Vue imprenable sur Hollande et la folie du monde
Cela faisait un bail que je n’avais plus mis les pieds chez vous. D’autres cieux. D’autres habitudes. C’est toujours aussi fréquenté. D’après ce qu’on m’a dit, mes deux derniers articles sur Dieudonné et sur Manuel Valls ont bien marché... Faut dire, le casting m’a aidé. Avec François Hollande en guide suprême et Manuel Valls comme Ministre de l’Intérieur (de l’arrogance et de la bourde institutionnelle), je n’ai pas eu trop à me forcer... C’est presque pire que sous Sarkozy….
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Sur Hollande et sa prestation d’hier maintenant. Il a sauvé les meubles sur la forme. Je n’ai pas du tout aimé quand il a parlé de Dieudonné : ses menaces lancées à ceux qui ne prenaient pas clairement position contre l’antisémitisme au profit de la liberté d’expression : « Ils auront des comptes à rendre » a lâché le Président. Je me suis senti visé. Passons. Je ne l’ai pas trouvé très crédible quant il a cherché à se justifier par rapport à sa lutte « contre la Finance ». Dans mon dernier livre « Vue imprenable sur la folie du monde » (éditions des Arènes, sorti en novembre, en vente partout) le chapitre 24 a pour titre « François Hollande ». Il sonne étrangement à le relire aujourd’hui…
François Hollande
Le samedi où la France a battu l’Angleterre en quart de finale du championnat du monde de rugby, j’ai rencontré François Hollande qui finissait par une visite à Metz son premier tour des primaires socialistes. Metz a été ma ville pendant vingt-cinq ans. Dominique Gros, le nouveau maire, soutient François Hollande parce que c’est un gars honnête et sympathique. Il me l’a dit rue Tête d’or un peu après la conférence de presse. La veille, nous avions échangé quelques mails. Il m’avait demandé de rédiger une note pour le candidat socialiste sur la lutte à mener contre les paradis fiscaux et pour capitaliser ce que j’avais retenu de (ma) victoire contre les banquiers du Luxembourg. Les hommes politiques font parfois ce genre de demande. Pour une fois que je pouvais capitaliser contre un banquier, j’aurais été idiot de ne pas réfléchir à cette proposition. J’ai oublié de préciser que je suis Citoyen d’honneur de la Ville de Metz. On m’a remis une médaille en même temps qu’à mon copain Yan Lindingre qui dessine des cochons et des cochonnes et avait été taxé d’antisémite (1) par l’ancienne équipe municipale. C’était juste après ma victoire totale et définitive contre Clearstream au printemps 2011 (2). Mes parents étaient là, les journalistes du Républicain Lorrain aussi. On a bu du Crémant d’Alsace en grignotant des Bretzels. Chacun a fait un petit discours. Moi, pour dire que la ville allait mieux depuis que Dominique Gros avait été élu. Lui pour me féliciter pour ma ténacité et ma formidable victoire contre les forces du mal. Yan a fait une blague sur l’école des Beaux Arts qui a fait flop mais on s’est bien amusé. Citoyen d’honneur, ça en impose.
Je me suis dit que si ma note à François Hollande pouvait aider à la cause des opprimés et faire passer deux ou trois idées, ce n’était pas plus mal. Je me suis fait suer. Ecrire un livre, un article, une lettre de réclamation à Darty, je peux m’en sortir. Mais une synthèse argumentée pour un futur président de la République, c’est nettement moins évident. Je la voulais la plus concrète possible. Je l’ai titrée Note pour François Hollande et scindée en quatre parties. Dans la première Les constats, j’explicitais l’influence des banques dans la crise traversée depuis 2008. Sur ces sujets, les discours politiques sont peu innovants. Ça rabâche. Ça manque d’éléments concrets et compréhensibles du public. Cette question marque un clivage entre droite et gauche et nourrit un débat peu audible à l’intérieur de la gauche. L’image que vous renvoyez n’est pas celle de quelqu’un de très offensif sur ce thème.
Chaque mot était pesé. Je militais pour un discours original. J’essayais de me mettre dans la tête de François Hollande. L’énarque qui déboule dans le circuit avec l’étiquette et l’allure du Poulidor du peloton. DSK avait lâché l’affaire depuis peu. François Hollande avait réussi à éliminer Martine Aubry et son ex-femme Ségolène Royal. Il faisait la course en tête, entouré d’une meute de plus en plus imposante de conseilleurs et de courtisans. La question de la lutte contre la finance peut devenir déterminante dans le débat si elle est abordée d’une manière forte, sereine et pragmatique. Son gros avantage était de se retrouver face à Nicolas Sarkozy. Sur cette question financière, le Président sortant avait trop soutenu les banquiers. Plus que sur n’importe quel autre sujet, il apparaissait comme un bonimenteur. L’homme d’un système financier prêt à sauver les banques et les banquiers au détriment des salariés et des Français. François Hollande devait l’attaquer frontalement et sans faillir sur ce sujet.
La seconde partie de ma note, plus longue et sobrement intitulé Raisonnement, posait en préalable un enjeu : l’impossibilité de régler cette question à la seule échelle du pays. La solution aux problèmes posés par les évasions de capitaux et l’assèchement des Etats ne peut être que nationale ET européenne. C’était facile à expliquer. Je reprenais les arguments de l’Appel de Genève et la création d’un espace judiciaire européen. Les criminels financiers ont des Ferrari et ils ne s’arrêtent jamais à la douane. Les juges roulent en vélo et doivent montrer leurs papiers dès qu’ils quittent leur pays. J’alignais plusieurs évidences que les politiques avaient tendance à oublier. Par exemple : On a trop laissé les banques se contrôler elles-mêmes ou Les paradis fiscaux sont des leurres.
Une note permet toutes les petites phrases. L’espace d’un moment, vous êtes Mazarin, Richelieu, Cyrano…
(…)
Sur le papier, cela me paraissait d’une grande simplicité. C’était un peu comme si j’avais pu taper sur l’épaule de François et lui souffler à l’oreille : Tu as une chance unique avec cette élection de nous redonner de l’espoir et du courage. Il faut s’attaquer aux outils qui permettent ces transactions. Ce que les traders appellent le « back office ». Il y a des endroits où l’ont peut voir « passer » les flux. Les quantifier. Les encadrer. Il y a des pompes qui alimentent les paradis fiscaux. Il existe une « traçabilité » des échanges. C’est à cela qu’il faut s’attaquer. Ce n’est pas si compliqué ni virtuel qu’on te le raconte. Vas-y fonce mon gars.
Je lui livrais ma conception de la circulation des valeurs, tentant un parallèle entre les autoroutes financières et les autoroutes de bitume. Il faut des radars et des contrôleurs dans les deux pour freiner les excès. Le coeur du raisonnement s’articulait autour de deux idées. La première : L’univers bancaire, à force de dérives et d’absence de contrôle, a créé des poches d’opacité. C’est là que se joue d’une manière ultime l’escroquerie. La seconde : Ce qu’on appelle mondialisation financière se résume à la fabrication très élaborée d’une jungle où seuls les prédateurs s’y retrouvent. Les peuples et les Etats sont démunis face à ce problème.
- Sauf si vous Sire, décidiez d’y mettre bon ordre…
(…).
J’ai donc croisé François moins d’une semaine après l’envoi du mail. Le jour de France-Angleterre en Rugby. L’avait-il lu ? Visiblement, oui. Nous avons discuté quelques minutes à la sortie du Ruby, un café de la place Saint Louis au centre de Metz. Une foule très dense et des dizaines d’élus socialistes aux sourires longs comme des jours de paie entouraient l’édile. Saint-François touchait les mains, caressait les cheveux. Le favori des sondages portait un très joli costume en tissu léger, bleu marine et du fond de teint à cause des caméras.Il était sympathique, accessible, semblait fragile et habité par une nervosité qui lui faisait rouler les yeux de gauche à droite sans se poser sur vous. Il est un peu plus grand que Nicolas Sarkozy et nettement plus petit que moi. J’ai salué Dominique Gros, Aurélie Filippetti et Bertrand Mertz le député maire de Thionville. Ils soutiennent tous François Hollande ici en Moselle. J’étais mal rasé et engoncé dans mon vieux pull Agnès B, avec une écharpe froissée et des Adidas défraîchis. Quand je rencontre un présidentiable, je devrais être plus classe. C’est ce que j’ai senti dans les yeux d’Aurélie.
- Oui mais moi je ne rêve pas d’être ministre, j’ai pensé.
François m’a félicité pour ma note. Je l’ai lue. C’est très intéressant, a-t-il dit. Je ne suis pas sûr qu’il était sincère. Il m’a interrogé sur les suites de mon enquête et sur les banques. Je lui ai répondu que le Parti socialiste était mou du bulbe sur ces questions. Il en a convenu et m’a soufflé : On pourrait se revoir plus tranquillement pour en parler. J’étais d’accord, je lui ai laissé le choix des dates et l’ai laissé filer vers une bande d’élèves ingénieurs excités qui hurlaient des chansons paillardes. En les quittant, je me suis dit que j’étais bien content d’être écrivain.
Je suis allé acheter du thé au Printemps, des tee-shirts chez Célio, un livre sur Einstein et deux cd de musique classique, un opéra de Haendel et Bach chanté par une contralto et un castrat. Puis je suis allé boire un verre chez mon copain Jeff. On a parlé des développements de son enquête sur la pornographie, de la campagne électorale, de Nicolas Sarkozy, de l’université de Metz, d’Adorno et de sa théorie sur l’industrie culturelle, de football et de rugby. Le père de Jeff est prof de technologie retraité et président des anciens combattants d’Algérie. Il est d’origine italienne, non-violent et antimilitariste. Il veut surtout aider les vieux appelés de ces années de guerre à toucher des pensions. Je parle de lui au présent car il n’était pas encore mort ce jour-là. On ne lui avait détecté aucun cancer. L’Eglise de Lexy, près de Longwy, ne se doutait pas que deux ans plus tard elle serait envahie par des milliers d’anciens combattants d’Algérie pleurant le meilleur des leurs, ni que Jeff lirait devant l’autel et les drapeaux un texte à la manière de Georges Pérec. Je n’avais jamais vu autant de monde et autant de drapeaux dans une Eglise.
(…)
Je lui ai raconté ce jour-là ma rencontre avec François Hollande et lui ai dit la difficulté que j’avais à écrire mon livre.
- Je n’ai même pas de titre, ai-je fait.
On a ensuite parlé du match de rugby et de l’essai de Maxime Médart.
- C’est fou ce que Médart ressemble à Volvorine, ai-je ajouté. Tu connais Faire l’amour le roman de Jean Philippe Toussaint ? J’adore ce titre. Il faudrait que j’en trouve un pareil. Faire de la politique…
Ça turbinait entre mes deux hémisphères. Jeff a dû se demander si je ne couvais pas une mauvaise grippe.
- Faire la politique, c’est pas mal, non ? C’est mieux que faire de la politique, a proposé Jef. On devrait faire la politique comme on fait l’amour. En servant l’autre avant de se servir.
On s‘est regardé en souriant. On a dû penser à la même chose en même temps. François Hollande, Martine Aubry, Nicolas Sarkozy, Carla Bruni, Jean Luc Mélenchon et Marine Le Pen se sont mis à défiler devant nous, le regard torve, la mine implorante. Je l’ai regardé et j’ai demandé :
- La dernière fois que tu as fait l’amour, c’était quand ?
- Y a pas longtemps, a répondu Jeff.
- Et alors ?
- Alors quoi ?
- Ben tu as pensé uniquement à servir l’autre…
- Ouais, a réagi mollement Jeff.
J’étais persuadé qu’il me baratinait.
J’ai revu François Hollande à deux reprises après son élection. A chaque fois, il a été souriant, voire chaleureux et m’a proposé un rendez-vous sans fixer le jour et l’heure. J’ai également entretenu une correspondance agréable avec un des ses conseillers. Je n’ai pas entrepris ces démarches pour me faire mousser ou pour obtenir un quelconque avantage. Je voulais faire avancer ma cause. La cause du peuple. Celle que François Hollande avait défendue dans son discours du Bourget. Un discours décisif où s’est jouée une partie de l’élection. C’était le 22 janvier 2012. Deux mois après ma note. Un copain m’avait envoyé le discours pour avis juste avant. J’étais devant ma télé.
Dans cette bataille qui s’engage, je vais vous dire qui est mon véritable adversaire. Il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance. Sous nos yeux, en vingt ans, la finance a pris le contrôle de l’économie, de la société et même de nos vies. Désormais, il est possible en une fraction de seconde de déplacer des sommes d’argent vertigineuses, de menacer des Etats. Cette emprise est devenue un empire. Et la crise qui sévit depuis le 15 septembre 2008, loin de l’affaiblir, l’a encore renforcée. Face à cette finance, les promesses de régulation, les incantations du « plus jamais ça » sont restées lettre morte. Les G20 se sont succédés sans résultat tangible. En Europe, 16 sommets de la dernière chance ont été convoqués pour reporter au suivant la résolution définitive du problème. Les banques, sauvées par les Etats, mangent désormais la main qui les a nourries. Les agences de notation, décriées à juste raison pour n’avoir rien vu de la crise des subprimes, décident du sort des dettes souveraines des principaux pays, justifiant ainsi des plans de rigueur de plus en plus douloureux. Quant aux fonds spéculatifs, loin d’avoir disparu, ils sont encore les vecteurs de la déstabilisation qui nous vise. Ainsi, la finance s’est affranchie de toute règle, de toute morale, de tout contrôle.
Dix-huit mois se sont écoulés. François Hollande n’en a pas grand-chose à faire de la lutte contre la finance ou les paradis fiscaux. Sinon il s’y serait pris autrement. Il a cédé sur ce terrain, comme il a cédé face à Laskhmi Mittal à Florange. Son discours du Bourget était une promesse de campagne. L’affaire Cahuzac l’oblige à replonger dans ce défi lancé contre ce qui était une abstraction. En invectivant la finance, en ne nommant pas les banquiers ou leurs affidés, en ne s’attaquant jamais concrètement au problème des évasions de capitaux, François Hollande prend peu de risques. Il la joue petit bras. Le sujet l’ennuie, l’accable. Il n’est pas à l’aise avec ces questions, coincé comme il doit l’être entre la CGT et le CNPF, entre les prolos et les énarques, entre son aile gauche et son aile droite, entre les aspirations du peuple et les directives de Bruxelles, entre Merkel et Obama, entre le fantôme de Mitterrand et celui de Mendès, entre son ambition et son emploi du temps. François temporise, joue la montre. Il perd du temps, chute dans les sondages. Il fait de la politique. Il ne fait pas la politique. Les banquiers restent les plus forts.
(1) Dans sa série Titine, tous ses personnages ont des têtes de cochon. L’un de ses albums mettait en scène son héroïne dans un vernissage. On y voit une convive à fort accent allemand courtiser l'artiste. Econduit, ce personnage se met à vociférer. Dans la bulle afin d'appuyer l'accent germanique, une petite croix gammée. Il n'en faudra pas plus pour limoger Yan de l’Ecole des Beaux Arts où il était prof. Pour anti-sémitisme. Devant, l'incongruité de l'accusation, le motif de licenciement se transformera en « insuffisance professionnelle ». Yan sera viré pendant 18 mois jusqu’à la défaite aux municipales de 2008 de Jean Marie Rausch et l’arrivée de Dominique Gros.
(2) Dans un arrêt du 1er février 2011, après dix années et plus de soixante procédures, la Cour de Cassation indique que mon enquête est « sérieuse, de bonne foi et sert l’intérêt général ». Clearstream est définitivement déboutée de ses plaintes. Plus aucun de mes documentaires et livres sur le sujet ne peut être considéré comme diffamatoire.
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