Vers une poutinisation de la gestion des prises d’otages ?
“On a confiance dans les agents sur le terrain qui se bougent (pour faire libérer les otages), non je n’ai pas confiance dans le gouvernement” – J. F. Julliard de RSF dans La ligne J@une
La vie d’un otage est bien trop importante pour être confiée à quelqu’un qui mélange action et communication. C’est en substance ce que les invités de l’émission “La ligne jaune” concluent après l’évocation du gouvernement français dans les affaires de prises d’otages. Au lendemain de l’exécution de deux Français, les termes action et communication doivent être précisés. Action veut-il désormais dire intervention militaire ? Communication, relève-t-il maintenant du langage décomplexé, convoitant le prétexte d’une hypothétique contrainte pour masquer un sidérant fiasco ? Personne ne connait précisément le dossier sur ce drame. En l’occurrence la façon dont s’est formellement déclenchée l’opération. Mais au lendemain de ce cuisant échec où les otages ont été liquidés, se manifeste une union nationale molle. Où étrangement politiciens de l’opposition comme les prescripteurs d’opinion des médias mainstream ne trouvent rien à dire, et entonnent l’air poutinien (et gouvernemental) du “il fallait intervenir”. Comme si cela allait de soi.
Les otages, un roman national
Les prises d’otages et les libérations sont vecteurs d’émotion en barres pour les gouvernements. De l’audimat massif pour une médiasphère en nécessité de captation (et da valorisation) des attentions. Des otages du Liban en 1985 J.- P. Kauffmann, M. Carton et M. Fontaine dont les médias ont égrainé quotidiennement trois années entières de captivité, à la libération sous story-telling des infirmières Bulgares (première tentative de coup d’éclat de N.Sarkozy président), ces évènements sidèrent imparablement l’opinion. Le succès assuré à condition d’être sur la photo (comme B. Kouchner dans le cas d’I. Betancourt).
N. Sarkozy cultive son image de libérateur. En mai 1993, il se révèle à la France lors d’une prise d’otages dans une maternelle à Neuilly. Bien conscient de l’effet que procure ce type d’exploit. En février 2010, (l’affaire fut très peu médiatisée) le Président de la République annonce avant d’avoir récupéré les otages, leur libération. Il prévient les familles au milieu de la nuit, “ils marchent vers nous…”. Mais patatras, grain de sable de dernière minute dans les pourparlers, annulation de la libération. R. Bacqué parlera de problème de sang-froid, “il pense que la communication est l’action”. Les familles de H. Ghesquière et S. Taponier n’entendront plus parler du divin annonciateur très soucieux de son image.
Tout est bon dans ce défouloir national, cette portion de la patrie dont tout Français a le devoir de se sentir solidaire. Car un peu de l’hexagone est pris en otage, ligoté au fond d’une grotte malodorante. Une sorte de communion du tarmac mise en suspens par une machine à informer plus soucieuse de l’émotion générée que de l’information livrée.
Un virage dans la doctrine
A. Juppé, toujours droit dans ses bottes, déclare au lendemain du fiasco qui entraine la mort de deux hommes, “il fallait le faire, nous l’avons fait”. Il oublie simplement de préciser “et nous avons lamentablement échoué”. Un échec qui coute des vies, mais qui ne doit pas coûter en images et en carrière. Alors, c’est la politique du matamore, face à l’échec, l’obligation cynique d’agir pour occuper l’espace. Selon le ministre de la défense, le gouvernement ne voulait pas courir le risque “de voir nos otages emmenés par les ravisseurs dans l’une de leurs bases refuges au Sahel, et l’on sait ensuite comment ils sont traités”. La logique désarmante du politicien qui raconte benoitement ce que tout le monde sait. Car en est-il autrement lors d’un rapt ? Mais surtout A. Juppé déclarera “ne rien faire c’est donner un signal que la France ne se bat plus contre le terrorisme. Voilà la décision qu’il fallait prendre, elle était grave, elle était lourde, nous l’avons prise et nous l’assumons pleinement”. Les familles apprécieront. L’intervention massive en Afghanistan contre le terrorisme ne suffit apparemment pas. La France est donc passée d’un comportement mettant la vie des otages au-dessus de toute autre considération, à la démarche poutinienne visant à envoyer un message clair et belliqueux aux terroristes, quoi qu’il en coûte.
Un double message
Un message, mais pas seulement aux terroristes. Car il doit aussi être entendu par les ressortissants. On se souvient des hallucinantes déclarations de C. Guéant à propos H. Ghesquière et S. Taponier sur le “scoop ne devait pas être recherché à tout prix” ou du Général J.-L. Georgelin sur l’impact financier de la recherche d’otages dans le budget des opérations extérieures, en l’occurrence 10 millions d’euros. Cela fait suite aussi à l’intervention (étrangement) ratée pour libérer M. Germaneau, dont la mort serait due à un manque de médicament et non pas à une exécution. Enfin, on notera les deux opérations armées en 2008 sur Le Ponant, et celle de 2009 sur le Tanit où un otage a été abattu. À chaque fois, l’option violente s’impose avec des résultats plus que contrastés. Mais surtout le sentiment que rien d’autre ne pouvait être fait, avec les armes comme seules limites.
Assiste-t-on à une inflexion de la doctrine relative aux otages ? Intransigeance face aux terroristes adossés à un présupposé religieux. Un retour direct sur l’investissement domestique antimusulman. Faire front aux méchants barbus dans un territoire barbare en élevant au rang de martyrs nationaux ceux qui y laissent leur peau. On ressasse une communication anxiogène et commisérative enrobée d’infoémotions sur la vie privée des exécutés.
Contrairement aux allégations distillées par le gouvernement, l’opposition et la presse, il n’y a aucune fatalité (ou d’impérative nécessité) dans le déclenchement d’actions militaires pour “libérer” les otages. Ce que semble faire mine d’oublier A. Juppé, c’est que les otages ont bien une valeur pour leurs ravisseurs (sinon ils ne les kidnapperaient pas). La communication gouvernementale s’évertue à caricaturer les faits pour masquer une débâcle en évoquant sempiternellement la guerre (manifestement loin d’être gagnée) contre le terrorisme. Et ce, avec un consternant assentiment, une béatitude désespérante de tous. Point de questions, ni de scepticisme.
Dans le rapport de force asymétrique avec les terroristes on perdait toujours dès l’instant où l’on déclenchait un assaut militaire meurtrier. La moindre perte humaine signifiait la défaite pour les Occidentaux. Une nouvelle doctrine s’impose, N. Sarkozy tente de remporter une victoire éclatante, totale où il exhiberait le scalp de méchants et communierait avec les libérés. Ou alors en cas de ratage, servirait le prétexte de fermeté face à l’innommable pour garder l’initiative. Un pari risqué, à moins que la vie humaine des Français réputée hors de prix sur la place mondiale de l’existence tende à se déprécier.
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