Voile intégral et débat sur l’identité nationale
Le café radical qui avait lieu à Val de Reuil mardi 19 janvier animé par Olivier Taconet était intéressant à plusieurs titres. Il nous a permis de faire la connaissance de la députée radicale de gauche des Hautes-Pyrénées, Chantal Robin-Rodrigo, et de connaître, au travers du témoignage d’Hafidha Ouadah, ce que signifiait le port du voile intégral. Aujourd’hui, selon le ministère des affaires intérieures, le port du voile intégral concerne entre 1900 et 2000 femmes dans notre pays.
Ne pas mélanger les genres
Il convient tout d’abord d’isoler la question du voile intégral du débat sur l’identité nationale qui reste avant tout une initiative personnelle du chef de l’État. La mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national à laquelle participe Chantal Robin-Rodrigo a été créée le 23 juin 2009 par la conférence des Présidents. Le Président de cette mission est André Gérin, membre du groupe Gauche démocrate et républicaine. Or, le site autour du débat sur l’identité nationale annoncé le 25 octobre par Eric Besson a été créé le 2 novembre 2009.
Je voudrais pour ma part balayer d’un revers de la main les arguties qui consistent à faire le reproche qu’à vouloir légiférer sur la question du voile, nous ferions le jeu du pouvoir et de l’extrême-droite. Le paradoxe est que, sur cette question, l’extrême-droite – Marine Le Pen le rappelait face à Eric besson le jeudi 14 janvier 2010 sur France 2 – ne souhaite pas une nouvelle loi. Parce que nous serions contre le port du voile intégral, nous serions racistes ? Il serait malhonnête de faire l’amalgame entre le débat sur l’identité nationale, les minarets et le port du voile intégral alors que toutes ces questions relèvent de problématiques parfaitement autonomes. Je tiens à préciser que j’ai pour ma part signé la pétition Nous ne débattrons pas lancée par Médiapart. Au passage, Arlette Chabot aurait pu s’apercevoir que Vincent Peillon avait signé cette pétition et que, par voie de conséquence, il ne débattrait pas !
Pratique coutumière et Islam de France
Le deuxième écueil de la discussion autour de la question du voile intégral, c’est de vouloir s’occuper de ce qui serait conforme à un Islam de France. Cette idée d’un Islam de France n’a strictement aucun sens dans la mesure où la religion ressort de la sphère privée. Autrement dit, le fait de savoir ou non si le port de la burqa relève du désir mimétique à s’identifier à la femme du prophète, de la charia ou bien d’une pratique coutumière afghane ou de pays du golfe persique comprend en germe le risque de nous occuper de ce qui ne nous regarde pas. Nous n’avons pas à nous prononcer sur le fait que le port de la burqa favorise ou non les pratiques d’un intégrisme religieux, sur le fait de l’absence de lien entre le port du voile intégral et la pratique de l’Islam. Laissons aux autorités religieuses islamiques le soin de régler cette question qui dépend exclusivement de la sphère privée. La charia n’est pas la loi de la République.
La déclaration des droits de l’homme de 1789, la loi
C’est vrai... Nous disposons de textes sur cette question. C’est tout d’abord la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui précise en son article X : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ».
Le samedi 20 juin 2009, par décret, le gouvernement français a publié un texte qui punit d’une amende maximale de 1 500 euros "le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public". A l’image du syndicat Synergie, on peut avoir de sérieux doutes sur l’application d’un tel dispositif qui nous ramène d’ailleurs à la question du contrôle d’application d’une loi sur le voile intégral. Il semble toutefois que ce texte ne puisse pas s’appliquer au port de la burqa. Et puis, il y aurait une grande malhonnêteté intellectuelle à invoquer le trouble à l’ordre public alors que le débat se situe ailleurs.
Il y a aussi, dans les textes qui fondent la loi de la République, la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 co-rédigée par Stéphane Hessel, dont les articles 4, 5, 6 et 7 précisent :
- Article 4 : Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude ; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes.
- Article 5 : Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
- Article 6 : Chacun a le droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique.
- Article 7 : Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente Déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination.
La question est : doit-on protéger les individus des cas de servitude volontaire ?
On peut aussi invoquer l’article 19 de la convention internationale des droits de l’enfant de l’ONU rédigée en 1989 lorsqu’on astreint des fillettes au port du voile intégral. Dans ce texte, est considérée comme maltraitance faite à mineur « Toute forme de violences, d’atteinte ou de brutalités physiques et mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle ». Dans le cas de la burqa, peut-on considérer qu’il y a cas de violence psychique ?
Beaucoup de questions et, on le voit, bien peu de réponses juridiques sans oublier que la constitution française reconnaît à l’individu le droit de se vêtir comme il l’entend.
Ce qui doit nous guider
La vraie question qui se pose au travers de la burqa est de savoir si nous devons changer de valeurs. La dérive communautariste et identitaire à laquelle nous assistons est l’expression d’un individualisme exacerbé. Doit-elle nous obliger à abandonner l’universalisme républicain en acceptant l’idée du relativisme ? Qu’est-ce que le relativisme, sinon l’acceptation du poids des traditions séculaires les plus absurdes marquées du sceau de l’obscurantisme et du sectarisme, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles se sont établies au cours de l’histoire contre les femmes !
Devons-nous accepter cette prison identitaire réservée aux femmes et aux fillettes pour des raisons qui n’ont pour le coup rien à voir avec la religion et qui relève exclusivement d’une logique de domination des hommes sur les femmes ? Comment pourrions-nous accepter que le processus d’individuation d’une femme musulmane puisse se réaliser sans le regard des autres ? Enfin, si nous reconnaissions dans le port du voile intégral un cas de violence psychique faite à un enfant, par quel miracle cette violence qui s’appliquerait aux fillettes cesserait à l’âge de 18 ans ? Pourquoi accepterions-nous en France le symbole d’une barbarie que nous dénoncions naguère en Afghanistan ?
Retour au café radical
Alors, oui, quand Véronique Julien, conseillère régionale de Haute-Normandie, évoquait dans l’émergence de la burqa le symptôme de la violence économique et sociale, du recul de la République, elle avait raison ! Oui, quand Franck Martin, maire radical de gauche de Louviers, opposé à la loi, a brandi la liberté et le droit à se vêtir comme nous l’entendons, il avait raison. Oui, quand d’autres évoquèrent un déficit d’information et d’éducation, ils avaient raison.
Mais, ne rien faire sur cette question, c’est renoncer à la séparation des sphères privées et publiques, renoncer à nos valeurs et aussi à l’intégration, accepter l’insulte faite aux femmes et à la République. C’est accepter qu’une poignée de prédicateurs sectaires imposent leur loi au plus grand nombre. Or, leur loi, c’est le rejet de la République et de nos valeurs.
Alors, quand Hafidha Ouadah nous a montré ce qu’était un voile intégral, je crois que nous étions nombreux à avoir compris qu’il y avait urgence à légiférer. C’est aussi le sentiment de Chantal Robin-Rodrigo et d’une grande majorité de parlementaires. Évitons toutefois le piège d’une loi particulariste, de circonstance, qui engendrerait immanquablement la stigmatisation d’une partie de nos concitoyens ! Évitons enfin sur cette question les manœuvres de petite politique politicienne.
Crédit photos : Web-libre.org, Actu-environnement, Les Socialistes et la Nation
Source : Voie Militante
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