« Vol de nuit parisienne »
Quarante ans après Mai-68, l’individualisme, l’indifférence, le communautarisme et la tiédeur du mou règnent en maîtres sur la France, et surtout à Paris qui, jadis, fut une des capitales mondiales de la nuit.
Le temps est au conformisme des "gens qui se lèvent tôt", dixit Sarkozy
Par la force des législations successives et divers arrêtés préfectoraux de police, la nuit se meurt. Elle n’a aujourd’hui plus beaucoup d’intérêt car, vidée de sa sève culturelle et sociale, elle est devenue un produit de consommation.
Pragmatisme et réalisme font la loi, il n’y a plus de marge dans la norme.
Notre société est en passe d’être englobée par le grand conformisme de masse, et le communautarisme dangereux maintenu par une peur des uns et des autres. Consommation, aliénation, interdiction d’être soi sans les autres.
Les gens n’ont plus soif de liberté, mais de tranquillité.
On revendique son droit au cocooning, le syndrome de l’autruche sévit au nom du désir de quiétude sociale. On veut savoir pour se rendre indifférent à tout.
La seule chose qu’on nous demande c’est d’Avoir : du temps, de l’argent, de la compétence à se la fermer. Nous sommes à l’heure de "l’auto-promo", chacun défend son minable bifteck, et les médias sont les premiers à entretenir ce monde d’uniformité dans l’ennui. On ne doit plus fumer, on ne doit plus boire, on doit sortir entre les bornes délimitées par la loi des plus forts. On doit vivre dans une réalité française qui s’américanise de plus en plus, et personne ne s’en offusque.
Les autorités procèdent par méthode et détermination pour s’attaquer en douceur à chaque espace de liberté. La nuit peut être considérée comme ce qui est le plus intime dans la vie des citoyens qui n’en sont plus à certaines heures.
Le bouc émissaire des grosses légumes de l’Etat fut longtemps la culture électronique, le principe même de la "teuf" est obtenu par un rassemblement qui dure toute la nuit et surtout jusqu’à midi au moins, le lever du soleil constituant pour un teuffeur "le summum de la fête". Les pouvoirs publics déclarent "vouloir en finir avec les afters". Selon la préfecture de police, ces soirées prolongent la fête jusqu’à l’aube et favorisent la consommation d’alcool et de stupéfiants. Ils ont déjà condamné ce mouvement, mais il reste, semble-t-il, quelques poches de résistance. La ponte d’un nouvel arrêté préfectoral devrait résoudre le problème sans trop de heurts...
Le glas a sonné pour les noctambules de tous poils
Toutes les cultures alternatives sont en danger, un univers tout entier de musique "underground" est menacé au nom d’une soi-disant "Lutte contre l’alcoolisme des jeunes", le fer de lance du ministre de la Santé, Roselyne Bachelot.
La préfecture de police cible aujourd’hui les bars de nuit parisiens qui sont menacés par un arrêté en date du 17 juin dernier. La nouvelle réglementation concerne les horaires de fermeture de ces établissements avant 2 heures au lieu de 6 heures du matin.
Ces bars ne répondraient pas aux normes de sécurité établies par l’arrêté (incendie, niveau sonore, issues de secours) et poseraient un problème de nuisance sonore.
Seules les boîtes de nuit et les grosses salles de concert peuvent remplir ces critères trop stricts et contraignants pour des petits bars de nuit organisant des fêtes occasionnelles. Or, ces lieux de nuit sont surtout le refuge pour des DJ et artistes inconnus qui peuvent le temps d’un concert ou d’un live-set être rémunérés par cette "économie de la nuit". Les patrons ne sont pas prêts à investir autant d’argent pour mettre leur bar aux normes pressurisées de ces mesures préfectorales. Certains ont même dû licencier du personnel du fait de la fermeture précoce à 2 heures.
On réalise que 80 % de ces bars de nuit concernés sont en fait les établissements gais du Marais. Ce quartier a toujours été un bon thermomètre de l’ambiance parisienne.
"Depuis cet arrêté, plusieurs établissements se trouvent en situation particulièrement difficile. Au Carré, rue du Temple, les effectifs passent de 23 à 7 salariés et les pertes en termes de chiffre d’affaires s’élèveraient à près de 40 000 euros par mois. Le Eagle, rue des Lombards, perd 60 % de son chiffre d’affaires quotidien et doit se séparer de 4 salariés." (Têtu)
Communautarisme seule réalité sociale
Les communautarismes sont tellement devenus imperméables les uns des autres qu’il devient impossible d’y pénétrer sans s’infiltrer. Il n’est pas aisé d’enquêter dans le Marais sans faire partie de "la communauté". Au Mixer bar, rue Sainte-Croix de la bretonnerie, comme au légendaire Cox de la rue des Archives, le journaliste qui ne travaille pas pour Têtu se prend un sacré râteau.
Ancienne Mecque de "la branchitude gay" et de l’attitude nocturne libre et sans limitation, le quartier se calme peu à peu dans une attitude bobo généralisée où tout le monde s’ennuie, se regardant vieillir dans le miroir déformé de la culture transformée en consommation frénétique du paraître. La suspicion a remplacé la subversion des genres. Il semble que depuis quelques années les mentalités ont évolué unilatéralement vers un effacement des positionnements, les gais ne sont plus en quête de reconnaissance, de visibilité. Ils désirent juste accéder à "la norme", cette norme qui rend invisible les particularismes de chacun.
Tous au centre dans une similitude de pensée ennuyeuse et cadrée
La grande "Paris by night" a été sacrifiée au nom du dieu Télé, seul vecteur de l‘uniformité institutionnalisée, cette trappe à médiocrité contemporaine a le talent de transformer l’ombre en lumière. Les individus ne veulent plus penser, ils désirent seulement être divertis et vendus pour ce qu’ils ne sont pas.
Paris ne saurait aujourd’hui être comparée à Barcelone ou Berlin.
Qui aurait pu penser qu’un jour Paris deviendrait une ringarde bourgade que l’on comparerait à Bordeaux, Compiègne ou Montpellier ?
Dépouillée de son âme libertaire, le modèle dominant du faux bourgeois a tout uniformisé, la marginalité n’est plus, ne restent que les exclus.
Shiva Shakti Shanti
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