Voyage de Nicolas Sarkozy à Washington : un béni-oui-oui chez les Yankees
La première visite officielle de Nicolas Sarkozy aux États-Unis s’est donc achevée ce mercredi 7 novembre, un peu comme dans un rêve. Pour le président de la République, en tout cas. Reçu en grande pompe à la Maison Blanche, ovationné à plusieurs reprises devant le Congrès, il a finalement eu le plaisir d’entendre ses louanges chantées par Georges W. Bush en personne, se félicitant d’avoir trouvé dans son homologue français un authentique « partenaire pour la paix » et vantant ses qualités d’homme d’État, son énergie, son « grand sens des valeurs universelles » et sa volonté de défendre les « jeunes démocraties, comme l’Afghanistan ». Le minimum syndical de politesse dont pouvait faire preuve le président de la « plus grande nation du monde » (dixit le locataire de l’Élysée), après l’étalage d’admiration dépourvue de toute forme de retenue et d’esprit critique qui aura été la marque de ses deux jours de visite officielle « à la Sarko », au pas de charge.
Le président de la République l’avait dit et répété : il aime l’Amérique. Oh ça oui, il l’aime. Et force est de constater qu’il ne s’est pas privé de réitérer cette déclaration d’amour, avec cette agitation permanente, cette fébrilité dans la voix, cette verve bouillonnante et en fin de compte cette éloquence brouillonne et insupportable, qui d’une certaine manière le caractérisent bien plus encore que ses idées et valeurs elles-mêmes.
Panégyrique à l’adresse d’une Amérique de légende
C’est ainsi qu’il entendait « reconquérir le cœur de l’Amérique », et ce « durablement » selon ses propres paroles. C’est dire si, dans son esprit comme dans celui d’un certain nombre d’Américains, le refus français de la guerre en Irak constituait davantage qu’un simple refroidissement dans les relations franco-américaines, presque une déclaration de guerre en bonne et due forme qui mettait fin à une amitié séculaire : une honte dont la France ne saurait jamais trop s’excuser... et ce, bien que l’Histoire, la grande, lui ait déjà donné raison. Le sujet n’aura d’ailleurs guère été abordé qu’avec trois paires de gants, sauf par George Bush qui n’a pas manqué de rendre hommage à la venue de Bernard Kouchner à Bagdad, il y a quelques mois.
Quoi qu’il en soit, les déclarations enflammées du président français témoignent d’une vision tronquée de l’Histoire, et attestent une fois encore de cet emportement confus évoqué plus haut. Car l’amitié franco-américaine a toujours été soumise à des soubresauts, lesquels n’auront jamais réussi à remettre durablement en cause la relation entre les deux pays : qu’on se souvienne de l’attitude du général de Gaulle durant la crise des missiles de Cuba, allié exemplaire en dépit de sa volonté d’indépendance jamais démentie et des rapports personnels franchement houleux qu’il entretenait avec Kennedy. L’affaire irakienne n’aura pas fait exception, et les rapports entre la France et les États-Unis n’auront pas attendu Nicolas Sarkozy pour connaître un relatif dégel, malgré la tension entre les présidents Bush et Chirac, constante jusqu’à la fin du mandat de ce dernier. Sans doute ne faut-il voir dans les propos du chef de l’État qu’un nouvel avatar du « Sarko-Zorro », cet hyper héros qui traque la croissance où qu’elle se trouve, qui sauve les infirmières bulgares, les journalistes français et les hôtesses espagnoles, et qui entend restaurer un lien d’amitié de plus de deux siècles jamais rompu ailleurs que dans sa tête.
Aussi ne doit-on pas s’étonner de l’ode à l’Amérique que le président de la République a livrée lors de son discours devant les représentants et sénateurs réunis au Congrès, dressant au fil de ses dithyrambes le portrait idéal, l’image d’Épinal d’une Amérique rêvée, pour tout dire d’une Amérique mythique.
Et le propre des mythes, bien sûr, c’est d’être... mythiques. Qu’importe. Nicolas Sarkozy aime ces mythes, jusqu’à l’excès, jusqu’au ridicule. Jusqu’à l’excès, lorsqu’il brode à volonté sur la « dette éternelle » qu’a la France à l’égard des États-Unis pour leur aide durant la Seconde Guerre mondiale (on ne saurait la nier), l’Amérique libératrice, omettant au passage l’autre Amérique, celle qui n’a jamais nourri aucune honte des relations diplomatiques qu’elle a entretenues avec le régime de Vichy, celle qui a tout fait pour étouffer la France libre et briser le général de Gaulle, quitte à le remplacer par un Giraud ou pire, un Darlan. Jusqu’au ridicule, lorsqu’il cite pêle-mêle Rita Hayworth, les parcs nationaux, John Wayne ou Elvis Presley dans le temple de la démocratie américaine. L’Amérique de Sarkozy, c’est ça : Coca-Cola, chewing-gum, Hollywood, westerns et rock’n’roll. Le président de la République est resté bloqué sur cette Amérique de la seconde moitié du XXe siècle. Et c’est là qu’est le principal problème.
Une vision passéiste de la politique internationale
Car, en effet, à côté de ces symboles, parfois (souvent ?) un peu (très ?) surannés, qui ont ponctué le discours de Nicolas Sarkozy et ne présentent en fin de compte pas de caractère de gravité dans la mesure où ils ne constituent que des éléments de la mythologie personnelle du chef de l’État, on trouve des points beaucoup plus inquiétants en matière de politique internationale. Bien que la plupart des sujets abordés ne prêtent guère à débat (la présence française en Afghanistan, la lutte contre le terrorisme), on ne peut que rester interloqué devant le suivisme toujours aussi véhément de Nicolas Sarkozy dans l’affaire du nucléaire iranien, réitérant sa volonté de voir renforcer les sanctions contre Téhéran, et sa foi dans l’efficacité de ces dernières. Mais, plus largement, ses propos dénotent un décalage entre la réalité de la société internationale actuelle et la vision du monde du président de la République. Une vision qui n’a semble-t-il pas pris en compte un certain nombre d’événements récents telle que la chute du mur de Berlin.
De fait, à une époque où l’Europe aurait tout à gagner à prendre une certaine distance, d’un point de vue géopolitique, avec les États-Unis, à favoriser le développement d’un véritable multilatéralisme dont elle pourrait être l’un des cœurs, au moment même où certains États européens traditionnellement considérés comme des vassaux indéfectibles de l’Amérique, en l’espèce le Royaume Uni et l’Espagne, réfléchissent à la manière d’acquérir une véritable autonomie politique internationale, et où, plus que jamais, les opinions publiques européennes (celles de la vieille comme de la nouvelle) aspirent à cette même autonomie, le président français, lui, reste figé sur un schéma de guerre froide, un schéma de bloc qui n’a plus lieu d’être. La vision qui est la sienne de la politique de défense européenne est de ce point de vue révélatrice, présentée comme complémentaire de l’OTAN, alors qu’il est évident qu’une défense européenne indépendante et, plus largement, une Europe politique indépendante, ne peut se construire qu’en dehors de l’Alliance Atlantique, dont il serait peut-être temps d’ouvrir le débat sur sa raison d’être, plus de quinze ans après la fin de la guerre froide.
Bref, au moment où d’autres choisissent l’avenir, Nicolas Sarkozy, plus que jamais, se tourne vers le passé.
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