt le cheval de trait qui a rendu tant de services.
Nous mangeons du vieux cheval roumain sans le savoir. Une société plus humaine serait une société moins carnassière. Pour cela l'animal ne doit pas nécessairement disparaître de nos vies, il doit au contraire être reconsidéré. Actuellement, notre contact avec le monde animal se résume à la peur des araignées, au chat d'appartement, et à notre bout de viande indéterminé quotidien. Il y a quelque chose de vicié.
Le Français moyen a consommé 87,8kg de produits carnés en 2009. Le chiffre n'inclut pas le poisson mais comprend probablement le gaspillage. Une aberration écologique et (in)humaine.
Il y a très longtemps, on mangeait peu d'animaux. On ne tuait pas à la chaîne, on sacrifiait. On ne mettait pas de la viande à toutes les sauces. En quelque sorte la viande était toujours au cœur de la fête, célébration même de la vie.
Dans la jeunesse de nos grands-parents encore, les animaux d'élevage vivaient parmi les gens, aujourd'hui ils vivent dans des usines et des cages. On tuait soi-même le lapin, le coq, la truie. On dépeçait, on transformait, on partageait avec les voisins pour répartir sur l'année sa consommation de viande. Economie du potlatch, économie du mérite. Il nous en coûtait quelque chose, du temps, des forces. Sans égard spécifique pour l'animal on lui octroyait une vie honnête. On le tuait comme on pouvait mais sa mort n'était pas un supplice comparable à la vie actuelle des animaux d'élevage.
Ceux qui haïssent les chasseurs sont souvent des imbéciles. Les chasseurs prennent plaisir à traquer, à tuer, non pas à torturer. Certes pour le gibier la traque peut être une torture, et la mort un long supplice, mais ne doit-on pas s'en prendre plutôt à l'élevage concentrationnaire où de la naissance à la mort la vie des animaux est un enfer ?
Nous n'avons pas seulement besoin de résistants modèles à la tentation du barbecue. Nous avons aussi besoin de prendre un chemin collectif vers une reconsidération de la vie, parmi nos semblables animaux et nos sœurs les plantes.
Cette voie nous promet une vie plus riche, plus longue et moins bruyante. Regardez les reportages faisant parler les éboueurs qui sont passés du camion au cheval. Ils sont contents. Outre les nuisances épargnées, le cheval les rapproche des gens. Le métier s'en trouve reconsidéré.
Cet exemple me rappelle Albert Jacquard qui préconisait le partage du ramassage des ordures, à part égale entre toute la population active valide. On serait éboueur une semaine tous les cinq ans, par exemple.
Ebouer au contact des chevaux rendrait ce service publico-civique obligatoire moins rebutant, n'est-ce pas ?
Le cheval n'est certainement pas adapté aux espaces et réseaux trop ou pas assez denses, mais au cas par cas, il s'avère pouvoir rendre de nombreux services (distribution ou récolte, traction d'engins). Multiplier les débouchés pourrait être une façon de sauver le cheval de trait breton, menacé de disparition. Réjouissons-nous que la région Bretagne incite à la multiplication de son usage.
L'éolienne terrestre, espèce plus récente, est aussi menacée... par la fin des subventions. Pour autant, on peut se réchauffer le cœur avec l'invention d'un arbre à vent producteur d'énergie même quand la brise est imperceptible.
Une nouvelle économie des territoires est en construction. La crise économique impose une mutation profonde. Espérons que nous serons demain moins dépendant de l'extérieur pour assurer nos déplacements.
En l'état, notre impuissance politique et monétaire empêche la puissance publique d'engager de grands projets. Je ne vois pas un Colbert ou un Roosevelt intervenir dans les années qui viennent pour changer cela. Peut-être n'est-ce pas plus mal et l'occasion enfin de nous libérer de l'idéologie mathématique de la croissance, et de celle géométrique de la centralisation. Nous devons être malin et en profiter pour libérer les possibilités d'innovation, immenses.
Face aux lobbys pétroliers et nucléaires, et à celui de la mondialisation intégrale, nous pourrions engager un retournement à 180° vers une « économie fondamentale de la substitution, par échelle et par secteur » comme le souhaite le géographe Jean Ollivro dans La nouvelle économie des territoires.
Ce retournement nous engagera vers moins d'impérialisme et plus d'indépendance locale et nationale. Il suppose aussi moins de centralisme. Le jacobinisme contraint les espaces infranationaux à une faible autonomie. Cette logique rend les espaces extrêmement interdépendants (donc peu autonomes) et renforce le centre comme pivot organisateur. A titre d'exemple la Bretagne qui produit surtout du bétail exporte une partie de ses déjections vers la Beauce qui la fournit en grain. Toutefois, comme le "coût de transport et d'utilisation est supérieur à celui des engrais minéraux, les déjections sont donc, le plus souvent, épandues sur place" lit-on au tout début de Traitement biologique des lisiers de porcs en boues activées.
Cet ouvrage nous rappelle qu'avant la seconde guerre mondiale les espaces agricoles produisaient de façon équilibrée bétail et céréales. Dans cette situation : "les nutriments apportées aux sols par épandage des déjections animales sont utilisées pour la croissance des plantes qui serviront à l'alimentation humaine ou animale sans accumulation en excès dans les sols."
Nous ne savons quoi foutre de notre lisier. Sa surabondance détruit sa valeur d'échange. Contre la logique du capital, la transaction doit être dévaluée face à la valeur échange. L'homme est - parmi d'autres définitions - un animal qui donne et qui reçoit. La complémentarité est le pendant de l'échange.
L'autonomie et la complémentarité des territoires doit prendre le pas sur la monoculture et l'interdépendance des territoires. Le plus grand nombre de territoires doit se donner pour objectif l'indépendance dans le plus grand nombre de secteurs. L'interdépendance est encore dépendance... je propose de privilégier les idées d'échange, d'indépendance et d'autonomie2.
L'autonomie alimentaire d'une grande ville est de quatre jours (3 pour Paris)... les villes sont donc très vulnérables. Mais les campagnes le sont aussi avec cette économie absurde où sur un vaste secteur la terre ne sert qu'à une chose. Certes la Beauce est prédisposée aux céréales, le sud de la Loire à la vigne, et la Bretagne à la pêche. Mais pourquoi autant de porcheries en Bretagne ? Est-ce bien raisonnable d'importer maïs et soja depuis la rive occidentale de l'Atlantique ? La planification par Paris ou Bruxelles de ce que font les paysans d'ici et de là, par la contrainte des subventions, est d'une incohérence totale. Les effets pervers de ces choix sur les pays du sud sont bien connus.
Dans les villes et dans les campagnes, comme dans les espaces indéterminés de plus en plus importants, regarder ce qui se faisait avant peut être éclairant. Le tramway fut le mode de transport urbain de la deuxième moitié du XIXe siècle. Rendu caduque par la voiture, il redevient un étendard de modernité.
Nous tourner vers notre passé pour y puiser ce qui peut être utile n'est donc pas synonyme de nostalgie, mais du désir de mieux vivre. Nous nous enrichirions à retrouver des savoir-faire, sans pour autant dédaigner la technologie.
Alors que la crise s'approfondit pour muter en bouleversement profond, nous ferions bien de réduire notre vulnérabilité. Même si nous sommes des e-citoyens du monde, nous n'en restons pas moins des habitants.
« La révolution de la proximité couplée à l'économie de l'informatique ne sont-elles pas finalement nos deux chances pour construire dès aujourd'hui l'économie de demain » se demande Jean Ollivro en conclusion d'un ouvrage stimulant.
S'autonomiser permet de réduire les flux physiques... voici une autre approche que la taxation des camions pour décarboner l'économie.
Évidemment toutes ces questions nous posent celle - fondamentale - de la reconquête d'une souveraineté véritable, indécrottablement liée à la construction d'une vraie démocratie.
1. On pense au concept "d'indépendance dans l'interdépendance" érigé par Edgar Faure pour préparer la fausse décolonisation de l'Afrique du Nord.
2. De plus claires explications sur ce forum avec la contribution de Le Korrigan : https://fr.answers.yahoo.com/question/index?qid=20100426070912AAIoxRU
BONUS
Ouvrage :
Jean Ollivro, La nouvelle économie des territoires, Rennes, Editions Apogée, 2011
Sur Jean Ollivro :
TEDx : www.youtube.com/watch ?v=9jrAzA-cFAg
Critique du livre : http://tem.revues.org/1659
Arbre à vent (origine de la photo) :
http://www.cite-telecoms.com/2014/04/23/larbre-vent-en-exclusivite-la-cite/
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