François Hollande ? Nicolas Sarkozy ? Qui peut savoir quel sera l'heureux élu au soir du 2e tour de la présidentielle de 2012 ? Une seule certitude : ce sera un personnage politique adoubé par le système capitaliste, et non l'un de ces candidats fantaisistes qui firent naguère le bonheur des gazettes et la joie du bon peuple lors de scrutins le plus souvent oubliés. Coup d’œil dans le rétroviseur sur quelques personnages hauts en couleur...

Seul Coluche, dans un passé relativement récent, a pu se hisser à la hauteur de ses glorieux prédécesseurs en rigolade électorale. Et même, par la grâce d'une popularité grandissante alliée, en début de campagne, à une large couverture médiatique, les surpasser largement en audience auprès du public. Avant, chose surprenante, d’acquérir une inattendue crédibilité électorale, comme le montre le film « L’histoire d’un mec », réalisé en 2007 par le journaliste et cinéaste Antoine de Caunes.
« La France est divisée en deux, je veux qu’elle soit pliée en quatre ! » affirmait l’humoriste en annonçant sa candidature le 30 octobre 1980 au Théâtre du Gymnase. Une candidature accueillie comme un gag. Et de fait, c’est ce qu’elle était au début, avant que le « bouffon de la République » ne se prenne au jeu, oubliant les conseils de son ami Romain Bouteille, co-promoteur du canular. Une candidature qui faillit se terminer en drame lorsque Coluche, gréviste de la faim défaillant, dut jeter l’éponge, au début du mois d’avril 1981. Victime des énormes pressions qui s'étaient exercées contre lui de la part de ses propres amis, en relais des caciques de la gauche socialo-communiste. Victime également de la censure qui lui avait été progressivement imposée par l'ensemble des médias, y compris l’organe emblématique de la pensée de gauche, le quotidien Libération. Un bouffon n'atteint pas 16% d'intentions de vote sans commencer à faire de l'ombre au prince désigné, en l’occurrence l’énigmatique François Mitterrand, et à ses vassaux !
Au delà du canular, Coluche aura en fait été un candidat de rejet de la classe politique traditionnelle, de rejet de ces promesses fallacieuses, de ces engagements illusoires, de ces comportements hypocrites qui caractérisent trop souvent les campagnes électorales. Dès lors, il n'appartenait plus au cercle très fermé des rigolos du scrutin.
Une confrérie dont, au demeurant, n'a jamais fait partie, quoi qu’on ait pu en dire, l’humaniste souvent incompris Marcel Barbu, candidat de l’élection présidentielle de 1965 face au général de Gaulle et à François Mitterrand. Ancien déporté de Buchenwald, ancien député de l’Assemblée Constituante de 1946, Marcel Barbu, prétendument « mandaté par l'association immobilière de Sannois » se présentait lui-même comme le « candidat des chiens battus ». Et de fait, celui que de Gaulle nommait « l’hurluberlu » avait lui-même une tête de cocker triste, au point de larmoyer parfois devant les caméras de l’ORTF.
D'autres ont, en revanche, brillamment illustré localement cette facette insolite de la démocratie française dans différents scrutins nationaux ou locaux.
« Lopistes » pour les partisans, « lopettes » pour les opposants
Parmi eux, le tribun des resto-U parisiens et son légendaire triporteur : Mouna Aguigui (de son vrai nom André Dupont).
Un tantinet anarchiste, résolument écolo, il a laissé l'image d'un patriarche provocateur, tantôt apôtre de la pédale, scandant « des vélos, pas des autos ! », tantôt chantre de la propreté, réclamant « des trottoirs, pas des crottoirs ! ». Candidat du MOU (Mouvement Ondulatoire Unifié) aux législatives de 1968, Mouna assénait un slogan choc : « Les temps sont durs, soyez MOU ! Insuffisant toutefois pour l’emporter face au ministre gaulliste René Capitant. Cela ne l’a pas empêché de récidiver plus tard sous l’étiquette du PMU (Parti Mondialiste Universaliste). Écologiste avant l’heure, Mouna a laissé un slogan plus que jamais d’actualité et dont on s’étonne qu’il n’ait pas été repris par les caciques d’EELV : « Mieux vaut être actif aujourd’hui que radioactif demain ! ». (Pour en savoir plus, lire « C’est en parlant haut qu’on devient haut parleur ! »).
Sur un plan national, l’austère Ferdinand Lop a, quant à lui, longtemps marqué les campagnes de la République, réclamant sur un ton solennel l’« extinction du paupérisme après 10 heures du soir » ou bien encore la « suppression du wagon de queue du métro ». Mais sa plus grande réussite, outre le fait d'avoir suscité contre lui le « mouvement anti-Lop » alors qu’il menait campagne au « lopodrome » du Boul Mich’ (un bistro disparu à l’angle de la rue Soufflot), tient dans cette perle des slogans électoraux, à juste titre passée à la postérité : « Il faut au char de l'État la roue d'un Lop ! »
Albert Caperon, jeune dandy fortuné, occupe, lui aussi, une place de choix dans cette galerie. Candidat aux législatives de 1893 à l'instigation de son ami Alphonse Allais, « Captain Cap », soi-disant héros du Far-West et pseudo marin d'élite, était soutenu par différentes personnalités, et notamment par l’écrivain Georges Courteline. L'auteur de Messieurs les ronds-de-cuir ne pouvait, il est vrai, faire moins à l'égard du champion de la lutte contre la bureaucratie. Mais le programme de Captain cap ne s'arrêtait pas là et prévoyait, entre autres gaîtés, « l'établissement d'une plazza de toros sur la butte Montmartre » et la « transformation de la place Pigalle en port de mer ! » Hélas pour lui, les plaisirs balnéaires et les jouissances tauromachiques étaient encore fort méconnus des parisiens : il ne recueillit que 175 voix !
Où l’on prend les vessies pour des lanternes électorales
La plus belle réussite en matière de canular électoral eut pour théâtre le Quartier latin lors des législatives de 1928. Paul Brandon, député sortant conservateur, semblait devoir être réélu dès le premier tour de scrutin lorsqu'un candidat inattendu se présenta contre lui. Brandon avait, il est vrai, mécontenté la population estudiantine en obtenant la suppression des pissotières du Boul' Mich'. Incontinent, si l'on ose dire, les potaches cherchèrent à lui faire payer cet outrage à la miction. Encore fallait-il trouver une idée. Elle survint sous la forme d'un brave homme, modeste vendeur de violettes, un peu clochard, et surtout doté d'un incroyable patronyme : Paul Duconnaud !
Le convaincre, lui l'habitué des édicules, de se présenter contre Brandon, fut un jeu d'enfant. Dès lors, moyennant quelques chopines, la campagne pouvait commencer. Elle donna lieu, bien évidemment, à des situations cocasses dont le sommet fut sans conteste la grande réunion électorale de la rue Victor Cousin. Ce jour-là, assis à une table recouverte d'un drap vert, Duconnaud, ou plus exactement l'étudiant caché sous la table, put enfin développer un programme comportant notamment les mesures suivantes : suppression des impôts, transformation de la station du quai Saint-Michel en gare maritime et, bien entendu, rétablissement des pissotières ! Duconnaud, passablement éméché, se contentait de souligner chaque intervention d'un vigoureux coup de poing. Il n'en obtint pas moins un triomphe. Et, pour 127 voix, mit Brandon en ballotage !
Qu'à cela ne tienne, le député sortant était désormais débarrassé de cette présence encombrante. Du moins le croyait-il. Jusqu'au moment où, stupéfait, il découvrit cette affichette de désistement placardée dans tout le Quartier latin : « Voter pour Brandon, c'est encore voter pour Duconnaud ! »
Bonjour, le baiser qui tue ! De quoi donner des idées à tous les déçus de la Sarkozye, fantasmant pour le 2e tour de 2012 sur un désistement clair du Front National, du genre « Voter pour Sarkozy, c'est encore voter pour Le Pen ! »
Mais bon, ne rêvons pas et revenons à nos moutons, ou plus exactement à nos bouffons pour regretter leur disparition. De nos jours, hélas, le canular politique tend à se raréfier, victime du protectionnisme frileux des politiciens conformistes et de règles castratrices. Plus de Lop ou de Captain Cap pour amuser une galerie devenue bien tristounette. Plus de Mouna, coiffé de sa casquette à médailles, pour haranguer la foule à la fontaine Saint-Michel. Décidément, nos amis québécois ne connaissent pas leur chance, eux qui, depuis les années 60, peuvent voter pour les candidats du décoiffant parti Rhinocéros dont le plus illustre a été Cornélius 1er, un jeune rhinocéros particulièrement ambitieux qui, en 1978, a obtenu... 7% des voix aux législatives !
La France politique n’est plus qu’une morne plaine. Même les comiques patentés Lefebvre et Morano, « ça fait plus rire personne », comme chantait naguère Michel Rivard, ancien candidat du parti Rhinocéros, avec ses amis du groupe Beau Dommage dans la Complainte du phoque en Alaska. Résultat : on s’ennuie... on s’ennuie... on s’ennuie...
