Vers un nouveau pacte national au Liban
Ceci est une analyse alternative du scénario que l’on ne diffuse pas en Occident de la situation actuelle au Liban et des tenants et aboutissants des manifestations pour la chute du gouvernement Saniora.
Il y a quelque chose de passionnant en ce moment qui pourrait aboutir à une remise en cause de l’ancien pacte national (datant de 43 entre chrétiens et sunnites principalement et les figures de Bécharra Khoury et de Riad el Solh).
Cette remise en cause de l’ancien pacte de 43 a été mise à l’écart par les accords de Taëf et par l’occupation syrienne qui a anesthésié politiquement le pays. La réalité actuelle est que la fin de l’occupation syrienne a entraîné un retour de roue vers la réalité nouvelle et vers le nouveau poids démographique des chiites.
Est-ce qu’on assiste, comme en 43 avec la fin du mandat français et la naissance du pacte national, à la constitution d’un nouveau pacte national en 2006, avec la fin de la présence armée syrienne en 2005, les chrétiens affirmant leur rôle de communauté charnière dans l’élaboration des pactes nationaux historiquement parlant du XIXe siècle à aujourd’hui ? C’est la question à poser.
Je ne suis pas sectaire, mais on est un dans système sectaire, et donc on doit prendre en considération le système dans lequel on est.
Est-ce que le gouvernement actuel et le mouvement du 14 mars comptent des représentants chrétiens de premier ordre au sein du Parlement et au sein du gouvernement ? Non, les FL sont un mouvement qui fait beaucoup de bruit mais sont rejetés par le Kesrouan, le METN et même Batroun où les députés Harb et Zahra n’ont pas été élus par des voix locales, etc. Ils sont bien implantés dans le Chouf et dans Bécharré qui, elles, n’étaient pas durant la guerre sous occupation FL. Autre remarque à ce niveau-là, c’est que les déçus du aounisme ne vont pas chez les FL, et les déçus des FL ne vont pas chez les aounistes, les deux vont chez les Kataeb. Les Kataeb en eux-mêmes n’ont pas d’envergure nationale, du moins pour le moment. Kornet Shewan a été laminé. Les seuls représentants au sens large pour les chrétiens sont les représentants du CPL qui joue aujourd’hui le jeu d’un nouveau pacte national, à mon avis en raison de la faillite des pactes précédents, celui de 43 entre sunnites et chrétiens mort en 75, ceux entre druzes et chrétiens au XIXe siècle et les guerres ethniques qui ont suivi.
Au niveau chiite, comme le disait un journaliste israélien il y a deux jours sur RFI, c’est une erreur de considérer le Hezbollah comme une entité unie, on ne connaît pas le Hezbollah, il est difficilement infiltrable et la dernière guerre l’a prouvé. Cependant ce journaliste démontrait qu’au sein du Hezbollah on devrait voir une aile pro iranienne, une aile pro syrienne, qui ont mené la politique du mouvement chiite, une aile pro chiite irakienne, en ce moment en constitution, qui fera pencher la balance, et une aile pro libanaise qui a gagné du poids avec le dernier conflit, à mon avis, et qui est aujourd’hui à la recherche d’un rôle plus important, et notamment qui est à l’origine de l’entente avec le CPL, contre, à l’époque, l’avis de Téhéran, d’ailleurs.
Ce nouveau pacte national peut-être en constitution entre chiites et chrétiens est le résultat de la mise en place de nouvelles équations politiques, et notamment du poids démographique aujourd’hui indéniable des chiites au Liban, du poids du passé avec l’antagonisme historique chiites/sunnites, de la situation peut-être en Irak et de la crainte qui s’ensuit, et de la remise en cause du leadership sunnite après le retrait syrien et après la remise du leadership maronite en 75, les tensions actuelles confessionnelles reflétant plutôt la non-acceptation par le futur principalement sunnite de cette nouvelle réalité et ces nouvelles équations politiques.
Il est à noter ici une remarque qu’a faite l’année dernière Alexandre Adler, quand il déclarait que Rafic Hariri aurait cherché à échanger le poste de premier ministre sunnite avec le poste de président de la chambre chiite ; si cela était vrai, on constate que l’ancien premier ministre défunt était de fait déjà au courant des changements en cours, alors que son fils, à l’heure actuelle, s’accroche à une réalité passée.
Là où les médias et les analystes politiques, ou même hommes politiques (en majorité ceux du 14 mars qu’on peut quand même qualifier de mouvement sunnite) ne peuvent comprendre qu’on est à la veille de grands changements d’équations politiques intra-libanaises et s’accrochent à décrire - voire à agir avec elles- des équations qui ne sont plus valables.
Les choses sont donc beaucoup plus compliquées que décrites si on prend en considération le phénomène d’affrontement d’axes saoudien, américano-israélien, iranien, la Syrie étant agonisante depuis le retrait de ses troupes du Liban et son isolement géographique, même si aujourd’hui elle a de nouveau une certaine importance en raison du rapport Baker, que je n’aborderai pas ici, vu que, pour mes anciens lecteurs, je l’ai abordé dans le billet sur la guerre des axes, publié sur mon ancien blog, qui semble être toujours d’actualité et qui montre que cette guerre a pour conséquence d’accentuer la pression chiite vers la constitution possible de ce nouveau pacte national. Je dirai donc simplement que ce pacte rentre bien sûr en conflit avec certains intérêts étrangers.
L’Iran pourrait perdre la main sur la communauté chiite, en raison de l’importance grandissante de l’aile pro libanaise au sein du Hezbollah, l’accord avec le CPL l’ayant en premier lieu irrité.
L’Arabie saoudite pourrait voir son projet d’utiliser une Syrie pro sunnite comme rempart à un Etat chiite irakien remis en question parce que celui ci nécessite en fait une sécurisation de la future Syrie sunnite par le Liban et ses alliés du futur. Déjà, souvenons-nous de Joumblatt, qui déclarait il y a quelques mois que l’influence saoudienne était bénéfique pour le Liban, ou de la déclaration de Saad Hariri qui disait que le Liban est un pays arabe avant tout, alors qu’il soutient activement au Liban Dar el Fatwa. Et de l’autre côté, on voit bien le jeu d’utilisation par l’Arabie saoudite de Khaddam et des frères musulmans, Khaddam qui était il y a moins d’un mois interviewé et par Al Arabya et par la chaîne Futur. A noter ici que peut-être l’attitude de Nabih Berry avec le Hezbollah est-elle due au fait qu’il ressent une menace de mainmise saoudienne et sunnite en tant que chiite lui-même, vu que les phénomènes sectaires au Moyen-Orient, avec l’Irak, notamment, semblent s’amplifier. D’où également une convergence d’intérêts entre chrétiens et chiites contre l’hyperpuissance régionale sunnite que pourrait essayer d’imposer l’Arabie saoudite par "Futur" interposé sur le Liban. L’année dernière, la convergence chrétienne était contre la mainmise syrienne, et cette année, elle est différente. On est à nouveau dans un nouveau jeu dont les équations sont différentes.
Les Américains et leur nouveau Moyen-Orient : là, il reste encore à préciser quel est le projet américain en question. On a bien vu des cartes circuler à un moment avec un démembrement de l’Irak, puis de l’Iran, puis de l’Arabie saoudite, des pertes territoriales syriennes au profit du Liban, jordaniennes au profit de l’Arabie saoudite, la création de nouveaux Etats donc un Etat kurde (contraire aux intérêts turcs), un Etat chiite arabe en Irak, etc. Quelle est la place du Liban dans tout cela ? Il reste encore à voir et à comprendre.
Sur le régime syrien, la question tient plus à son remplacement. Kenaan a été éliminé, Tlass ne veut pas y être mêlé et Khaddam, l’ancien vice-roi du Liban, n’a pas les appuis sur place nécessaires, bien qu’il puisse avoir le soutien interne des Frères musulmans et externes du Mouvement du futur au Liban et de l’Arabie saoudite.
Si d’un nouveau pacte effectivement il s’agit, je ne doute pas qu’à ce moment-là, le Hezbollah libanisant ses objectifs et participant à l’élaboration d’un Etat fort rendra ses armes et intégrera de façon naturelle le nouvel Etat libanais qui, espérons-le, sera un Etat fort en raison de sa localisation géopolitique, coincé entre une dictature qui restera une dictature pour longtemps, la Syrie pour ne pas la nommer, et une théocratie, quoi qu’on en dise, Israël.
On ne peut commencer à comprendre le raisonnement du jeu en cours qu’avec une vision globale du Moyen-Orient, du passé, mais aussi des scénarios à venir, et malheureusement le public ne peut le comprendre.
Les évènements actuels ne sont que la poursuite de la Révolution des cèdres, une révolution étant la mise en cause de systèmes précédents ; or, il n’y avait pas de remise en cause du système précédent avant les évènements actuels, 2005 n’étant pas une révolution mais une libération des cèdres, avec la sortie des troupes syriennes hors du Liban
La réalité pourrait être bien différente et paraître incompréhensible si on ne saisit pas que les règles du jeu ont changé entre 1975, 2005 et aujourd’hui 2006, et ce qui est passionnant, c’est la remise en cause et la construction d’un nouveau modèle politique, malgré les risques que cela implique.
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