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Accueil du site > Tribune Libre > Vive la rumeur !

Vive la rumeur !

S’il y a une chose que même le capitalisme ne peut réussir à vaincre, c’est bien la rumeur. A partir du moment où les êtres humains sont doués de parole, et qu’ils se rencontrent, il y aura toujours des rumeurs… Petites ou grandes, les informations contenues dans ces rumeurs apprennent toujours quelque chose à ceux qui les entendent, mais ce n’est peut-être pas là le plus important. Le plus important, c’est justement ce que la rumeur nous apprend non pas sur les autres, mais sur nous-mêmes, nous qui les colportons.

Tout d’abord, elle rend bien compte de l’appétit de communication du genre humain : que ce soit durant la guerre ou sous la censure, les hommes conservent leur pouvoir d’imagination, ainsi que l’illusion de l’importance de leur personne. Que la rumeur soit inventée, infondée, partiellement ou totalement vraie, les mots avec lesquels elle est diffusée sont capables de la rendre à la fois plus crédible et plus complexe, ou plus belle ou plus vendeuse. Tous les textes fondateurs des mythes ne seraient-ils pas d’ailleurs l’aboutissement de l’amplification de la rumeur ?

Car le nombre de fois qu’elle est reprise et répétée compte aussi, ainsi que la légitimité de celui qui la colporte. Une rumeur qui s’installe dans le temps se transforme, et ce n’est pas toujours celle qui s’est rapprochée le plus près de la réalité qui aura raison pour l’Histoire. Une chose est sûre cependant, c’est que le « transmetteur » de la rumeur possède un pouvoir de mystification auprès de celui à qui il la fait découvrir : il est , au moins l’espace d’un instant, « celui qui sait », et cela flatte son ego.

Ensuite il faut constater la force de la rumeur : capable de faire tomber un gouvernement, de créer des mouvements de masses considérables et bien d’autres choses encore, elle est source de l’Histoire en même temps qu’elle participe à l’Histoire. Qu’elle soit vraie ou pas, la rumeur qui est crue vaut plus que la réalité qui ne semble pas vraie. Elle devrait nous rendre conscient de sa dangerosité potentielle, ainsi de ce qu’elle nous montre de notre crédulité. Mais nous en sommes friands, et il n’est pas envisageable de ne plus ni les produire, ni les colporter.

La raison de cette force réside dans la faculté de persistance que possède la rumeur, qui si elle grossit se gonfle jusqu’à former une sorte de vérité dans l’opinion publique, et qui par ce biais se doit d’être ou bien démontée par des faits, ou bien risque d’être validée même par le simple silence face à son expansion. Ce phénomène devrait nous interroger sur la puissance de ce qu’on appelle « l’opinion publique », ou « force du nombre » : en effet, c’est bien le rapport entre la capacité de l’émetteur et le nombre qui détermine la valeur de la rumeur, et fonde sa validité. Cela signifie que la rumeur, dans certaines conditions, dépasse la force des chiffres, du comportement rationnel, et donc que les mots peuvent avoir plus de pouvoir sur le comportement des hommes que l’appât du gain.

Quoi que nous fassions, nous restons des êtres sensibles, et les relations que nous entretenons entre nous troublent sans cesse la volonté de perfection capitaliste qui ne cherche qu’une optimisation mathématique. Comme s’il était besoin de preuves, les échecs du capitalisme montrent bien le gouffre qui sépare les comportements désirés de ce système face à la réalité de ces derniers.

Et oui, « il n’y a pas de fumée sans feu ». Voilà une « sagesse populaire » qui résume bien l’imperfection humaine, capable de se fier à cette citation plutôt qu’aux résultats d’une entreprise, ou au démenti de la victime.
La bourse par exemple, qui représente pourtant la quintessence du chiffre, ne fonctionne en réalité que sur la confiance en les rumeurs qui proviennent d’informations plus ou moins certaines, ou par rapport aux résultats chiffrés d’indices de confiance assez subjectifs, même pour des mathématiciens.
Une rumeur de faillite peut la provoquer, comme la rumeur d’une trahison peut rompre un couple peu solide. Et les paroles censées inspirer la confiance peuvent aussi être l’origine de la rumeur du sauvetage de la Grèce, ce qui pourrait avoir un véritable effet si elle est assez crédible, ou l’effet inverse si elle ne l’est pas assez.

Mais cette absence « de fumée sans feu », qui évoque la force de la rumeur, lui donne un caractère communément accepté d’origine sérieuse, alors qu’il ne devrait pas en être ainsi. Il existe des rumeurs complètement infondées, inventées de toutes pièces, mais qui peuvent quand même avoir des conséquences réelles sur les comportements humains. En réalité on se fiche de savoir si l’origine de la rumeur est véritable ou non : le véritable enjeu est de savoir si elle est assez crédible ou pas. Ensuite, les conséquences de cette rumeur sont, elles, bien réelles, et c’est bien cela qui compte. “La fumée”, cela peut être l’origine du feu, en ce sens que cela peut être la rumeur qui engendre des réactions, réactions qui auront elles-aussi des répercussions véritables. Qu’il s’agisse de rumeurs concernant des hommes importants, ou des institutions financières, elles ont un poids réel et conséquent, et peuvent sinon détruire le système dans son ensemble, au moins le mettre à mal à peu de frais…

Face à ce constat, je ne peux donc que me réjouir de la persistance des rumeurs, et attendre de leur incroyable potentiel effectif les relais médiatiques suffisants pour faire tomber les murs qui nous oppressent… car quand on y pense, la rumeur n’est pas un acte délictueux, mais seulement une sorte d’interprétation de faits (réels ou pas) capable d’influer sur le cours des évènements ; tout le monde peut se tromper ! Et le jour où la rumeur qu’un autre monde est réellement possible prendra dans l’opinion publique, qu’elle sera assez puissante pour entraîner sa réalisation par la confiance qu’elle a engendré, alors il se pourrait que de rumeur elle devienne réalité. C’est tout ce que je nous souhaite

 

Caleb Irri

http://www.calebirri.unblog.fr


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7 réactions à cet article    


  • finael finael 14 avril 2010 10:25

    Pourtant les rumeurs ont tué, déshonoré.

    La « rumeur d’Orléans » qui a inventé que « les juifs » enlevaient des femmes dans les cabines d’essayage pour se livrer à la traite des blanches en 1969.

    La « cinquième colonne » qui a paniqué les français en 1940.

    Combien de gens lynchés, liquidés par la rumeur ?

    des « sorcières » du moyen-âge aux rumeurs d’armes de destruction massive pas si vieilles, la rumeur, « combien de divisions » ?


    • brieli67 14 avril 2010 10:51

      remarque Finael :
      Les procès des « sorcières » c’est beaucoup plus récent. XV XVI même XVII dans certaines contrées.
      C’est la Contre-réforme « papale » menée tambours battant par l’ordre des Jésuites


    • Fergus Fergus 14 avril 2010 11:02

      C’est vrai, Finael. Mais comme l’a souligné l’auteur avec raison, la rumeur peut être propagée sur des vérités.

      Des vérités que les médias ont interdiction de divulguer, ou à propos desquelles ils s’auto-censurent. Ce fut notamment le cas de la fille de Mitterrand, connue de la plupart des éditorialistes, et de la maladie de ce même Mitterrand, connue elle aussi d’une minorité de personnes. Des rumeurs qui ne dépassaient pas un cercle restreint. Mais il arrive que les barrages cèdent, et la rumeur se propage, sans forcément s’étendre de manière spectaculaire, la sur-réaction pouvant en l’occurrence agir comme un accélérateur de propagation.

      Une rumeur peut être dangereuse et ignoble lorsqu’elle est basée sur de pures affabulations, parfois à connotation antisémite comme à Orléans. Mais une rumeur peut aussi être une vérité en marche !


    • Voris 14 avril 2010 10:34

      Mon Dieu, mon Dieu, Dati est là,
      Simple et tranquille.
      Cette paisible rumeur-là
      Vient de la ville.

      (« Quelqu’un m’a dit... » par Voris Verlaine)


      • Voris 14 avril 2010 10:40

        C’était un extrait de « Clapotis dans l’Odet ».

        Proverbe : La rumeur n’atteint pas l’enrhumeur pas plus que le rhume des 6 cerveaux ne trouve terrain favorable en des parties si minuscules même quand l’orgueil de leur propriétaire les gonfle exagérément.


      • frugeky 14 avril 2010 10:34

        Caleb Irri serait l’auteur de L’insurrection qui vient...

        Si ça toque chez vous demain matin à l’aube, c’est que la rumeur fonctionne...

        Merci, encore une fois, pour vos articles et pour votre livre.


        • ninou ninou 14 avril 2010 11:18

          Vous connaissez la nouvelle ?
          De source sûre, l’argent est appelé à disparaître au profit de la gratuité ! Le travail va être remplacé par des services citoyens adaptés aux capacités de chacun ! Les êtres humains vont enfin avoir le temps de vivre, d’élever leurs enfants, d’échanger savoir, savoir-faire, bons moments, productions familiales...

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