Vous qui passez sans me voir...
Avec le printemps qui arrive, se profile à l'horizon, une menace sourde de conséquences...la "trêve hivernale", c'est-à-dire la valse des expulsions. La précarité, un mot qui ne veut rien dire pour certains, mais qui fait pourtant partie du quotidien de beaucoup.
Je fais partie de ceux là…Toujours à l’affut du « petit grain de sable » qui viendrait à coup sur gripper une machine si fragile, qui fonctionne dans un équilibre si instable.
Depuis une dizaine d’années la misère sous toutes ses formes gagne du terrain, « misère énergétique », misère intellectuelle, misère tout court…
Dans une société qui se délite, ou le moindre accident de parcoure peut vous catapulter sur le trottoir, j’entends encore des réflexions du genre :
"Si ou elle en est arrivé là, c’est qu’il ou elle l’a bien voulu…"
Pour tous ceux qui sont encore dans ce cheminement de pensée, je dédicace ce texte, pour tous les SDF, les exclus, les abandonnés, et peut être ceux qui ont cru un jour que ça n’arrive qu’aux autres…
"Depuis peu mon univers est peuplé de jambes et de pattes de chien...
Il y a peu j'étais comme vous, tout est arrivé si vite...j'ai pas eu le temps, j'y croyais pas, vous savez...ça n'arrive qu'aux autres, putain c'est tombé sur moi !
Tout est arrivé si vite, comme une vague si haute qu'elle en cache le soleil, c'était l'année dernière il me semble, j'avais 50 ans, un appart, un bon boulot, des vêtements, une boite au lettre, un portable, un chien, deux enfants...enfin il me semble.
C'était il y a un siècle...une éternité...enfin il me semble.
Une dépression, puis une femme qui a quitté le navire avant le naufrage, et ce maudit recommandé un matin de printemps...Chômeur à cinquante ans...je me suis consolé dans les bras de ma copine la bouteille. Après tout devient flou, comme dans un mauvais rêve, où tout s'enchaîne avec à la fois une logique implacable, et un sentiment de perte de tout ses repères...
Des agios à gogo, des recommandés, des huissiers, une expulsion, puis des larmes de sangs...
Et au bout du bout la rue...
Je suis tombé dans le ruisseau, et c'est pas la faute à Rousseau...enfin il me semble.
Hier, je me suis surpris à pisser pour marquer mon territoire...comme Bulit mon teckel.
Monsieur Herbelin, chef comptable chez Solaltex...pisse pour borner son territoire...
Putain j'en ris encore, je crois que je perds la raison...enfin il me semble.
Il y a peu je dormais dans un carton que des déménageurs ont abandonnés sur le trottoir...comme moi.
Quelle ironie de dormir dans un carton, qui a contenu un frigo, qui trône aujourd'hui dans une cuisine, le ventre plein de nourriture, alors que le mien crie famine !
C'est mon Hilton en carton, mais ce matin l'hiver est arrivé...comme ça sans prévenir.
Alors ce soir je vais descendre dans le métro avec tout mes congénères du peuple de l'ombre, une armé de cheveux sales à la barbe grise et aux traits tirés.
En fait, c'est à leur contact que j'ai compris le sens du mot égalité, ici on rame tous dans le mêmes sens...vers le fond. On a tous la même gueule, la même odeur, même venant d'horizons différents...ici on est plus rien !
Mais ce matin tout est différent...Bulit mon fidèle compagnon depuis 14 ans est mort...de vieillesse il me semble...ou de froid.
Alors ce soir je ne descendrai pas dans le métro, ce soir j'ai rendez-vous avec la mort, j'ai rendez-vous avec l'hiver...On annonce -10 degrés...je suis prêt.
Il parait que le froid est clément, qu'il vous endors avant de vous prendre...je n'ai pas peur, enfin il me semble.
Merci de donner cette lettre à mes enfants, dites leur que je les aime.
Je ne regrette rien."
Mr J.Herbelin.
Monsieur Herbelin comme tous ceux de sa condition ne méritent-ils pas, non pas une minute de silence, mais une seconde d'éternité...
A tous ceux qui comme lui sont mort sur les trottoirs de l'humanité.
7 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON