• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > Vie et panthéonisation du groupe Manouchian des FTP-MOI

Vie et panthéonisation du groupe Manouchian des FTP-MOI

Le 19 décembre 1964, André Malraux prononçait son célèbre discours pour le transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon : « … Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé … »

Oui, Jean Moulin sous la torture n’avait pas parlé, comme avant lui Pierre Brossolette, défenestré pour éviter les aveux. Mais d’autres sont pas eu cette volonté, comme certains membres du réseau des FTP-MOI (les Francs-tireurs et partisans -Main d’œuvre immigrée). Ainsi Joseph Davidovitch, le traître ayant vendu le réseau après son arrestation. Missak Manouchian lui-même passera aux aveux lors de son arrestation par la police française le 16 novembre 1943, sans doute après avoir été torturé.

JPEG - 181.8 ko
Missak Manouchian
Manouchian au jardin du Luxembourg

 

Les circonstances de l’arrestation du réseau : filatures fructueuses

Au sein de la Préfecture de Police, les Brigades spéciales des Renseignements généraux étaient chargées de lutter contre les « terroristes étrangers », notamment les juifs et communistes, et plus précisément le groupement des FTP-MOI. Le réseau était filé depuis plusieurs mois et la majeure partie de l’organigramme identifiée (Emission télévisée, Patrick Rotman, Les Brûlures de l’histoire, « L’Affiche rouge »).

Cette vaste filature aboutit à l’arrestation à la mi-novembre 1943 de 68 membres dont celles de Manouchian et Joseph Epstein dit « colonel Gilles », un juif communiste d’origine polonaise en gare d’Evry Petit-Bourg (Essonne). Epstein était le chef de l’ensemble des FTP de la région parisienne, donc une capture de choix pour l’occupant. Malgré d’atroces tortures, il ne livre aucun nom, même pas sa véritable identité.

 

Le traître Joseph Davidovitch

Avant d’être fusillé, Missak Manouchia écrit une lettre d’adieu à son épouse Mélinée. Il termine par « je pardonne à tous ceux qui m'ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus. » Manouchian fait allusion à un traître qui serait Joseph Davidovitch, un militant communiste polonais, commissaire politique et trésorier des FTP-MOI.

Davidovitch est arrêté le 26 octobre 1943 par les inspecteurs de la Brigade spéciale. Dans l’un de ses domiciles clandestins, ils saisissent des listes d’effectifs et un état numérique dactylographié des détachements FTP-MOI. Les soupçons portés sur lui ainsi que son évasion suspecte conduisent les FTP-MOI à l’exécuter le 28 décembre.

 

L’arrestation de Manouchian : 16 novembre 1943

Après son arrestation le 16 novembre 1943, en compagnie d’Epstein, Manouchian est conduit à son domicile situé 11 rue de Plaisance 75014. Les policiers font main basse sur de nombreux documents. Le même jour sont arrêtés Olga Bancic, Marcel Rajman et Josef Svec, eux aussi membres des FTP-MOI.

Les documents trouvés au domicile de Manouchian permettent de recouper les aveux de Davidovitch et les résultats des filatures. Le lendemain, les Brigades spéciales arrêtent l’ensemble du réseau, soit 68 combattants.

21 FTP-MOI seront fusillés au Mont Valérien (dont Marcel Rajman) le 21 février 1944, Olga Bancic étant guillotinée à Stuttgart le 10 mai 1944 ; 16 seront déportés à Auschwitz-Birkenau et 31 autres internés dans les camps de concentration.

 

Le procès-verbal d’interrogatoire de Missak Manouchian

Le document est conservé aux archives de la Préfecture de police de Paris. La version originale est dans le dossier Medzadourian [cote GB 138]. Elle est présentée dans l'exposition « Des étrangers dans la résistance en France », visible au Mémorial de la Shoah (IVe arrondissement de Paris) jusqu'au 20 octobre 2024. (Slate.fr : « L’interrogatoire de Missak Manouchian par la police française en 1943 », 20 février 2024).

Il est fait allusion ici au dossier du docteur Kourkène (Georges) Medzadourian, médecin d'origine arménienne (1908-1996), fondateur de l'Association des Scouts Arméniens Hay Ari.

 

Je publie ici deux extraits du procès-verbal d’interrogatoire, le premier dévoilant la place occupée par Manouchian au sein de l’organigramme des FTP-MOI ; le second le rôle dévolu au sein de l’organisation. Les annotations placées entre crochets sont issues du site Slate.fr qui reproduit ce document dans son intégralité.

 

Premier extrait

« Au-dessus de moi, j'étais en liaison avec le responsable politique de secteur que je connais sous le pseudonyme de « ALBERT » [Joseph Davidovitch, déjà arrêté]. Ce dernier me remettait l'argent nécessaire pour payer les membres du détachement. Je recevais également de lui de la littérature et des communiqués. En principe, je remettais l'argent de [sic] je recevais d'« ALBERT » [Joseph Davidovitch] à « MICHEL » [Mihaly Grünsperger]. Il m'est arrivé quelquefois de payer personnellement des membres du détachement. C'est ainsi que j'ai connu quelques camarades répondant aux pseudonymes de « JEAN » [sans doute Arnold Leider], « ALBERT » [Joseph Clisci, mort le 2 juillet 1943 pendant une action], « ERNEST », et « FRANÇOIS » [pseudonymes non identifiés]. Je suis resté responsable politique de ce détachement jusqu'au mois d'août [le premier détachement des FTP-MOI, qui faisait des attentats à la grenade].

À cette époque, je suis passé responsable militaire à la direction.

J'avais comme liaison à l'échelon supérieur, « GIL » [Joseph Epstein, arrêté avec lui], responsable militaire interrégional des F.T.P français et, à mon échelon, le responsable politique et trésorier, « ALBERT », qui n'est autre que l'individu dont vous me représentez la photographie et que vous me dites s'appeler DAVIDOWITZ [sic]. »

 

Second extrait

« Mon rôle consistait à recevoir de l'échelon supérieur les objectifs à réaliser et à transmettre ces instructions aux responsables militaires des détachements pour exécution. D'autre part, je rendais compte par rapport à « GIL » [Joseph Epstein] des attentats qui avaient été réalisés. Je passais à « ALBERT » [Joseph Davidovitch] le même rapport qui était destiné aux responsables de la direction du « M.O.I. ». De son côté, « ALBERT » me remettait pour ma documentation personnelle, de la littérature. C'est lui également qui me remettait mes appointements. »

 

Marcel Rajman (1923-1943), couramment orthographié Marcel Rayman

On ne peut pas parler du groupe Manouchian sans évoquer la haute figure de Marcel Rajman, né à Varsovie le 1er mai 1923 d'un couple de tricoteurs Moszek et Chana, un activiste hors pair et un des plus jeunes fusillés du Mont Valérien. Il avait un frère cadet Simon. Raflé en décembre 1941, Moszek militant communiste était déporté le 22 juin 1942 par le convoi n° 3 au départ de Drancy à destination d’Auschwitz (Pologne), il y mourut.

Marcel Rajman fut membre de l’Union de la Jeunesse Juive animée par Henri Krasucki, FTP-MOI, membre du 2e détachement juif matricule 10305, puis en juin 1943 de l’équipe spéciale. Il évoluait dans la clandestinité comme un poisson dans l'eau. Il participa à la diffusion de tracts, collage de papillons, inscriptions à la craie sur les murs, à la suite de contacts, il entra dans les FTP-MOI et fut affecté à l'équipe spéciale. Il commit avec succès de nombreux attentats contre les forces d'occupation.

JPEG - 41.4 ko
Marcel Rajman

L'opération la plus spectaculaire fut celle qui fut dirigée contre un haut gradé Allemand, le général SS Julius Ritter, responsable de l'envoi des jeunes Français pour le STO en Allemagne sous l'autorité de Fritz Sauckel, grand ordonnateur de la main d'oeuvre pour le Reich. A Nuremberg, Il sera condamné à mort et pendu. L'attentat eut lieu avec succès le 28 septembre 1943. Comme Ritter blessé par un FTP, Celestino Alfonso, s'extirpait du véhicule, Rajman lui tira dessus à trois reprises.

Le 16 novembre 1943 des inspecteurs interpellent Marcel Rajman et Golda Bancic rue du Docteur Paul-Brousse, (XVIIe arr.). Rajman porte sur lui des faux-papiers au nom de Michel Rougemont. À son domicile clandestin du 296 rue de Belleville les policiers saisissent des armes et des munitions et des feuillets dactylographiés portant des indications sur l’activité des FTP..

Interrogé dans les locaux des Brigades spéciales, Marcel Rajman est torturé, Son frère Simon témoigna qu'il fut battu avec le nerf de boeuf. Ensuite, il est livré aux Allemands qui organisent pour leur propagande un procès devant le tribunal du Gross Paris.. Marcel Rajman est l’un des vingt-quatre accusés qui comparaissent le 18 février 1944 sous l'accusation de terrorisme. Le verdict est prévu d'avance, tous sont condamnés à être fusillés, sauf Olga Bancic, condamnée en tant que femme à la guillotine.

Marcel Rajman est passé par les armes le 21 février 1944 au Mont-Valérien avec les vingt-deux autres condamnés à mort. Son nom et sa photographie figurent sur l’Affiche rouge placardée par les nazis sur les murs des grandes villes : « Rayman : Juif polonais 13 attentats ».

 

La liste des suppliciés et "l'Afffiche rouge"

Document Wikipédia

La liste suivante des 23 membres du « groupe Manouchian » exécutés par les Allemands signale par la mention (AR) les dix membres que les Allemands ont fait figurer sur l'Affiche rouge.

Le nom des 23 est gravé sur la plaque de la crypte et cité avec la mention « Mort pour la France » lors de l'entrée de Missak et Mélinée Manouchian au Panthéon le .

Mémorial de l'Affiche rouge à Valence.

 


Moyenne des avis sur cet article :  1.24/5   (17 votes)




Réagissez à l'article

2 réactions à cet article    


  • Sirius S. Lampion 6 mars 08:27

    C’est bien le premier article sur ce sujet que je vois sur ce site.

    Il faut du courage pour ramer à contre-courant.

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON



Publicité



Les thématiques de l'article


Palmarès



Publicité