Yémen, l’effondrement
Nous sommes au début du mois d’août, dans un quartier de Taëz, au sud-ouest du Yémen. Bientôt, la mort viendra du ciel, comme chaque jour depuis deux ans de combat et de siège. Car les bombes pleuvent sur les civils du Yémen, emportant tout sur leur passage : les infrastructures, les vies humaines, les espoirs de paix.
Nous assistons, impuissants, à l’un des affrontements les plus meurtriers de ce début de XXIe siècle, où les belligérants de part et d’autre du conflit n’hésitent pas à recourir à une violence extrême envers des villes entières. Les Saoudiens affirment qu’ils ont utilisé pas moins de 90 000 bombes depuis 2015 ; quant aux Houthis, leurs tirs de roquettes ont pris la vie de dizaines de personnes en mai dernier. Les civils sont à la fois les premières victimes et les figurants d’un conflit qui les dépasse, dommages collatéraux d’une guerre qui n’en a cure. Récemment, ce sont deux avions de l’ONU qui sont restés sans carburant, dans l’impossibilité d’effectuer les missions pour approvisionner la capitale Sanaa, sous contrôle des rebelles Houthis. La raison ? La coalition arabe — menée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis — refuse de délivrer des autorisations . À cela s’ajoutent les destructions récurrentes des structures de soins, souvent visées par les bombardements, avec des conséquences désastreuses : des maladies d’un autre âge sont de retour, le choléra (425 000 cas depuis avril, dont près de 2 000 morts), la dengue et le paludisme. Dans des conditions sanitaires effroyables, sans système d’évacuation des eaux digne de ce nom, la transmission est rapide, et l’épidémie dépasse toutes les prévisions des organisations de santé. Pour aggraver le tout, la famine menace aussi entre 18 et 20 millions de Yéménites.
Ces conséquences catastrophiques sont le résultat de la violence des armes et plus généralement de la violence politique en cours au Yémen : aucun protagoniste du conflit ne semble réellement convaincu par une solution de paix. La lutte est acharnée, d’autant plus que les acteurs porteurs de cette violence se sont multipliés. Il y a d’abord les milices, comme celles composant la redoutable « Security Belt » à Aden, qui combattent le terrorisme d’Al Qaeda dans la péninsule arabique (AQPA) avec le soutien des Émirats arabes unis. Malgré leur apparent but sécuritaire de stabilisation, deux dangers émergent avec l’influence de ces bandes armées : d’une part, leurs méthodes cruelles (enlèvements, détention dans des centres gardés secrets, mais aussi intimidation au quotidien des Yéménites ). D’autre part, l’emprise croissante du salafisme sur ces factions. La violence est une conséquence directe de la prolifération des groupes armés, dont le but n’est plus de reprendre la main sur le Yémen tout entier, mais bien de sécuriser quelques bastions — les zones pétrolières de Chabwa par exemple. Car les dirigeants progouvernementaux ou rebelles à Aden ou Sanaa sont réalistes : le Yémen tel qu’il a été dessiné après la réunification de 1990 n’a aucun avenir politique. Les Sudistes ne veulent plus de l’autorité d’un Nord héritier de l’imamat millénaire zaydite (les « ancêtres » des actuels Houthis), et se sont même dotés d’un Conseil de Transition du Sud, au grand dam du Président Hadi (reconnu par la communauté internationale). Les dichotomies nord-sud et Sunnite-Chiite surpassent tous les autres enjeux.
Un conflit qui pourrait durer des années, car les maux du Yémen d’avant-guerre sont toujours là, notamment la présence d’Al Qaeda. Le problème terroriste n’est pas traité à sa source : celle de la corruption généralisée, du manque de légitimité politique locale, ou encore des opérations des drones américains. Pour l’instant, les djihadistes sont repoussés dans des territoires plus reculés, où ils ont le temps de développer une stratégie de retour. Et si se tourner vers eux semblait tabou autrefois pour les tribus yéménites, ces dernières ont trouvé en Al Qaeda un acteur utile pour combler le vide laissé par la destruction des institutions de la justice et du maintien de l’ordre. Exactement la même tactique qu’en Afghanistan.
La situation ne laisse entrevoir aucune solution de long-terme. Les aides humanitaires promises à l’OMS et l’Unicef au mois d’août par l’Arabie saoudite, pour un montant de 30 millions d’euros, sont comme un pansement sur une jambe de bois. Des engagements ridicules en comparaison de l’immensité des dégâts provoqués par l’intervention militaire de Riyad et ses alliés. Pour qu’il y ait un espoir de résilience, une première étape décisive est l’arrêt des combats : les affrontements doivent cesser, les milices être muselées, les villes libérées des sièges, afin de permettre la survie des civils et la création d’un appareil sécuritaire légitime pouvant lutter contre l’infiltration terroriste. Le renouveau de la classe politique via un programme anticorruption doit par ailleurs être une priorité pour un retour à la paix.
Cet espoir est cependant mort-né lorsque l’on se rend compte que la dynamique du conflit s’auto entretient et qu’en réalité aucune des parties en présence ne souhaite négocier, toutes persuadées de leur supériorité militaire. Seulement voilà, après des centaines de jours de combat, le temps est venu de réaliser que le Yémen tout entier a été perdu au cours de la guerre.
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