Vers un revenu universel d’existence ?
Un revenu universel d’existence. L’idée vient de loin, même si on la redécouvre aujourd’hui avec le programme de Benoit Hamon. Elle est loin d’être infondée, même si elle a, bien sûr, de nombreux détracteurs.
Accorder à chaque citoyen les moyens financiers de mener, d’un bout à l’autre de sa vie, une existence décente semble encore, pour beaucoup, la marque d’un pays de cocagne (car l’austérité et la souffrance méritoire sont des notions encore bien chevillées dans les esprits). Ce n’est pourtant pas une idée nouvelle puisqu’elle était déjà portée par le député américain Thomas Paine (1737-1809) sous la forme d’un don en terre agraire ou d’une rente foncière. Toutefois, c’est dans la seconde moitié du XXeme siècle, qu’elle allait revenir dans le débat d’idées, avec la critique du travail aliéné entreprise par des penseurs comme Herbert Marcuse, Ivan Illich ou André Gorz en France. Cette volonté de ré-enchanter le travail allait de pair avec sa diminution progressive et l’avènement d’une société des loisirs (Joffre Dumazedier). Que chacun puisse profiter des fruits de la croissance et choisir librement son mode de vie apparaissait de moins en moins comme une utopie et de plus en plus comme une exigence politique au lendemain de mai 68. La Gauche réformiste allait entendre ces aspirations à une société nouvelle et les traduire dans des lois (retraite à soixante ans, 35 heures hebdomadaires) qui ne furent pas toujours décriées, loin de là ! Et Michel Rocard, en créant le RMI en 1988, fit un pas supplémentaire dans la protection des plus pauvres, sans toutefois envisager d’étendre à tous les Français un revenu de base qui restait un pis-aller davantage qu’un privilège.
Aujourd’hui, c’est un autre socialiste, Benoit Hamon, qui introduit dans la campagne présidentielle, l’idée d’un revenu universel, renouant avec un élan progressiste que l’on croyait étouffé sous la masse des propositions socio-libérales de ces dernières années. Elle ne paraîtra extravagante qu’à ceux – et ils sont nombreux – qui ont intérêt à ce que rien ne change dans le paysage politique français. Partant du constat que le travail est en crise, que la robotisation croissante élimine de plus en plus d’emplois non spécialisés et qu’ainsi il ne faut pas espérer réduire le chômage, Hamon propose une nouvelle allocation qui serait versée inconditionnellement à l’ensemble de tous les Français, à partir de leur majorité. Son montant mensuel oscillerait entre 700 et 800 euros ; ce qui serait bien peu pour une minorité de gros salaires (qui pourraient s’en passer), mais une aide précieuse pour tous ceux qui peinent à joindre les deux bouts. Ainsi, ils pourraient compléter ce revenu en s’orientant vers un travail choisi plus que subi, participer davantage à la vie associative et civique, développer leur créativité ou même ne plus travailler du tout s’ils peuvent s’en contenter. Cela impliquerait de revoir le système actuel des allocations sociales, même sans supprimer toutes les catégories existantes, comme le préconisent certains libéraux partisans de cette réforme à droite.
Bien entendu, les critiques ont fusé de toutes part à l’annonce de sa proposition, à commencer dans son propre camp. Démagogie pour les uns, incitation à la paresse pour les autres qui considèrent que le travail – mais quel travail ? – est le propre de l’homme. Ne va-t-on pas ainsi vers une « ubérisation » généralisée, avec des employeurs qui auraient beau jeu de diminuer le prix du travail horaire. D’autre part, comment trouver les 350 milliards d’euros annuels que nécessiterait une telle mesure ? Ce revenu universel soutenu par Benoit Hamon a de quoi les déranger. Car c’est un changement de paradigme qui est impliqué avec la proposition-phare de son programme. Vision d’une société où le travail ne serait plus le mètre-étalon de toute existence, où la liberté – qui lui fut longtemps subordonnée – reprendrait pleinement ses droits, où le désir de s’affirmer par ses œuvres ne serait plus brimé par la nécessité de perdre sa vie à la gagner. Cette société, nous ne la verrons peut-être pas surgir des urnes dans quelques mois. Mais on aurait tort de ne pas prendre au sérieux le pari de Benoit Hamon sur un avenir plus serein. Sa voix a au moins le mérite de redonner une actualité à la vraie tradition socialiste. Celle qui poursuit inlassablement l’émancipation des individus.
Jacques LUCCHESI
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