Vous avez dit représentativité ?
Un peuple, une institution qui est censée parler en son nom... Et le fossé entre les deux qui se creuse.
Vote représentatif, personne représentative,
association représentative, syndicat représentatif... Actuellement, et particulièrement depuis le 21 avril 2002, le monde politique
nous sert de la représentativité à toutes les sauces et, il faut bien le dire,
souvent à mauvais escient.
Car finalement, qu’est-ce
que la représentativité ? Le fondement même de la
démocratie, certes. Mais également et surtout une notion remarquablement
ambivalente. En voici deux définitions, issues du Trésor de la langue française, le dictionnaire Internet, à mon sens les deux principales à
retenir :
Représentativité :
1) Aptitude reconnue à une personne ou à un organisme d’agir, de parler au nom de quelqu’un d’autre.
2)
Caractéristique de ce qui constitue un modèle, qui est typique d’une classe,
d’une catégorie.
Deux
définitions qui vont dans des directions diamétralement opposées, et sur
lesquelles, pour les as de la dialectique que sont nos politiques, il est aisé
de jouer. Prenons le cas de l’Assemblée nationale. Est-elle reconnue par le
peuple français comme apte à parler et agir en son nom ? On peut dire que
oui, du moins sous réserve de ce qui suit ; elle est donc indéniablement
représentative du peuple.
En revanche, est-elle caractéristique de cet hypothétique « modèle » qui correspondrait
au peuple français ? En clair, l’Assemblée nationale ressemble-t-elle au pays qu’elle prétend représenter ?
Pour répondre, voici quelques chiffres, ceux des dernières élections législatives de
2002 (source : www.assemblee-nationale.fr)
Répartition
des votes au 1er tour sur toute la France :
UMP - 33,30 %
PS - 24,11 %
PCF - 4,82 %
FN - 11,34 %
UDF - 4,85 %
Verts - 4,51 %
Autres partis - tous à moins
de 4 % chacun
Composition
de l’Assemblée en pourcentage de sièges :
UMP - 63%
PS - 26%
Autres
partis - tous moins de 4% chacun
Ce serait un peu trop facile
d’imaginer l’Assemblée nationale à l’image de la France, alors faisons plutôt
le contraire. Dans une telle fiction, notre paysage politique est bipartite
comme aux Etats-Unis, où deux éléphants se partagent le pouvoir depuis des
décennies. Bayrou peut vociférer tant qu’il veut chez Claire Chazal, les petits
partis comme le sien ne récupèrent plus que les miettes. Nous habitons également
un endroit où il n’y a ni noirs, ni Maghrébins, ni Asiatiques, ni d’autres
Européens, ni immigrés du tout d’ailleurs, et très peu de Français issus de
l’immigration. Plus inquiétant encore pour notre avenir, nous vivons dans un
pays dans lequel les femmes se font diablement rares, voire carrément absentes.
Par contre, ô divine surprise, la France compte 19% de cadres et ingénieurs...
Il est certain que
l’Assemblée nationale ne pourra jamais correspondre à une vision purement
statistique de la société française, ce n’est pas le propos et c’est même la
porte ouverte à toutes sortes d’injustices et d’absurdités kafkaïennes. Mais il
est également certain qu’à l’heure actuelle, nous en sommes tellement loin que
c’est ressenti comme quelque chose d’insultant pour les électeurs de base, les
citoyens et tout simplement les humains que nous sommes. Ressenti comme
insultant surtout par ceux qui votent aux extrêmes par dépit, et dont on
refuse de répercuter le cri de rage qu’ils transmettent dans les urnes ; un
cri qui, de fait, ne cesse de s’amplifier. Où va-t-on comme ça ? Une crise
de représentativité homme/femme, communautaire et même, c’est un comble,
politique, au sein d’une démocratie qui se revendique justement
« représentative », c’est pire qu’un problème institutionnel :
c’est une véritable catastrophe.
Il y a des dizaines de
manières de comptabiliser des voix, et donc d’arriver à des résultats
sensiblement différents à partir d’un même vote. L’instauration de la méthode
actuelle avait pour but, à peine voilé, d’empêcher les extrêmes d’atteindre le
pouvoir. L’objectif est peut-être atteint, mais entre-temps le Front national
est devenu le troisième parti de France, et continue de grimper... sans parler de
l’extrême gauche, qui poursuit discrètement son ascension dans l’indifférence
générale. Alors se pose naturellement la question : interdire par des
arrangements comptables le moindre pouvoir aux partis jugés
« incorrects » ou « insignifiants », est-ce la meilleure
manière de les entraver ? Couper ainsi le citoyen de sa responsabilité
d’électeur, est-ce de nature à l’intéresser à la vie politique de son
pays ? Et surtout, déconnecter les résultats électoraux des proportions du
vote, par la dimension vexatoire que cela induit, n’est-ce pas tout simplement
dangereux ?
On ne peut pas, et sans
doute on ne doit pas, mettre de quotas en tout sens comme le voudraient
certains, mais on ne peut pas se voiler la face non plus. Cette
situation crée un complet décalage, qui creuse sans arrêt un peu plus le fossé
entre les Français et leurs institutions politiques.
En bref, et pour reprendre
les deux définitions citées plus haut, l’Assemblée doit être représentative
(première acception) si elle veut continuer à être représentative (deuxième acception). Car sinon, arrivera
inévitablement le jour où nous aurons perdu le droit, et surtout l’opportunité,
d’appliquer des solutions démocratiques pour résoudre ce problème. Et alors les
extrêmes auront gagné, quelle que soit l’issue.
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