Vladimir Poutine : une mémoire soviétique tenace
Selon la transcription qu’en donne Frédéric Pons – l’un de ses biographes -, Vladimir Poutine serait l’auteur d’une formule désormais devenue célèbre : « Celui qui ne regrette pas l’URSS n’a pas de cœur ; celui qui souhaite sa restauration n’a pas de tête. » (page 43)

En Occident, cela ne peut guère que nous choquer : l’Union soviétique n’a pas chez nous si bonne réputation. Que peut donc regretter Vladimir Poutine de cet univers totalitaire, concentrationnaire, etc ?…
Evoquant un événement sur lequel nous reviendrons par la suite, et à l’occasion duquel Mikhaïl Gorbatchev, le promoteur de cette fameuse perestroïka qui devait mettre à terre l’URSS, avait été plus ou moins bousculé par certains héritiers du stalinisme, Frédéric Pons nous rappelle que…
« lors du coup d’État d’août 1991, Poutine était encore officiellement officier du KGB, qu’il avait pourtant quitté depuis des mois » (page 79),
et que, chose qui surprend le biographe par la dose de stalinisme qu’elle nous laisse entrevoir chez le futur président de la Fédération de Russie…
« Poutine avoue pourtant comprendre les putschistes : « Leur but, sauver l’Union soviétique du chaos, était noble. » » (page 79)
Et puis voici que cette vague nostalgie pourrait même trouver à se traduire dans les nouvelles méthodes de gouvernement dont Vladimir Poutine se promet d’être l’initiateur :
« Nos buts doivent devenir accessibles et compréhensibles à tous, écrit-il en 2000. Comme l’était le Code des bâtisseurs du communisme [qui présentait les commandements de la morale soviétique, précise Frédéric Pons]. » (page 147)
Plaçant cette formule en exergue, alors qu’il vient tout juste d’atteindre à la magistrature suprême, le nouveau Président contrarie ce que nous croyions savoir du système réputé totalitaire de l’Union soviétique : ainsi y avait-on le souci de permettre à la population de savoir dans quelle direction elle allait… de façon collective.
Pire, le voici qui met en oeuvre, lui aussi, ce souci de la… collectivité, dans cette très grosse affaire où il s’agissait de faire rendre gorge à l’un des oligarques qui ont réussi, en quelques années, à dépouiller l’ancienne URSS de l’essentiel de ses plus grandes entreprises.
Frédéric Pons nous décrit l’ensemble du décor dans lequel Vladimir Poutine a dû tout d’abord apprendre à s’orienter :
« Fort de sa richesse, Khodorkovski rejoint le conseil d’investissement du groupe Carlyle aux États-Unis, dans lequel siège notamment la famille Bush. Il crée Russie ouverte, une fondation qui doit lui assurer une visibilité majeure à l’étranger et à Moscou. Bâtie sur le modèle de l’Open Society Institute du milliardaire américain George Soros, adoubée par Henry Kissinger et Lord Rothschild, « Russie ouverte » devait être son assurance-vie, sa « krysha », son toit de protection pour les mauvais jours. Il restait une dernière brique à poser pour sécuriser Ioukos : l’association avec Exxon Mobil et Chevron-Texaco. Cette prise de participation de 20 milliards d’euros, en 2002-2003, devait renforcer son groupe et rendre son jeune patron incontournable dans l’establishment financier international. Le montage est vite validé par les Américains, très intéressés par cette nouvelle source de pétrole s’affranchissant des producteurs arabes. » (pages 180-181)
Ayant échappé à la collectivité soviétique, il fallait bien que toutes ces richesses aillent un peu irriguer le camp d’en face…
« Khodorkovski met de l’huile dans les rouages en faisant de généreux dons aux États-Unis, par le biais de « Russie ouverte ». Des fondations américaines, des think tanks, la Librairie du Congrès, le National Book Festival animé par Laura Bush, l’épouse du président George Bush, reçoivent de belles sommes d’argent. L’album photo du bienfaiteur s’enrichit : on le voit souriant au côté de Bush et de la First Lady, du vice-président, Dick Cheney, et de la secrétaire d’État, Condolezza Rice. » (page 181)
Selon Frédéric Pons, Vladimir Poutine voit bien qu’ici…
« s’ouvre un risque de sécurité nationale : la mainmise de l’Amérique sur une partie du trésor pétrolier russe. » (page 181)
Or – et c’est sans doute ce qui devrait nous choquer pour autant que nous ayons la « fibre libérale »…
« Il pense d’abord à l’État, au collectif. Il veille à l’application de la loi, protection de tous, plus qu’à la protection des droits privés. » (page 182)
Redisons-le autrement :
« Il ne s’intéresse pas à un destin singulier brisé momentanément mais préserve un projet communautaire de longue haleine. » (page 182)
Vladimir Poutine serait-il devenu un dangereux communiste après seulement quelques années d’exercice du pouvoir suprême ?
Nous ne tarderons guère à y aller voir de plus près.
(NB : Pour entrer davantage dans la réflexion conduite ici, et l’étendre à des questions bien plus vastes, je recommande que l’on s’inscrive dans le groupe « Les Amis de Michel J. Cuny » sur Facebook.)
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