Voulait-on vraiment Merah vivant ?
La polémique va bon train. Des voix se sont élevées pour souligner l’incompréhensible absurdité - à première vue - des modalités de l’assaut ayant abouti à la mort du tueur présumé si on avait voulu le prendre vivant… Dysfonctionnements qui n’en sont plus si, en fait, l’on visait à sa liquidation…
À ce sujet, le fondateur et ancien patron du GIGN [Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale], Christian Prouteau n’y est pas allé par quatre chemins : ne mâchant pas ses mots dans le quotidien Ouest France [23 mars], il juge sans ambages que l’opération a été « menée sans schéma tactique précis » et s’interroge sur la non utilisation de gaz incapacitants… « Comment se fait-il que la meilleure unité de la police ne réussisse pas à arrêter un homme seul ? On aurait pu lui tendre une souricière, attendre qu’il sorte et le coincer » ? Ce qui a été fait par exemple en septembre 2001 à Béziers pour neutraliser un forcené franco-maghrébin adepte du bazooka… lequel fut attiré dans un guet-apens et proprement éliminé. Peut-être lui aussi pour qu’il ne parlât point ?
Parce qu’au vu du résultat (et après la bagatelle de 32 heures de siège alors que le gouvernement clamait sur tous les toits que Merah serait « pris vivant »), dire en langage militaire - que le Raid « a merdé », ne constitue pas en soi une explication suffisante. La prétendue cascade d’erreurs dans le cas toulousain un parfait euphémisme pour tous ceux qui ne veulent pas voir les faits en eux-mêmes, dans leur stricte nudité et brutalité.
D’ailleurs faisant écho au commandant Prouteau [Maariv « Échec opérationnel » 23 mars], Alik Ron, ancien chef de l’Unité d’intervention de la police et des Forces spéciales parachutistes israéliennes, tançait tout aussi vertement l’assaut donné à Toulouse par une police française ayant échoué à capturer le suspect vivant malgré le laps temps et la latitude d’action dont elle avait disposés : « Qui attend 30 heures quand il n’y a pas d’otages ? Toute l’opération ressemble à une démonstration de stupidité… L’objectif n’était pas inaccessible : un appartement, un fugitif isolé, pas d’explosifs, pas d’otage, dans une zone qui n’est pas un territoire ennemi ou un champ de bataille mais qui permet aux forces de sécurité de se déployer à leur guise » ! Qui dit mieux ?
L’assaut relaté par le patron du Raid
À l’arrivée, Merah succombe à deux tirs mortels : « l’un sur le côté gauche du front, l’autre qui lui a traversé l’abdomen par le flanc droit ressortant par le gauche », tout en ayant été criblé de projectiles – une trentaine au total – notamment dans les bras et les jambes, son torse étant protégé par un gilet pare-balles, au moment où il tenta de sauter de son balcon. Or selon le patron du Raid, le contrôleur général Amaury de Hauteclocque « Merah voulait rejoindre Allah »… sans aucun doute, en s’essayant à sauter du balcon après avoir déjà été fusillé à bout portant ! Pourquoi alors avoir résisté et envisagé à deux reprises de se rendre ?
Dans un entretien accordé au Figaro [23 mars], Hauteclocque nous conte par le menu le déroulement de cet « après midi de chien » 1. Le « plan » prévoyait en principe d’« investir l’appartement par les portes et les fenêtres avec des hommes en masque à gaz et équipés d’armes non létales, sécuriser les lieux, s’approcher de l’endroit où le forcené se trouve et le saturer de lacrymogène pour le faire sortir et l’appréhender ». Enfin, c’est ainsi que le contrôleur Hautecloque présente a posteriori les choses… Poursuivons son récit « Nous mettons presque une heure pour progresser avec les plus extrêmes précautions dans l’appartement sans aucune réaction de sa part ». Appartement dont la surface est, précisons-le, de 25 m2 ! « Embusqué, il nous attend. Au moment où l’on commence à percer le mur de la salle de bains pour envoyer le gaz lacrymogène, il commence nous à tirer à travers les parois au gros calibre. À feu nourri, quasiment la cadence d’une arme automatique. Je donne l’ordre à mes hommes de ne pas riposter. Les snipers envoient par les fenêtres deux grenades offensives pour le choquer. Il sort soudain de son réduit pour monter à l’assaut contre nous »… « Je pensais qu’il serait terré dans un coin et qu’on allait pouvoir le chercher quand il serait à court de munition. Au contraire, il est sorti comme un diable de sa boîte. Lorsqu’il est arrivé à hauteur du balcon pour essayer de poursuivre et d’abattre des policiers postés en protection, il est neutralisé. L’autopsie a révél é 28 impacts mais il portait un gilet pare-balles. Il est atteint d’une balle dans la tête. Du bord du balcon où je me trouvais pour diriger l’assaut, je le vois tomber quasiment à mes pieds... Près de 300 coups de feu ont été échangés…Un véritable corps à corps ».
Le Figaro : « Que répondez-vous à ceux qui vous reprochent d’avoir attendu trente-deux heures avant d’intervenir ? »… « Que j’aurais pu attendre encore des heures et des jours s’il le fallait pour prendre Merah vivant. Mais il a choisi son destin… Il a voulu nous affronter sur son terrain et avait préparé son appartement en mettant des meubles, des canapés, des matelas devant l’ensemble des portes et fenêtres. Il avait transformé son logement en zone de combat ». Cela se passe de commentaire. Si M. Hautecloque - ayant reçu, par le truchement de sa hiérarchie, des ordres formels émanant du président de la République de capturer le suspect vivant - pourquoi, ainsi qu’il le déclare ici, n’a-t-il pas attendu « encore des heures et des jours » comme il prétend avoir été prêt à le faire ?
« Ma mission aurait été de l’abattre, je mitraillais l’appartement avec les calibres de notre arsenal et l’affaire était réglée en trois minutes. Mais, je le répète, nous voulions le prendre en vie ». En réalité, la mission, non dite, non écrite du contrôleur général – certains ordres se comprennent à mi-mot n’est-ce pas ? - était de prolonger l’un de ces spectacles médiatiques dont les foules raffolent - sang et suspens - tout en donnant le change, c’est-à-dire en laissant croire que Merah avait une chance quelconque de s’en sortir et de passer devant une cour de justice. Merah ayant joué son rôle, il lui fallait quitter la scène pour ne plus y revenir.
Des questions de bon sens
Revenons à la réponse du contrôleur Hautecloque à une question subsidiaire du Figaro quant au non usage de gaz lacrymogènes. Un couac qui en a fait tiquer plus d’un ! Le Figaro : « Et pourquoi ne pas avoir tenté d’envoyer des gaz à ce moment-là ? »… « On avait fait exploser les fenêtres pour éclairer l’intérieur de l’appartement et voir ce qui s’y passait. Avec toutes les voies d’aération qu’il y avait, les gaz auraient été extrêmement inefficaces. Et aussi gênant pour lui que pour nous ». Si nous comprenons bien la logique du Raid, mieux valait abattre Merah comme le chien enragé qu’il était, plutôt que de le « gêner » et le « serrer aux pattes » comme annoncé ?
Depuis, l’argument suivant lequel « portes et fenêtres de l’appartement ayant été arrachées » l’efficacité des gaz n’était pas certaine, a fait florès. Marianne 2 Secret Défense donne à ce propos la parole à un super expert en la matière : « Nous n’utilisons pas de gaz. Les seules personnes que je connaisse qui utilisent des gaz sont les anesthésistes, et ils tiennent la main à leur patient, le surveillent tout le temps et l’accompagnent à leur réveil car il y a toujours un risque… Si nous l’avions gazé et qu’en ouvrant la porte ensuite nous l’avions trouvé mort, s’il avait fait partie du pourcentage de gens qui ne le supportent pas, quelles auraient été les réactions ? On se souvient de la polémique après les morts au théâtre de Moscou ». Qui ne voit non plus le haut comique dont font preuve ces gens qui, pour éviter les risques d’une anesthésie fatale, refroidissent leur client d’une balle dans la tête ? L’époque est surréaliste et apparemment les gens du Raid ne semblent pas bien (vouloir) se rendre compte du rôle véritable qui, volens nolens, leur a été dévolu. N’oublions que, situation incongrue, c’est le ministre de l’Intérieur en personne qui a supervisé les opérations alors que ses fonctions ne l’y habilitaient pas 2. Ceci expliquant peut-être cela !
D’autres zones pénombreuses… cinéma et mise en scène !
« Il est midi. Le RAID se retrouve seul en face à face avec Merah. Les policiers décident de faire sauter sa voiture, une Renault Mégane garée à proximité qui contient des armes et des explosifs, comme le tueur présumé l’a lui-même indiqué avant de se murer dans le silence » [22 mars L’Express « Merah et le Raid, 32 heures de face à face »]. Tiens, pourquoi avoir détruit le véhicule du suspect ? Celui-ci a-t-il jamais dit qu’il était piégé ? Les artificiers n’existent donc plus, coupes budgétaires obligeant ? L’information n’a guère été reprise et il faut ramer pour en retrouver mention. Alors, s’agissait-il de détruire des preuves ? Au demeurant les enregistrements vidéos des meurtres n’y étaient pas puisqu’ils sont maintenant mystérieusement réapparus…
Comment en outre expliquer l’évacuation d’un quartier, la coupure de l’éclairage public, de disposer des moyens les plus performants de vision nocturne et attendre le grand jour pour lancer une opération qui s’avère être au final le plus parfait fiasco ? Certes, comme le rappelait judicieusement le Premier ministre François Fillon vendredi 23 après que le postulant à la présidence Hollande eut relevé jeudi « une faille et un échec » (ce qui ne vaut pas dire grand chose : appelons un chat, un chat) au vu du piteux dénouement de l’Affaire… « Il n’y avait aucun élément permettant de l’appréhender avant son passage à l’acte ». Ah bon !
Et pourquoi ? Parce que Mohamed Merah, apparemment titulaire d’un passeport algérien 3, son « officier traitant » de la DCRI [l’expression officier « traitant » se retrouve également, par contamination sans doute (?), dans les colonnes du Figaro] « pensait avoir en lui un informateur fiable » ? C’est en tout cas ce que laisse supposer une « tribune libre rédigée par « Sam », un fonctionnaire de police de la DCRI », publiée le 25 mars sur le site communautariste JSSNews. Un fonctionnaire dont la version de l’assaut mérite d’être citée pour ce qu’elle vaut : « Le fonctionnaire le traitant pensait avoir en lui un informateur fiable. Ce n’était pas le cas, Mohamed Merah a su habilement abuser de cette confiance pour mener à bien la mission terroriste à laquelle il était formé depuis plus de deux ans ». Formé par « qui » puisqu’il a agi « seul » ?
« Si les négociations en vue de sa reddition ont duré près de 32 heures c’est parce qu’il fallait ce temps pour décider ce qu’il convenait de faire pour éviter un scandale. Le RAID et le GIPN disposaient de moyens suffisants pour mener un assaut non létal contre un individu seul, sans otage, même lourdement armé. Il semblerait que très rapidement il ait été décidé que cet individu ne devrait pas être laissé en état de parler. Les 300 douilles retrouvées sur place et le « tir pour tuer » du tireur d’élite de la section Oméga du RAID ne laissent pas la place au doute ». Ce sera le mot de la fin, si c’est « eux » qui le disent, ils doivent savoir de quoi ils causent !
Épilogue
Alors que les enquêteurs continuent de privilégier la thèse d’un acte isolé de Mohamed Merah, [AFP 27 mars], les mêmes tentent d’identifier un ou le « troisième homme », qui aurait pu assister les frères Merah dans le vol du scooter utilisé par le tueur, à Toulouse et à Montauban… Ou peut-être également le postier anonyme qui a mis dans le circuit les images des trois scènes de crime. Images proscrites en France à la demande exprès de M. Sarkozy, mais séquences dont dispose cependant la Maison mère d’Al Jezirah, à Doha au Qatar… Demain les images devraient ainsi normalement circuler sur la planète pour mieux nous rappeler que la France vient, elle aussi, de connaître son mini Onze Septembre.
Notes
(1) « Un après-midi de chien » (Dog Day Afternoon) 1975. Ce film américain de Sidney Lumet relate le siège d’une banque où se trouve enfermés deux braqueurs, sous le feu des médias. Une situation somme toute assez comparable à celle de Toulouse ces 21, 22 et 23 mars 2012.
(2) AFP-22 mars. Claude Guéant, ministre de l’Intérieur : le présumé tueur au scooter Mohamed Merah « a sauté par la fenêtre avec une arme à la main en continuant à tirer et il a été retrouvé mort au sol ». Le contrôleur Hautecloque déclarait de son côté que Merah était tombé « à ses pieds sur le balcon » où lui-même se trouvait. Des contradictions éloquentes quant au vrai déroulé de l’action.
(3) Ce qui lui conférerait la double nationalité.
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