Vincent Cassel, « Mon Roi » !
J'ai mis très longtemps avant de voir "Polisse". Allez savoir pourquoi. Maïwenn n'était pas ma tasse de thé. On a des idées préconçues comme ça. Ces fameux préjugés. Mais "Polisse" m'a soufflée. J'ai trouvé ce film original et puissant. Chapeau la réalisatrice. Car il y a une patte, une écriture, une sensibilité, une féminité.
Pour " mon Roi", même réticence. Le film s'est fait démolir par pas mal de critiques. Gravement démolir. (Voir en note quelques spécimens.) Néanmoins je me retrouve dans la salle avec des amis.
Il faut vous dire que j'ai tendance à m'endormir au cinéma. Si le film ne m'accroche pas, dans la béatitude de cette pénombre, retrouvant ces anciennes veillées primitives où brûlent les lueurs d'un feu de camp, le ronron des voix m'est fatal. Mais je n'ai pas dormi à « Mon Roi" !!
Le sujet, tout d'abord ne peut que m'intéresser. En un mot : l'amour fou. Si beau titre d'un roman d’André Breton. Cet amour pour un fou qui vous rend folle. Le plus violent, le plus nécessaire. Le plus destructeur. Je ne sais pas si l'on a vécu si l'on n'a pas connu les terribles montagnes russes de cette passion.
(Petite parenthèse : C’est ce sujet que j’ai essayé de traduire dans un roman. (« Sensia, une école d’amour du temps de Confucius. ») Le passage que je vous propose expliquant peut-être pourquoi j’ai aimé ce film.
Maïtre Ge, professeur d’amour fou parle à ses élèves :
« L’amour fou nous unit à des fous. Ce sont des fous qui nous l’inspirent. Des insolents et des insolentes, des audacieux et des audacieuses, des inconséquents et des inconséquentes, des inconvenants et des inconvenantes. La puissance qui nous lie à eux vient d’un contraste qui nous brûle. Ils nous infusent le plaisir le plus intense. Les voir nous roule dans l’abîme des joies inconnues. Les respirer nous ouvre le cœur. Les toucher nous apprend la musique des corps. Mais leur nature aérienne, volage et volatile, ne convient pas à notre nature enracinée. Notre raison le sait mais elle est agenouillée dans leur temple. C’est l’amour le plus vif, celui qui donne le plus de joie. C’est l’amour le plus cruel, celui qui donne le plus de peine car il est condamné à périr plus rapidement qu’un autre, lui plus nécessaire qu’un autre. Si c’était une musique, ce serait l’immense battement des tambours quand par milliers ils envahissent les plaines et que la terre tremble sous nos pieds. Si c’était un orage ce serait un orage d’été quand on l’attend depuis des jours et qu’il s’abat. Sur la route, on court vers un abri mais il nous saisit de sa violence et nous nous arrêtons sous son ruissellement, basculant notre visage vers le ciel, les yeux fermés, les bras ouverts traversés par son orgasme. L’orgasme tiède du ciel calme notre soif d’infini. L’amour fou est le manque de l’infini.
-Vous le dépeignez d’une manière qui le fait craindre et fuir, dit Jambe de Bambou.
-N’en crois rien dit Maître Ge sortant de sa méditation et retrouvant sa bonne humeur. Appelle-le, au contraire ! Au moment de ta mort, c’est son visage qui flottera au-dessus de tous les autres. Et la puissance avec laquelle il a battu sous tes tempes et que jamais tu n’oublieras, te conduira jusqu’aux champs de l’éternité !
-J’espère avoir d’autres images au moment de ma mort corrigea Wi. Celle des mes terres couvertes de moisson, de mes hommes couverts de trophées, de mes enfants, prêts à reprendre mon héritage !
-Non, non, non. Ce ne sont pas ces images, aussi nobles soient-elles que tu tireras du néant au moment de ta mort, car l’intensité absolue qui nous est infusée, inoubliable, seul l’amour fou nous la fait connaître !
Mais revenons au film « Mon Roi » !
Ainsi donc l'héroïne, Toni (Emmanuelle Bercot, prix d'interprétation féminine à Cannes, on y reviendra), suite à un accident de ski, se retrouve le genou explosé dans un centre de rééducation. Longues heures où elle aura tout loisir de plonger et replonger, certes dans la piscine du centre, mais surtout dans le flot de son passé.
Ainsi donc, Toni est follement amoureuse de Giorgio. (Vincent Cassel). Révélation pour moi que ce comédien. Je l'ai très peu vu au cinéma. Dans ce film, ce qu'il joue, ce qu'il compose est immense. Mais quel acteur ! Comme il rend compréhensible l'attirance de Toni mais aussi son exaspération. Comme il rend vrais ces brusques changements, quasiment météorologiques, où un ciel bleu devient ciel noir.
L'histoire est simple au demeurant mais le talent de la réalisatrice a l'art de composer des multitudes de scènes grâce à une écriture nerveuse, un balancement présent-passé créatif, un univers à la fois enfantin et de vie d'adulte dévastée.
Emmanuelle Bercot est assez fade à mon sens, ce qu'elle a à jouer étant, la plupart du temps :" Je bade mon homme." Du moins fallait-il que le héros mérite une telle fascination. Ainsi tout repose sur les épaules de Vincent Cassel. On doit comprendre les raisons de cette descente aux Enfers. Et il est extraordinairement complexe, charmeur, séduisant, insupportable. Sans oublier une qualité des films de Maiwenn, un naturel d'une extrême fraîcheur en ce sens qu'elle demande à ses comédiens de ne pas réciter son texte mais de se l'approprier dans des improvisations. Et Cassel excelle dans cet art.
J’ai particulièrement aimé la scène où ayant fait l’amour pour la première fois, elle lui demande :
-Heu…Je ne suis pas trop..large ?
-Large ? Large d’esprit ?
-Non…Mon sexe.
-Mais pas du tout, qu’est-ce que tu racontes ? Qui t’a dit ça ? Tu as un sexe comme une bouche. Sans dents…Une bouche de vieille…(lol !) Qui t’a dit cette folie ? il faut que tu férquentes des gens biens !
-Mon ex mari quand il a demandé le divorce. C’était une raison.
-Ce sont les raisons qu’inventent les mecs aux petites queues.
J’aime aussi quand il lui dit : « Les raisons pour lesquelles on va avec quelqu’un sont celles pour lesquelles on le quitte. (Parfois.)
Bref, du bon cinéma. Mais plus un film pour les femmes. (D’où la fureur de critiques masculins qui m’ont envoyé voir cette daube de « Deepan ».) Il y aurait une analyse à faire, là.
Je ferai cependant le reproche suivant. On ne sent que trop que cette histoire est personnelle. Peut-être que MaÏwenn s'en satisfait sans créer une dramaturgie qui donnerait plus de poids à sa construction. Mais ce défaut est celui de tous les films qui choisissent de raconter une histoire sur une longue durée. Ce n'est pas pour rien que les classiques avaient inventé les trois unités ! Du moins, il en faut du talent pour maintenir l'intérêt sur un fil aussi tenu, celui, quasiment du simple documentaire.
Quant à Vincent Cassel, il donne ici la définition du "charme". Vient du latin "Carmen", la parole magique, c'est à dire la poésie.
Les fleurs du Mal ?
Note : Quelques critiques de « Mon Roi »
Dans L'Obs, d'une sévérité ahurissante, on (un homme) ne trouve aucune excuse à ce nanar gnan-gnan que l'auteur de l'article prend plaisir à ridiculiser, le rapetissant au rang d'une amourette de collégienne déçue, usant et abusant d'une syntaxe débilisante ("Mais qu'est-ce que je fais, moi si brillante, toutes mes copines me le disent, avec ce salopard qui me détruit ?") avant de crucifier la réalisatrice, soupçonnée d'avoir couché sans bosser ses peines de cœur sur grand écran, comme si son journal intime et ses "copines" ne lui suffisaient plus. "Maïwenn balance tout en vrac, sans s'inquiéter du comment et du pourquoi, certaine apparemment que, puisque c'est arrivé, ça captivera tout le monde", nous dit le journaliste, avant de souhaiter que certains personnages "ruinent le genou" de l'héroïne qui, manifestement, a suscité chez lui bien plus que de l'exaspération. Chez Télérama, on est soit pour (une femme), soit ultra contre (un homme, sorti du "cauchemar" que fut le visionnage de ce "capharnaüm bouffi de partout" dans lequel l'héroïne, encore elle, multiplierait les "crises d'hystérie"). Redondant, le reproche ricoche chez Libé ("Le bal des hystériques", pondu par un homme), Ecran large ("Téléfilm hystérique", encore un homme), Les Inrocks ("la surexcitation, l'hystérie permanente", encore un monsieur) et on en passe.
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