Voir la crise du Covid-19 avec une conscience apocalyptique
1) Que le Covid-19 ait engendré une crise, cela fait aucun doute, que la crise soit planétaire, nul n’en doute, qu’elle atteigne les hommes, les foyers et tous les secteurs de la vie sociale, c’est on ne peut plus certain. C’est donc une crise qui, dans un sens systémique, désigne une instabilité et actuellement, une déstabilisation à l’échelle du monde. L’idéogramme crise signifie pour les Chinois, danger et opportunité. Mr Xi a su saisir l’opportunité pour renforcer le contrôle. En France, chacun saisi aussi sa propre opportunité. D’aucuns ont vendu des masques au coin des rues, alors que les fabricants de solutions écologistes sont déjà sur le pont et s’apprêtent à faire la publicité qui fera prospérer leur petite entreprise verte. Le monde est en danger mais ce qui les intéresse, c’est leur petit commerce.
2) Crise signifie en grec ancien jugement. Et accessoirement, décision. En Chine, il n’y a qu’un seul avis, celui du PCC, et un seul qui décide, c’est Mr Xi. En France, tout le monde donne son avis. Marine Le Pen, le concierge de l’immeuble, Michel Cymes… la liste est trop longue, un annuaire ne suffirait pas. Ici en France, tout le monde sait ce qu’il faut faire. L’épicier du coin suit l’expert et dit qu’il faut porter le masque. Le gauchiste du coin dit que les capitalistes doivent payer l’addition. L’urgentiste dit qu’il faut renforcer le système hospitalier et cette fois, il a raison. Il n’y a pas que des avis mauvais, il y a souvent du bon, des solutions locales, pleines de bon sens. Entre autres choses, cette crise scinde la société en deux genres, les cons et les gens sensés. Avec plein de nuances. Nul n’est con ou sensé à 100%.
3) Finalement, les gens serpentent, s’agitent, cherchent des solutions, des coupables. Qu’est devenu le monde ? Il se scinde entre trois catégories. Il y a ceux qui voient midi à leur porte, ceux qui cherchent midi à quatorze heures et ceux qui remettent les pendules à l’heure. Cherchez bien et vous saurez les reconnaître. Et vous constaterez à quel point cette description est universelle. Nous sommes à la fin de l’ère moderne, celle initiée par les premières horloges du XIVe siècle, sonnant les heures pour rassembler les citadins, puis indiquant le temps pour mesurer la chute des corps. Quoique, Galilée n’utilisait pas l’horloge mais le pendule. Les hommes modernes ont cru au temps. Ils ont même adoré un Dieu promu Grand Horloger de la religion naturelle, vénéré dans les messes maçonniques. Les églises se sont tues, les fidèles ont déserté les églises pour une autre grande messe elle aussi réglée avec une horloge. La communion cathodique se déroule à 20 heures, dans tous les foyers. Nul besoin de se déplacer mais vous êtes prié de vous acquitter du denier du culte cathodique, la redevance. Dans la messe du 20 heures, on voit apparaître de temps à autre le maître des horloges, un certain Emmanuel Macron. Mais il n’y aura pas de bénédiction urbi et orbi. Nous vivons plutôt une malédiction. Le président s’adressera aux damnés de la terre et de la France. Il donnera le mode d’emploi pour gérer l’enfer de la crise. Le maître des horloges a perdu le Nord, sa boussole s’est affolée, attirée par d’innombrables magnétismes, ceux des conseillers du prince, des experts et son épouse Brigitte. Soyez rassuré, on a connu pire. Reagan consultait sa dame s’improvisant cartomancienne, alors que Mitterrand invitait Elisabeth Tessier pour quelques indices astrologiques et peut-être un supplément glané sous forme de confidence sous l’oreiller. Sommes-nous à l’aube d’une mort de l’Homme ? Ce serait ennuyeux. Notre-Dame a brûlé et nous ne pourrons pas être présents pour entendre le Grand Requiem.
4) Il y a ceux qui serpentent et les aigles. Ce sont les deux animaux de compagnie de Zarathoustra. Nietzsche apprécie les aigles. Ceux qui connaissent le sentier de Nietzsche qui part des hauteurs du village d’Eze pour atteindre la mer peuvent apprécier un point de vue magnifique. Vous imaginez certainement Nietzsche en ce XXe siècle, se lançant avec un parapente pour descendre surement dans la vallée. Détrompez-vous, Nietzsche aurait été bien plus audacieux, il aurait saisi un deltaplane pour voler plus loin, ajustant les voiles, saisissant les tourbillons du vent pour parcourir le monde des hommes (et aussi des femmes, nous sommes à l’ère inclusive !). Il nous faut des philosophes de cette envergure pour nous éclairer sur le monde d’après qui arrive. La plupart croient voir ce monde qui vient, ils le confondent avec le jour d’après.
5) Voir le monde nécessite une conscience apocalyptique. Rares sont ceux qui en disposent, pour autant qu’on puisse en disposer car cette conscience est subtile, nous croyons en disposer alors que c’est elle qui nous dispose, orientant notre regard parabolique vers les espaces infinis du Temps. Cette conscience est paraît-il une sensibilité spécifiquement allemande nous dit Peter Sloterdijk dans son essai écrit en fulgurance et qui signe son œuvre, la mobilisation infinie. Cette conscience permet d’apprécier la dimension apocalyptique de l’Histoire. Celle entre autres de l’étant suprême, de la Révélation et de la parousie pour les chrétiens, ou de l’Etre, de l’Ereignis pour les philosophes jouant de la gnose, sans oublier la « mystique » juive ou islamique. Sloterdijk énumère ces philosophes, tous allemands. Hegel, Marx, Weber, Bloch et Habermas d’un côté, Nietzsche, Spengler, Heidegger, Taubes et Löwith de l’autre. Bien évidemment, par une modestie d’usage, Sloterdijk ne se désigne pas comme le dernier de la liste. Il n’en a pas besoin, le lecteur averti sait que l’auteur de la mobilisation infinie dispose de la conscience apocalyptique. Et seule une conscience de ce type pourrait nous éclairer. Mais qui pourrait voir le monde d’après arriver et surtout qui pourrait l’entendre ? C’est là la question. Les gens sont atteints de surdité mentale. Et regardent passer les chouettes de Minerve si pressées qu’elles n’ont même pas attendu la tombée de la nuit pour s’envoler. Pendant ce temps quelques aigles volent mais ils sont si hauts dans leur pensée que nul ne peut les voir. Et quand bien même ils descendraient pour nous visiter, les gens les confondraient avec des palombes et sortiraient leur fusil pour les canarder.
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