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Accueil du site > Tribune Libre > Vivre avec le chaos ?

Vivre avec le chaos ?

Imaginons un monde où tout est réglé dans le moindre détail. Un monde sans faille, sans à-peu-près. L’ordre règne en toutes choses. La maladie serait inexistante : impossible qu’un dérèglement organique ou fonctionnel vienne troubler cette paix installée dans tous les domaines.

Un monde sans chaos serait un monde parfaitement réglé où tout est prévisible. Le chaos est par définition ce qui échappe au contrôle et à la prévision. Son absence signifierait une situation de contrôle sur les événements du monde collectifs et individuels, physiques et psychiques. La loi de cause à effet, le déterminisme, régenteraient alors la vie. Tout ce qui adviendrait étant la conséquence d’une cause, il suffirait de connaître les causes pour agir sur les effets. En théorie.

Mais la loi de cause à effet est-elle omnipotente ? Tout peut-il être prévu ? Il semble que cette loi puisse s’appliquer assez facilement aux systèmes et interactions simples. Le déterminisme est de mise si par exemple on lance avec force un gros caillou dans une fenêtre : on peut prévoir qu’elle se brisera, si ce n’est pas du verre incassable.

Mais plus les systèmes sont complexes et plus il contiennent potentiellement des failles ou des désorganisations aux conséquences difficilement prévisibles. Il existe une représentation du chaos comme étant une destruction générale du monde. Elle est évidemment excessive : si c'était le cas l’univers n'aurait pas survécu à lui-même. Il faut plus voir dans le chaos un état de désorganisation. Dans la mythologie grecque Chaos est l’état primordial d’où naît l’univers, la nuit, le jour et la Terre, Gaïa. Dans la religion chrétienne le chaos est l’état primordial d’indifférenciation de la matière - peut-être ce qui existait dans la soupe primordiale au tout début du big bang - avant l’intervention de dieu qui aurait organisé cette matière et créé la Terre et le ciel, ainsi que toute vie sur Terre. On peut y voir symboliquement le parcours de la masse primordiale de cellules de l’embryon, qui s’organise jusqu’à la naissance, puis la vie bouillonnante de l’enfant qui elle aussi s’organise peu à peu jusqu’à l’ordre adulte.

Les idées de désorganisation et d’imprévisibilité sont associées au chaos. Une société en proie à la désorganisation est vue comme plongée dans le chaos. Les lois, les règles qui organisent les relations humaines sont des manières de le contenir. La loi protège de ce que l’on pourrait nommer l’arbitraire du chaos.

Mais tout est-il prévisible ? Tout obéit-il à une loi de cause à effet sans faille ? Pouvons-nous tout contrôler ? Non. Plus les systèmes sont complexes, plus on a à gérer des ensembles animés, et moins le contrôle ou la prévisibilité sont envisageables. L’imprévisibilité n’est pour autant pas signe de destruction. Un exemple de système où l’on peut voir un certain degré de chaos est le climat, et plus particulièrement sa composante météorologique. On peut prévoir le temps qu’il fera dans une minute pour un endroit donné. Dans une heure c’est déjà moins facile : cette durée suffit pour voir le développement d’un orage. Pour un jour le facteur de certitude diminue. A une semaine tout peut changer. Les grandes lignes météorologiques sont prévisibles en général, mais pas toujours. Par exemple si l’on sait que l’été est une saison plutôt chaude dans l’hémisphère nord, un imprévu peut changer cette statistique. Ainsi en 1816, l’année sans été où il neigeait en juillet dans certaines régions d’Europe.

kandinsky2.jpg
Le corps humain est relativement prévisible. On sait comment il se reproduit, comment il naît et grandit, comment il fonctionne. Dans les grandes lignes on sait à quoi s’attendre. Mais dans le détail de nombreux événements peuvent déjouer les plans. Ainsi la maladie, qui n’est pas une chose prévue, se développe-t-elle parfois à notre insu. Le cancer est une des maladies les plus proches du chaos. La désorganisation cellulaire déjoue l’immunité et l’ordre physiologique.

Le chaos n’est donc pas un état habituellement recherché. Pourtant, si tout était réglé, prévisible, le monde serait une prison totale. On saurait à la naissance tout ce qu’il adviendrait de nous : nos études, nos réussites et nos échecs, notre profession, avec qui nous aurions des enfants, à quel âge nous allons mourir. La société serait parfaitement lisse et sans surprise.

Mais les choses ne se passent pas ainsi. Il y a une part d’imprévisibilité. Des expériences émotionnelles ou des dérèglements physiques surviennent, des désorganisations s’installent dans les groupes humains. Une part de chaos nous accompagne. Les traumatismes, les maladies, les plans qui ne se déroulent pas comme prévu, l’autre que l’on ne peut mettre sous contrôle, sont autant de facteurs de chaos.

Faut-il tout rendre encore plus prévisible ? Faire encore plus de lois contre le crime ? Mettre plus de policiers dans les rues ? Connaître à l’avance tout ce qui pourrait nous arriver ? C’est déjà la tendance. Et cela n’empêche pas une part de chaos de coexister avec l’organisation du monde.

La nécessaire protection et organisation doit cohabiter avec l’acceptation de cette part de chaos. Et même, si le chaos est un retour à l’état primordial, il peut être une chance de renouveau. L’ordre tend à scléroser les systèmes autant qu’il les protège. Le chaos peut les régénérer, jusqu’à ce qu’un nouvel ordre organise ce chaos et le rende efficient.


On dirait qu’il y a dans le vivant une sorte de balance entre ordre et désordre, et un équilibre jamais définitif entre la protection organisée et l’absence de certitude.

Vivre avec le chaos ? Peut-on faire autrement ? D'ailleurs, ne vivons-nous pas avec une part plus large que l'on n'imagine d'inorganisé, d'aléatoire, d'imprévisible ?

 

(Images : Kandinsky)

 

Un petit Sepultura pour la route ?


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19 réactions à cet article    


  • foufouille foufouille 21 décembre 2011 14:16

    bon clip
     :->


    • Loatse Loatse 21 décembre 2011 14:20

      @Bonjour hommelibre

      Je crois en cette loi de cause à effets, que l’on peut assi appeler loi de l’attraction....Pour moi le chaos ne peut être qu’apparence, celui ci répond à une logique qui souvent dépasse l’entendement...

      La maladie frappe t’elle à l’aveuglette ou n’est elle qu’une conséquence d’un conflit, d’un trouble émotionnel non résolu... ? est ce un hasard lorsque des cellules se mettent en apoptose ? (le processus par lequel des cellules déclenchent leur auto-destruction en réponse à un signal)

      L’imprévu existe til ? ou bien n’est il que la réponse à nos attentes inconscientes ?


      • hommelibre hommelibre 21 décembre 2011 16:06

        Bonjour Loatse,

        Votre question de fin est intéressante et fait rebondir plus loin. La difficulté est de donner un sens ou de trouver les liens de cause à effet à une masse très importante d’événements et d’interactions (cellulaires, biologiques, cosmologiques, sociétales, écologiques, etc).

        La loi de cause à effet a une logique puissante. Peut-être est-ce notre logiciel mental qui n’est pas encore capable de voir toutes les interaction et tous les liens.

        Le chaos pourrait aussi être une forme d’organisation et d’interactions dont nous ne comprenons pas la logique.

        L’idée que les choses imprévues puissent correspondre à nos attentes inconscientes laisse la place à ce que la réalité, même celle qui nous déplaît, s’inscrit dans un processus que nous avons appelé sans forcément le savoir. Le monde serait alors bien plus conforme à nos attentes inconscientes que nous ne l’imaginons ou le voulons !

        C’est une piste intéressante. Mais en même temps je reste perplexe à la possibilité que le monde puisse être le résultat de cette attente. Imaginez 7 milliards d’attentes - autant que d’humains !

        Ça en fait des possibilités ! Pourrait-il y avoir encore une cohérence ?


      • Loatse Loatse 21 décembre 2011 17:07

        cohérent, oui. Selon le regard que l’on pose sur les choses, les événements... la capacité ou la volonté de les analyser, d’en comprendre le mécanisme...

        pour moi l’incohérence serait le fait que nous soyions tous ballotés « au gré des vents »... sans interaction d’aucune sorte sur nos vies, notre environnement, nos rencontres.( In fine, il est possible de provoquer sciemment celles ci, d’interagir avec ce qui nous entoure..).

        chose amusante puisque, de spectateurs de nos vie, nous devenons acteurs...

        Quand au chaos comme on l’entend habituellement, que ce soit à l’échelle individuelle ou d’une nation (je me hasarderai pas au niveau cosmique), il semblerait que ce soit la résultante d’informations (de données) contradictoires... mais là encore on retrouve une logique, une cohérence à la fois dans le processus et dans le mode de résolution...

        Hasard, imprévu, coincidence.... des mots bien utiles si nous pensons n’avoir aucun pouvoir sur les événements...

        mais quand je regarde notre parcours à travers l’histoire, je constate que l’homme est un créateur... pour les petites comme pour les grandes choses celui ci est capable d’utiliser ce potentiel pour le bien de l’humanité comme pour sa destruction...







      • zelectron zelectron 21 décembre 2011 14:45

        Le chaos n’est-ce pas l’autre forme du hasard ? Tout n’y est pas qu’enfer et désolation, on dit même que le « hasard » fait bien les choses.


        • Mor Aucon Mor Aucon 21 décembre 2011 16:03

          À l’auteur,

          Vous avez tort d’essayer d’opposer chaos et déterminisme. Je ne vais pas vous saouler avec un raisonnement auquel vous ne répondrez pas donc je vous envoie vers le début d’une recherche que vous pourrez vous-même compléter : http://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_du_chaos


          • babaro babaro 21 décembre 2011 22:36

            @Mor Aucon

            intéressant votre lien vers la théorie du chaos car il montre que le chaos s’intègre lui-même dans un système dynamique déterministe dans lequel s’introduit un élément nouveau de récurrence provenant d’une sensibilité particulière aux conditions initiales et qui confère l’instabilité au système.
            En clair pas de chaos sans système déterministe. Bien vu.
            Ce qui revient à dire que si le chaos existe c’est bien que nous vivons dans un système déterministe. Mais sans système déterministe, sans les lois intangibles de l’univers, sans Dieu ? il n’y aurait que chaos ou néant. Le chaos et son imprévisibilité sont peut-être l’espace de liberté laissé à l’homme pour le soustraire (de façon imprévisible) à ce déterminisme.
            En ce sens pour l’homme, d’un point de vue sociétal, le chaos s’oppose bien au déterminisme.


          • Mor Aucon Mor Aucon 21 décembre 2011 22:42

            Pour l’instant la théorie du Chaos n’a pas besoin de la variable externe Dieu.


          • babaro babaro 21 décembre 2011 22:46

            pourquoi pas ?


          • Mor Aucon Mor Aucon 21 décembre 2011 22:46

            D’autre part et pardon pour avoir coupé ma réponse, je ne pense pas que l’on puisse définir la liberté comme la capacité d’échapper au déterminisme du système sinon plutôt comme celle de l’assumer et le manipuler.


          • babaro babaro 21 décembre 2011 22:51

            attention, à trop vouloir manipuler le système on est pas loin du chaos (ko)


          • Mor Aucon Mor Aucon 21 décembre 2011 23:01

            Pourquoi les mathématiques ne peuvent considérer la variable Dieu ? Parce que Dieu dans le modèle du Big Bang serait l’instabilité primitive, celle qui aurait provoqué l’expansion. Le problème c’est que la science s’arrête juste un peu avant d’atteindre les conditions initiales. Donc à ce qu’il y avait avant, vous pouvez lui donner le nom que vous voulez, cela ne changera rien à la suite. À moins que vous n’introduisiez un dieu surnaturel de type religieux qui agit sur le système pendant son évolution. Or rien de surnaturel n’a jamais été reproduit. Ce qui le semblait au premier abord, s’est intégré au bagage scientifique ou est resté une croyance. Selon cette approche, la foi c’est la foi et la science autre chose qui n’a rien à voir bien qu’elle puisse prendre la première comme objet d’étude.


          • babaro babaro 21 décembre 2011 23:28

            Puisque vous le prenez sur ce terrain, j’en ai quelques unes pour vous :

            « La merveilleuse constitution de l’univers avec son harmonie incomparable, n’a pu se faire que selon les plans d’un Etre tout puissant et omniscient. Cela demeure ma plus haute et ultime conviction » Isaac Newton

            « Aussi profondément que nous pouvons porter notre regard, nous n’apercevons nulle part une contradiction entre la religion et la science, mais bien plutôt concordance sur les points essentiels. Religion et science ne s’excluent pas, comme certains le croient ou le craignent, mais se complètent et se conditionnent. Pour le croyant Dieu se trouve au début, pour le physicien au terme de toutes pensées » Max Plank

            « Chaque scientifique sérieux doit éprouver un sentiment religieux, ne pouvant s’imaginer que les fines cohérences qu’il découvre ont été pensées d’abord par lui-même. Dans cet univers incompréhensible se révèle une infinie raison supérieure. L’opinion courante qui prétend que je suis athée est erronée. Celui qui prétend les découvrir dans mes théories scientifiques ne les a pas comprises. » Albert Einstein

            Je m’arrête là mais je pourrais vous en citer un « wagon » et pas seulement des plus grands scientifiques !
             


          • Mor Aucon Mor Aucon 22 décembre 2011 00:01

            Quelle manie, les citations hors de contexte. Les scientifiques sont des êtres humains et sont donc dotés, eux aussi, de capacités pour éprouver une foi. Croyez-vous réellement que leur foi les a aidés à quelque chose d’autre qu’à se tromper ? Justement les difficultés d’Einstein à admettre l’expansion de l’univers et la probabilité quantique peuvent en être les meilleurs exemples. Les athées aussi, peuvent développer un système de croyance car ce ne sont pas des extraterrestres. Donnez-moi une seule théorie scientifique qui tienne en compte Dieu, on ira plus vite.


          • Hermes Hermes 21 décembre 2011 16:35

            Bonjour,

            C’est une lapalissade mais a notion de chaos n’existe qu’en relation avec la notion de système en fonctionnement durablement stable. Un système délimité peut être stable et devenir chaotique (obéir à des règles plus complexes et être déstructuré) à la survenue d’un événement rare ou extrérieur (comme dans votre exemple d’année sans été, les éruptions volacniques collosales, ou encore une collision avec un objet stellaire). C’est valable aussi pour un système en expansion permanente (stabilité de l’expansion) quand il rencontre une limite (comme le système économique et financier actuel, ou l’économie de consommation).

            Le chaos c’est donc avant tout l’idée que le choc n’est pas intégrable.

            L’homme rêve d’un paradis stable (donc sans interaction avec les accidents du monde ou sans limite), alors que c’est la découverte des nouveautés aux limites de son système qui le maintiennent en éveil et lui donnent l’intérêt. Souvent la notion de chaos est brandie pour entretenir la peur de la nouveauté.

            Si le choc n’est pas intégrable c’est avant tout parceque la peur et le rêve éveillé maintiennent dans une inertie dans laquelle l’esprit de découverte et de construction ne peut pas émerger.

            « vivre avec le chaos » ne peut pas être un objectif pour soi-même, même si en temps que contre-pied provocateur, il a un côté séducteur. Se connecter à sa capacité de découverte et de construction, en diminuant sa propre peur, peut sans doute être utile pour intégrer les « chocs » potentiels.

            Joyeux noel !


            • babaro babaro 21 décembre 2011 22:45

              @Hermès

              Excellent à propos, dans votre parallèle avec le système financier actuel.

              Je crains pour ma part que le « chaos » ait été volontairement introduit et donc qu’il ne relève pas de la définition du chaos en ce qui concerne son imprévisibilité.


            • Hermes Hermes 22 décembre 2011 11:20

              Bonjour,

              Ce qui est imprévu par certains peut effectivement être imprévu pour beaucoup d’autres. C’est pour celà qu’il est primordial de ne pas faire dépendre sa capacité à vivre le présent en pleine conscience, de l’apparente stabilité de notre environnement, mais de trouver la source intérieure de notre capacité créatrice.

              Cdt.


            • oj 22 décembre 2011 04:08

              cela me fait penser a cette Enième emission sur l’extinction des dinosaures :

              Finallement l’espèce qui avait conquit la planete a ete reduite a néant en quelques années alors que son évolution ne menait a rien et que les pauvres petits mammifères planqués et developpant le placentaire ont pu en profiter pour prendre la relève pour une évolution plus fructueuse.

              Chaos ?


              • ddacoudre ddacoudre 22 décembre 2011 11:47

                bonjour homme libre
                nous ne sommes qu’un élément actif du chaos, un élément avec une valeur qui interagit avec son environnement et le déterminisme n’est possible que comme attracteur d’un désordre.

                cordialement

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