Visite d’accueil à l’ANAEM : Le sketch n’a pas eu lieu
Je veux présenter ce témoignage pour que les gens se rendent compte de l’effort que doivent faire les immigrés et le parcours du combattant qu’ils doivent traverser pour être dans les règles. On croirait que tout est devenu plus facile pour les cadres (Bac + 5 ou plus), ceux qui font partie de l’immigration « choisie ». Certes, au niveau salaires et embauche, il n’y a pas de souci à se faire, mais au niveau des démarches au près de la préfecture : c’est une toute autre histoire …

Cela fait 7 ans que je suis en France. Peu importe ! Quand on change de statut d’étudiant immigré à salarié immigré, il faut refaire toutes les procédures administratives et passer donc par la visite d’accueil à l’ANAEM(1). Ce qu’il faut savoir c’est qu’en tant qu’étudiant étranger, on dispose d’un titre de séjour provisoire renouvelable d’une année. Ce titre de séjour permet de travailler à mi temps(2) mais interdit d’occuper un emploi à plein temps.
La visite d’accueil fait partie d’un long processus pour confirmer son changement de statut d’étudiant vers salarié. Cela peut se comprendre du point de vue de l’administration française : en tant qu’étudiant, il n’est pas sûr que l’immigré reste en France. Là, s’il fait cette démarche, on est presque sûr qu’il va s’installer définitivement. C’est pour cela que le parcours a été particulièrement long et harassant.
Embauche à coup sûr
J’ai fait mon stage de fin d’année dans mon entreprise sachant que j’étais sûr que j’allais être embauché. En effet, dès la recherche du stage, il faut s’assurer d’une embauche au bout. Pour cela, j’ai dû refuser une offre de stage de AIRBUS malgré le prestige. Les recruteurs de AIRBUS m’ont assuré qu’il n’y avait aucune chance d’embauche en plein plan POWER 8.
Et comme je suis étudiant étranger, je ne peux me permettre ce risque. Faire un stage de prestige chez AIRBUS et se retrouver sans travail durant l’été peut s’avérer un piège puisqu’on peut se retrouver sans boulot et donc, sans aucun moyen de renouveler son titre de séjour en France.
La procédure de changement de statut est longue … très longue. Mon stage finissait Fin Juin, j’ai eu ma promesse d’embauche à la mi-Mai et c’est à ce moment là, qu’avec mon entreprise on a lancé les démarches. Pour vous donner un ordre d’idée, je vais recevoir ma carte de séjour durant la semaine prochaine. La procédure a donc duré un peu moins de 4 mois.
Je vous épargne les détails du dossier qu’il a fallu constituer mais ces quelques éléments sont à noter :
- L’entreprise pour engager un étranger pour la première fois doit s’acquitter d’une taxe de 1600€ pour la visite médicale à l’ANAEM.
- L’entreprise doit déposer une annonce à l’ANPE durant 3 semaines. Elle doit prouver qu’aucun candidat français ne sied au poste et que je suis leur dernier recours. Si un français se présente durant cette période, il faut lui donner la priorité sur ma candidature à compétence égale (même si j’ai fait 5 mois de stage et que l’entreprise est sûre de m’engager). Ce qui se passe concrètement, est que l’entreprise présente une offre de stage taillé sur mon profil.
Ce deuxième point est particulièrement injuste puisque le processus de sélection des candidats a déjà eu lieu lors des auditions pour les stages. Si j’ai été sélectionné, à compétences égales, entre 10 candidats dont 7 français et 3 étrangers, pourquoi refaire la procédure administrativement ?
Les moyens de contrôle ne s’arrêtent pas là puisque la DDTTEP(3) doit donner un avis favorable à mon embauche : ils épluchent mon parcours d’étudiant et vérifient si ma formation correspond bien à mon futur poste.
Autre point sensible de la procédure, le début de l’embauche. Vu que mon entreprise ne peut m’embaucher en tant qu’étudiant à plein temps, elle est obligée de faire autrement.
Du coup, la seule solution est de passer par un CDD qui durera 3 mois au maximum, le temps que j’ai ma carte de séjour salarié.
Cette longue procédure a donc des conséquences périphériques. Car, le CDD signifie pas de CDI avant 3 mois, et donc, des chances très faibles pour trouver un appartement. J’ai eu de la chance pour ma part puisque je vis avec unejolie française et que l’agence a accepté mon dossier. Ce qui n’est pas le cas de certains de mes collègues étrangers … Car, on ne peut rester indéfiniment dans les résidences étudiantes …
Finalement, pour comparer, mes collègues français ont eu leurs propositions début Juin. Ils ont eu le temps de réfléchir et surtout de chercher ailleurs pour trouver mieux. Pas de souci pour eux puisqu’ils ont commencé le 1er Juillet en CDI.
Attention : il ne s’agit pas pour moi de pleurnicher. C’est la règle du jeu : je comprends mieux le concept de travailleur immigré plus « servile ». Car avec toute la procédure à côté, je ne peux me permettre de chercher ailleurs, de faire monter les enchères au niveau salaire, de trouver une entreprise qui est prête à affronter cette procédure monstre… C’est une question de priorité.
Il s’agit juste de donner une idée.
Dernière étape : visite à l’ANAEM.
Cette visite est obligatoire pour obtenir son titre de séjour. Je me suis déplacé donc pour une demi-journée (que mon entreprise a dû libérer). J’y suis allé avec une certaine appréhension : surtout que les expériences des allées et venues vers la préfecture ne sont pas de tout repos. Car, en plus de la longueur de la file d’attente et du temps qu’il faut consacrer à, il y a une certaine ambiance oppressante à la préfecture. On est toujours sous le risque de tomber sur un agent zélé qui peut refuser votre dossier et vous obliger à des allés/retours qu’on ne peut se permettre en tant que salarié.
J’étais sûr que cette visite allait être un grand sketch bourré de clichés. Je comptais d’ailleurs m’en inspirer pour vous présenter ce témoignage écrire un sketch pour mon futur one man show.
Or … il n’en fut rien !
Première remarque : les locaux de l’ANAEM sont neufs et le bâtiment en lui-même est moderne. Nous sommes une quinzaine, ce qui contraste avec les centaines s’entassant à la préfecture. L’accueil est très agréable. Les sourires des agents qui nous accueillent rassurent. C’est un autre visage de l’administration française.
Deuxième remarque : les agents « clefs » sont des français d’origine immigrée ou immigrés eux-mêmes. Nous avons en face une France métissée : la chef de service est française à l’accent toulousain, d’origine nord africaine. La traductrice arabe est marocaine. L’assistante sociale a un charmant accent nordique.
Leur discours est un discours de bienvenue. Ils rappellent quelques principes de la république française : liberté, égalité, fraternité, laïcité. Tout cela dans le respect (loin de certains discours agressifs…).
Le parcours est simple : une visite médicale ainsi qu’une « audition » pour évaluer notre français. Mais d’abord place au … film d’accueil ! C’est la seule fausse note de cette visite.
Il y a certes quelques images agréables. Ce sont celles par exemple des manifestations ou du canard enchainé en train de se faire imprimer … C’est ce qui m’a fait aimer la France personnellement car elles illustraient la liberté d’expression, la liberté de se syndiquer et de protester…
Mais dans la majorité, le film était naïf et assez drôle.
Il explique le pays aux nouveaux venus. Je me rappelle de ce passage « La France est un pays attaché à sa culture » avec des images de vieux jouant à la pétanque !
Passons.
Juste après ce film, c’est au tour de la traductrice. Elle parle un arabe au fort accent … marocain ! J’ai mieux compris la présentation française que la présentation en « arabe ». Ce qui est assez choquant est que la traductrice a commencé son discours par « Mabrouk Ramadan ». Le joli discours de la laïcité tombe à l’eau dès le départ ! Ce n’est pas parce qu’on était tous des maghrébins, qu’on est sensés être des musulmans. Mais c’est sûr que ce geste a été très bien accueilli par les autres.
C’est la discrimination positive ou plutôt, la projection dans des personnes qui nous ressemble par notre appartenance qui a mis tout le monde à l’aise (à part moi-même : je n’étais pas à l’aise avec le fait qu’il fallait nous parler en arabe, même si c’est « sympa »). Ce processus de communautarisme positif fait penser que l’administration l’utilise à son propre avantage.
Encore plus impressionnant, tous les postes clefs ont été choisis de telle façon qu’en face de nous se trouve une personne de la même origine. Le médecin par exemple, m’a parlé en arabe la majorité du temps.
J’ai été un peu choqué par cette façon de faire puisque je crois avoir compris les fondements de la république : il faut transcender sa communauté pour faire partie de la société. Or, en nous accueillant par des gens de notre communauté, on nous pousse vers celle-ci.
Mais je suppose que tout cela a été pensé pour que les nouveaux arrivants aient un premier contact positif et rassurant avec des français qui finalement … leur ressemblent.
Dernière étape est l’audition avec la chef de service pour l’évaluation de mes capacités linguistiques. Je craignais ce moment, non pas que j’aurai fait des « fote d’ortougrafe » mais j’aurais trouvé cela insultant de subir une dictée et une rédaction de CP…. Car, c’est ce qui est arrivée à d’autres collègues ayant fait la procédure l’année dernière …
Mais il n’en fut rien ! La chef de service était très accueillante et après les questions de routine, elle m’a vivement encouragé à « demander la nationalité ».
- Parce que je suis là depuis longtemps ?(4)
« Oui mais surtout parce que vous êtes BAC + 5. Ne tardez pas à le faire ! »
J’ai signé le contrat (à lire ici) et je vais pouvoir récupérer ma carte de séjour bientôt ...
Cette visite à l’ANAEM a été agréable et malgré les déboires de la procédure : c’est une bonne idée même si son concept reste très « américain ». C’est une méthode à la Sarkozy mais qui m’a agréablement surprise malgré quelques fausses notes …
Voilà, j’ai essayé de présenter ce témoignage de la façon la plus objective possible. Les faits ont été présentés et c’est à chacun de se faire son idée.
(1) ANAEM : Agence Nationale d’Accueil des Etrangers et des Migrations
(2) A noter que ce contingent d’étudiants arrivé avec un VISA d’étude n’est pas comptabilisé dans les statistiques du ministère concernant les immigrés qui travaillent.
(3) DTTEFP : Directions départementales du Travail, de l’Emploi et de la Formation Professionnelle
(4) A noter qu’en tant qu’étudiant, il était presqu’impossible d’avoir la nationalité. Toujours à cause du concept de titre de séjour « provisoire ».
5 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON