William Styron : la mort d’un géant
L’écrivain William Styron est décédé mercredi 2 novembre à l’âge de 81 ans à Martha’s Vineyard, dans le Massachussetts. Sa fille Alexandra a déclaré que l’auteur du « Choix de Sophie » était mort d’une pneumonie à l’Hôpital de Martha’s Vineyard. Il est mort , son oeuvre reste. Monumentale. Souvenirs de lectures et de rencontre. Cet Aléricain, amoureux de la France, a écrit l’un des livres les plus européens sur un thème qui reste dans bien des têtes : comment vivre après Auschwitz ?
Pour lui, ce n’était pas « Chateaubriand ou rien »... C’était « comment vivre après Faulkner » ? Il avait couvert ses obsèques, en 1963, pour le magazine Life. « Il fallait échapper à son ombre gigantesque et tenter de s’accomplir soi-même », confiait-il au Monde en 1994. D’autres ont déjà dit ou diront : « Comment écrire après Styron » ? C’est un géant qui vient de mourir à 81 ans. Un géant qui va continuer à vivre grâce à une œuvre limitée en quantité mais gigantesque, titanesque, hors norme. Avec des textes condamnés à l’immortalité.
Comment vivre après ? Une question-clef et permanente pour Styron qui se plaisait à se définir d’une phrase chargée de sens : "Je suis un pessimiste".
Vivre après la jeunesse ? « Trois histoires de jeunesse". Trois nouvelles pour trois moments de la vie de l’auteur, pour trois âges différents, souvenirs romancés... L’éducation passe (aussi) par l’apprentissage du mal, de la guerre, de la mort.
Vivre après Auschwitz-Birkenau ? Le choix de Sophie, publié en 1979 (et traduit en français en 1981). Un chef d’œuvre. Par l’écriture, l’histoire et la puissance de la narration, les personnages, atypiques et profonds. L’amour entre Sophie et Nathan. Voyage dans les ténèbres du mal absolu, au cœur d’une tragédie hallucinante, avec des regards sur le nazisme, les camps, le tourbillon de l’inhumanité (humaine, trop humaine...) totalitaire. Avec la difficulté de trouver les mots de l’indicible.
Vivre après une profonde dépression ? Face aux Ténèbres (Chronique d’une folie) Autonarration d’une souffrance oppressante, d’angoisses étouffantes, d’une déshumanisation de la tête, du corps et du cerveau , d’un être transformé en zombie, en légume, d’un alcoolique qui ne supporte plus ni l’alcool (« ce carburant ») ni l’absence d’alcool, d’un prisonnier de lui-même. Voyage sous un crâne. Et au bord du gouffre du néant, avec les mots de l’indescriptible.
J’ai eu le bonheur et l’honneur de m’entretenir avec Styron, dans un restaurant strasbourgeois au début des années 1980, avant sa « dépression ». Plus qu’une interview : une génuflexion devant un monument. Un monument imposant, mais aussi attendrissant.
Faut-il être fragile pour avoir du génie ? "J’ai connu des dépressions qui donnaient des leçons à l’Enfer", disait Malraux...Et l’histoire de la (bonne) littérature est marquée par des écrivains qui ont marché sur les pavés de l’enfer.
Je garde pourtant de cette rencontre (une de celles qui marquent à vie) le souvenir d’une convivialité forte... D’une lumineuse intelligence. Et de cette simplicité modeste qu’ont les (vrais) « grands hommes » : « La gloire ? On vit sur un nuage. Et on en retombe comme la pluie... »
Cet Américain était un francophile comme les Français les adorent... « J’aime la manière dont on vit en France. Mon coeur y est content. »
Il venait souvent en France, adorait le Bordeaux, la cuisine, les paysages... Il aimait Flaubert, Zola, Jules Renard, Gide et Marcel Pagnol. Il appréciait beaucoup Sartre, Camus, Malraux, Marguerite Yourcenar.
Il admirait le style et la culture de François Mitterrand avec lequel il a eu de nombreuses rencontres littéraires. D’ailleurs ce créateur ou plutôt ce sauveur (en 1952) de « Paris Review » fut l’un des invités étrangers de marque, en 1981, lors de la cérémonie célébrant, au Panthéon et à l’Arc de Triomphe, l’accession au pouvoir de François Mitterrand.
En 1983, il a présidé le jury du Festival de Cannes. Il est vrai que Le choix de Sophie, adapté par Alan Pakula en 1982, a valu à Meryl Streep un oscar de la meilleure actrice, et a eu au cinéma un succès international, digne du livre. Le Choix de Sophie est devenu également un opéra, de Nicholas Maw. Quand je pense que la critique new-yorkaise avait accueilli ce livre avec fraîcheur, je me console des effets de mode parisino-parisiens si justement décriés.
Nous avons évidemment parlé, aussi, de l’écriture. De sa « souffrance en écriture ». « Le désir de toucher le monde par des mots a quelque chose à voir avec la puissance d’une nation. », a-t-il dit dans une autre Iinterview. « La force des mots a quelque chose d’extraordinaire. Le langage c’est l’humain qui dépasse l’humain Cela nous impose une responsabilité particulière ». Comme disait Camus : « Un mot mal choisi accroît la misère du monde ».
« Il faut que je marche pour écrire...Rien ne me vient spontanément, facilement. Ni la composition d’un ouvrage. Ni les mots. Ecrire m’est très difficile, c’est une lutte. Je n’ai aucune facilité. Je rassemble les morceaux de chapitres ou de phrases à travers un processus, un cheminement, très, très, très lent. Même les pensées me viennent, comment dire, avec difficulté, laborieusement. C’est un travail, au sens accouchement du terme. Comme on dit d’une femme qu’elle est en travail. C’est douloureux, oui. L’écriture est pour celui qui la pratique une leçon permanente de modestie, d’humilité. Jusqu’au mot FIN. C’est une lutte intérieure perpétuelle. »
Pourtant, son art des mots est plus qu’à vanter. Comme disait Valéry, le « travail doit finir par effacer le travail » et « le génie, c’est une habitude que prennent certains ». Une habitude bien prise par celui qui a obtenu pour Les confessions de Nat Turner, sur les rapports entre blancs et noirs, le prix Pulitzer en 1968. Et qui a su vivre « après Faulkner ». Son regard pertinent, critique et ironique sur le monde nous manquera. Comme ses Mémoires... à moins qu’il ne les ait écrits en cachette dans ses derniers jours de solitude et de fatigue...
BIBLIOGRAPHIE
William Styron chez Gallimard
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