Vu de l’étranger : Le coup d’État de Macron est un affront éhonté à la démocratie
Selon The Telegraph, quotidien britannique conservateur considéré comme l'un des journaux les plus influents du Royaume-Uni, le choix de « Monsieur Brexit » comme Premier ministre bafoue la volonté du peuple français. Cet article fustige notamment le fait que le « barrage républicain », encensé lorsqu'il a porté Macron au pouvoir, soit décrié quand il favorise la gauche.
Par Adélie Pojzman-Pontay
The Telegraph, 6 septembre 2024
Traduction Alain Marshal
Le soir du 7 juillet, les Français ont regardé leurs écrans de télévision avec stupeur en découvrant les résultats des élections législatives anticipées convoquées par Macron quelques semaines plus tôt. La victoire de Marine Le Pen était annoncée comme acquise par tous les pronostics.
La moitié de la France nourrissait plus d’espoir qu’elle n’avait jamais osé en rêver ; l’autre moitié était consternée et sur la défensive, préparant sa riposte.
Mais le résultat a pris tout le monde de court. Pour la première fois, le Parlement français se retrouve divisé en trois blocs. La coalition de gauche, qu’on croyait vouée à l’échec, a obtenu le plus grand nombre de sièges. Le parti de Macron est arrivé en seconde position, avec 20 sièges en moins, suivi par celui de Marine Le Pen, également avec 20 sièges de moins.
Contrairement à ses voisins européens, la France n’a pas la culture des coalitions. Trouver un Premier ministre et un terrain d’entente entre des visions du monde aussi opposées s’avérait donc une tâche difficile.
Pourtant, Macron a choisi de maintenir son propre gouvernement, devenu illégitime, créant ainsi une crise politique et une impasse institutionnelle inédites. En véritable Jupiter, Macron a affirmé que la nomination d’un Premier ministre pouvait attendre la « trêve olympique ». Il s’est ensuite retiré dans sa résidence d’été pour « digérer » les résultats de l’élection.
Pendant des semaines, il a conduit une série de consultations « vaudevillesques » pour décider du nom du prochain Premier ministre. En France comme à l’étranger, les articles de presse et les tweets sarcastiques se sont multipliés, moquant les tergiversations de Macron – un ancien conseiller du gouvernement est même allé jusqu’à plaisanter que pour trancher, il fallait faire appel au le célèbre pronostiqueur Paul le Poulpe [vivant dans un aquarium en Allemagne, Paul le Poulpe est devenu mondialement célèbre pour ses prédictions précises lors de la Coupe du Monde de football 2010 : il « prédisait » les résultats des matchs en choisissant entre deux boîtes contenant de la nourriture, chacune marquée avec les drapeaux des équipes en compétition ; Paul a correctement deviné les résultats des 7 matchs de l'Allemagne, ainsi que la victoire de l'Espagne en finale]. Même le Financial Times, que l’on ne peut accuser de tendances gauchistes [en français dans le texte, NdT], a osé suggérer qu’il serait peut-être plus sage de respecter les règles de la démocratie et de laisser la coalition de gauche accéder au pouvoir, quitte à ce qu’elle échoue.
Et pourtant, hier, après avoir paralysé la France pendant 60 jours, Macron a finalement nommé Michel Barnier – surnommé « M. Brexit » en France pour son rôle de négociateur de l’UE durant la saga du Brexit – au poste de Premier ministre. Son parti, Les Républicains, qui est celui de la droite traditionnelle, est arrivé quatrième lors des élections, avec moins de 10 % des voix et seulement 46 sièges. Un choix absolument déroutant et antidémocratique.
Dire que Macron était réticent à nommer un Premier ministre de gauche serait un euphémisme des plus britanniques. Macron l’a lui-même reconnu : il ne voulait pas que la gauche revienne sur sa réforme des retraites, massivement impopulaire. La démocratie peut en effet être inconfortable : il faut parfois négocier avec ses adversaires ou accepter que les citoyens veulent simplement un changement de cap. Chez nous, les Tories [Parti conservateur] le savent bien.
En juillet, de nombreux critiques affirmaient que le parti de Marine Le Pen aurait obtenu une nette majorité sans le « barrage républicain », par lequel les électeurs se rallient à un candidat qu’ils désapprouvent pour empêcher l’extrême droite d’accéder au pouvoir.
Or, et c'est là un élément crucial, à plusieurs reprises, des Présidents de droite ont été élus grâce à ce barrage républicain, avec le soutien de citoyens de gauche qui se sont résignés à voter pour un candidat qu’ils n’approuvaient guère. En 2002, Jacques Chirac n’a pas remporté l’élection présidentielle avec 82 % des voix face à Jean-Marie Le Pen parce qu’il avait convaincu 82 % des Français.
En 2017, un scénario similaire s’est produit lorsque Macron, alors jeune espoir politique, s’est retrouvé face à Marine Le Pen. À l’époque, Macron n’a eu aucune difficulté à appeler au « front républicain » pour le soutenir. Personne n’a contesté la légitimité de son élection.
Voir Après deux mois sans gouvernement, un vieillard de droite nommé premier ministre
Pour la première fois, le « barrage républicain » [en français dans le texte, NdT] a favorisé la gauche. Pourtant, Macron s’est montré plus enclin à négocier avec Marine Le Pen qu’avec la coalition de gauche (et donc à honorer le « barrage républicain » qu’il avait autrefois tant défendu). Marine Le Pen est ainsi devenue, de facto, l’arbitre dans la désignation du nouveau premier ministre.
La démocratie est un jeu imparfait, avec des règles imparfaites. Mais c’est un jeu auquel les citoyens français jouent depuis longtemps – et cet ensemble particulier de règles est en place depuis 1958. Elles ne devraient pas être renversées pour favoriser les agendas politiques de Macron ou de Le Pen.
Il ne s’agit pas d’approuver ou non le programme de la gauche : des élections ont eu lieu, les électeurs se sont rendus aux urnes avec un taux de participation sans précédent depuis les années 90, et un parti est arrivé en tête. Ce parti devrait être le premier à mener les négociations et devrait être représenté au gouvernement. Au lieu de cela, il est relégué à l’opposition et on l’interroge sur son cabinet fantôme.
Ce n’est pas jouer le jeu de la démocratie. C’est faire preuve d’un manque de respect à l’égard du vote des citoyens français et de la campagne qui a été menée.
Pour appliquer l’expression française « appeler un chat un chat », il est peut-être temps de mettre à jour le dictionnaire [en français dans le texte, NdT] et d'appeler un coup d’État, un coup d’État.
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