Vers une modernité dévoyée : la mort de la pensée moderne
Nous sommes à un tournant de l’histoire et la modernité. Sarkozy en est l’emblème ! Les journalistes, trop occupés à scruter le spectacle qu’il a imaginé pour eux, n’en parlent pas, ne le voient pas et s’ils ne le comprennent pas, c’est qu’ils sont formatés pour cela. Ils constituent eux-mêmes un rouage central de notre nouveau système de pensée qui marque la fin des contradictions et l’emprise totale d’un nouveau type de contrôle social (en lequel consiste le cœur stratégique de la mondialisation) à l’œuvre dans le nouvel établissement technocratique des relations sociales. Nous commençons à avoir les réponses que les débats de la postmodernité avaient initiées il y quelques décennies. Tout démontre actuellement que non seulement nous ne sommes pas en train de voir se dessiner les contours d’une quelconque postmodernité (comme le dit Maffesoli, le clown de la Sorbonne), mais que nous commençons tout juste à observer la construction originale de l’individu moderne, ainsi que la modernité elle-même, qui actuellement, commence à se mettre en place au niveau du lien social par le biais de ses pires apories et de ses propres dévoiements idéologiques.
Seuls des sociologues, des philosophes ou des anthropologues respectables sont susceptibles de saisir la teneur et l’importance de ce tournant, et ils sont ignorés, relégués au rang de parasites. Nous ne pouvons qu’assister au ballet médiatique des nouveaux philosophes, imposteurs effroyables autrefois épinglés par Deleuze lors de leur apparition dans les années 70 pour leur rhétorique conceptuelle grossière et consacrée à la légitimation du pouvoir, et les écouter encenser la mondialisation, louer la jeunesse sarkozyste car selon eux, c’est elle qui incarne la France qui bouge, qui résiste, moderne, ouverte sur le monde, consciente de la réalité suprême économique. Quant au journalisme, il est définitivement coupé de la pensée et celle-ci ne le rattrapera jamais. C’est un drame : plus jamais, dans l’espace public, on ne réfléchira, on n’interrogera les fondations de nos actions et l’on ne concevra rien d’autre que la fiction totalitaire des bienfaits de la consommation et du capitalisme financier. La baisse de Sarkozy dans les sondages ne doit pas laisser penser que la morale qu’il défend est en branle, bien au contraire, une majorité écrasante frémit d’impatience et se plaint de se heurter à quelques difficultés idéologiques résiduelles qui traînent encore et la ralentissent dérisoirement. Par l’intermédiaire d’Internet et la prégnance des médias, notre nouvelle morale sociale et individuelle pourrait désormais se résumer par cette formule : "Tout le monde doit devenir riche et célèbre."
Nous sommes à un tournant civilisationnel car désormais, tout discours critique, sans exception, est formaté et dirigé par la matrice médiatique et la propagande capitalo-techno-mondialiste. Alors que nous devrions tenter de comprendre un changement de société et d’envisager des conséquences culturelles mondiales, les médias ne cessent d’opposer les pour et les contre. D’un côté les affreux obscurantistes et les dangereux antiprogressistes, de l’autre, les joyeux modernistes et les jouisseurs de l’uniformisation du monde et du challenge économique. Notre basculement médiatique si crucial repose sur le fait que tout ce qui était susceptible de subvertir la pensée dominante, est passé de son côté et par voie de conséquence, celle-ci se fait passer pour la subversion de la pensée unique. Ca donne ça (par exemple dans la bouche des Glucksmann père et fils) : Sarkozy est subversif car il transmet le goût du progrès et convertit les immobilistes au mouvement consumériste et monétaire mondialiste. Sarkozy est même un soixante-huitard qui s’ignore car il agit pour la libéralisation des mœurs et le progrès humain. Après BHL qui ne comprend rien au discours de Dakar, qui a cru s’en indigner mais qui l’a en fait légitimé, nous avons les Glucksmann qui veulent nous faire croire que l’esprit de 68 est actuellement incarné par les mèches rebelles des jeunesses UMP. Libérer l’image du nouveau riche, célébrer le fric, l’opportunisme, les affaires, l’universalisme de nos sociétés de consommation bêtes et méchantes, pousser au rejet de tout ce qui ne ramène pas du fric... tout ça passe pour de la subversion ! Sarkozy réussit son pari. Nous sommes vraiment à un tournant.
Nous y sommes parce que la pensée unique se fait passer pour de la subversion. On le voit dans la pub où les gourous des boîtes parisiennes s’empressent d’engager des sociologues pour façonner les nouvelles stratégies de marketing deuxième génération, celui qui vend des 4X4 écologiques, des crédits qui vous feront libres, des écrans plats qui vous feront faire l’expérience de l’altérité culturelle, des appareils hi-tech qui vous feront vivants. Un ou deux sociologues plaisantins se sont laissés tenter, d’autres, les plus médiocres, les ont suivis sur la base d’un raisonnement consternant : "Lui l’a fait, pourquoi pas moi ?" Le marketing est devenu la discipline intellectuelle de notre temps. On fait du "marketing ethnologique" ! Il faut le savoir. C’est à désespérer... un peu... Non ? On manipule les convictions, Séguéla conseille, explique les subtilités de notre société, on crée des apparats qui sont en fait l’inverse de ce que l’on vise réellement, on opère des retournements sémantiques, on fabrique des alibis de manière à détruire la contestation. Et on a les Glucksmann pour tomber dans le piège, applaudir, et Guillaume Durand pour leur servir la soupe, comme il le fait si bien à Alain Minc ou Philippe Tesson (péroreur numéro 1 mondial) régulièrement, alors qu’il y a tout de même des penseurs capables de développer de véritables analyses critiques. Ceux-là ne sont jamais invités nulle part. Dans ce genre d’émissions, on peut souvent entendre cette assertion bien connue : "on offre la culture aux gens, c’est notre mission". C’est très grave d’en arriver là. On a entendu Laurent Ruquier dire ça en pensant aux services rendus par ses acolytes Zemmour et Nolleau ! Malhonnêteté, incompétence, compromission, ignorance, il y a sûrement un peu de tout ça et c’est une catastrophe culturelle. Laisser entendre que des émissions comme celles de Durand ou de Ruquier permettent une diffusion de la pensée est un crime à l’égard des penseurs dignes de ce nom. C’est aussi et surtout une imposture médiatique majeure qui laisse croire que la pensée se limite au journalisme ignard et qu’il n’existe pas de lieux où les vraies questions sont traitées de manière sérieuse. C’est le complément idéal à la privatisation des universités, qui restent, malgré le discours de la droite et ses propres dérives, l’endroit principal où la pensée est produite. L’épisode automnal de la réforme de l’université a d’ailleurs été un formidable indicateur de la récupération historique de la pensée par le pouvoir et donc le système. La ministre soutenait notamment que les entreprises avaient besoin des "esprits libres formés à l’université dans les sciences humaines". Redoutable procédé politique pour désigner le fait que même ces esprits devront se plier aux lois du profit, du marketing et du management. "L’environnement est un défi industriel" : voilà un beau travail de sociologue-marketeur !
De surcroît, tous les secteurs soi-disant créatifs sont au diapason du discours de la réal-politique, cette politique qui impose la réalité économique comme la seule devant guider nos actes. L’humour français est une arme de guerre en faveur du formatage du sens commun à cet égard. Notre nouvelle génération d’humoristes ne connaît pas la subversion mais fonctionne uniquement par snobisme parisien, par blagues de parvenus exhalant la haine de celui qui fait figure de loser ou de celui qui n’est pas hype parce qu’il ne répond pas aux critères de réussite. La musique, le cinéma, la littérature ne sont plus qu’un showbiz pathétique dont le dénominateur commun est la niaiserie, l’indigence artistique, l’avilissement devant le système et la soif de profit. Astérix, La Môme, Obispo, David Guetta, Chimène Badi, Camille, Gad Elmaleh, Christine Angot, la même obscénité dans l’émotion, dans le spectacle, dans le prêt-à-consommer, le prêt-à-penser... Le tournant que nous avons tenté de circonscrire ici rapidement, prend majoritairement la forme d’une grande imposture médiatique. Il est certain que celle-ci ne date pas d’hier mais selon nous, elle prend une dimension supérieure car les médias ne se contentent plus de divertir ou de vulgariser mais exhalent l’esprit de la mondialisation et se substituent, en tant qu’espace public, aux secteurs censés produire les réflexions sur l’évolution de notre société. Ils soldent par conséquent l’abandon des sciences de la modernité et ainsi, ils tirent un trait définitif sur sa prétendue réflexivité, en complicité directe avec la politique totalitaire de notre gouvernement.
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