Yiftah Spector, cet encombrant héros (2)
Voila donc notre bonhomme : pilote de chasse sur Mirage III, façon émérite, pris dans un engrenage dont on n’a toujours pas la solution plus de cinquante ans après les faits, mais dont il est difficile de croire qu’il puisse s’agir d’une simple méprise. Or notre pilote n’a pas que ce fait d’armes à son actif. Le temps d’abattre 15 adversaires, dont 14 Mig 21 et 1 Mig 17, durant les différents conflits qui émaillent la vie de l’Etat d’Israël de 1967 à 1973, et le voilà qui postule à l’un des raids aériens les plus audacieux jamais réalisés. En changeant pour la troisième fois de monture : abandonnant son prestigieux Mirage III C pour un Phantom II Kurnass, le voilà aux commandes maintenant d’un Falcon F-16A. Il ne lui manque plus que la navette spatiale à piloter : ne rigolez pas, dans son équipe de huit fondus, on trouvera un futur cosmonaute, qui finira tragiquement son épopée spatiale, le 1er février 2003, le pauvre. Mais voyons d’abord ce qui va faire de notre redoutable chasseur un véritable héros national dans son pays.

L’histoire démarre il y a bien longtemps, et en France sous la présidence de Giscard d’Estaing. Le premier ministre d’alors, Jacques Chirac, rencontre Saddam Hussein à Bagdad en septembre 1974 pour lui vendre un réacteur nucléaire de type "piscine". Un réacteur de 500 MW au graphite-gaz. Les Irakiens possèdent un petit de 2 MW seulement, à Tuwaitha, 10 à 20 de Baghdad, un modèle russe acheté en 1967 dont ils ne sont pas très satisfaits, et ils voudraient surtout passer du format expérimental au stade fonctionnel de production d’électricité. Le 18 novembre 1975, un accord est signé avec Saddam Hussein qui vient exceptionnellement visiter Cadarache... en compagnie de Jacques Chirac. On en a gardé de belles photos montrant les deux écoutant les conseils avisés du responsable du site... Dans l’accord, il y a les visites obligatoires de l’AIEA de prévues, car l’Irak adhère au traité de non prolifération des armes nucléaires. Mais ça, tout le monde l’oubliera.
Le réacteur choisi est conçu par Technicatome, une filiale du CEA (avec 10% EDF), Bouygues pour le gros œuvre de béton, et les Constructions navales et industrielles de la Méditerranée (CNIM), pour la fabrication du cœur en acier. Saint Gobain Techniques-Nouvelles ajoutant des manipulateurs pour modifier la charge. Les français fournissent aussi les 13,9 kg d’uranium enrichi à 93 % pour faire fonctionner et diverger le réacteur. Sous la pression de Jimmy Carter, et surtout de son conseiller Zbigniew Brezinsky, ils décident de pré-irradier ce combustible pour le rendre plus difficile à manipuler.
Le réacteur, ou plutôt les réacteurs de 40 MW (pouvant aller jusque 70 MW), car l’engin est double, et s’appelle en Irak Tammuz 1 et Tammuz 2 (Osiris et Isis en France). Les réacteurs sont certifiés à usage "civil", mais leurs manipulateurs et surtout les importantes et rapides commandes de l’Irak en matières premières combustibles inquiètent très vite la communauté internationale. L’Irak signe en effet dès 1980 des contrats inquiétants : avec le Brésil pour l’envoi d’uranium, puis avec le Portugal pour 138 tonnes de "yellow cake", et avec la RFA pour 11 kg d’uranium 238, et 10 tonnes d’uranium naturel appauvri... qui doit être retraité au Canada, ce que le pays refuse de faire (et le contrat de 10 tonnes ne se fait donc pas). Un pays commence à s’inquiéter de réacteur susceptible de fournir la matière première à des bombes nucléaires, c’est Israël, bien entendu. Pour tenter de freiner l’Irak, Israël va fournir en armes son adversaire de l’époque : l’Iran. On verra un Boeing 707 blanc, sans aucune marque, débarquer du matériel de guerre sur le Mehrabad International Airport de Teheran (on a tendance à l’oublier, celle-là !). Le 27 septembre 1980, le général Yehoushua Seguy, responsable de l’Israel Defence Force (IDF) publie un texte incitant les iraniens à bombarder Osirak urgemment. Le 30 septembre, on lui répond : quatre F-4E Phantoms du 33rd Tactical Fighter Squadron décollent de la base de Nojeh TFB.3 située à Kaboodar-Ahang, près d’Hamedan. Objectif : la centrale nucléaire irakienne. Chacun des Phantoms, ravitaillés en vol et protégés par des Tomcats emporte 6 bombes Mk.82 GP. C’est l’opération "Scorch Sword". Iranienne, avec un gros coup de pouce israélien. La centrale est bien bombardée, mais ce ne sont que des égratignures sur le béton.
Avant même sa mise en service, et avant même que les Irakiens n’y versent une seule goutte de béton, le projet Osirak avait déjà failli ne jamais exister pour tout préciser. Pour ça, en effet, faisons confiance aux services secrets israéliens pour en empêcher la livraison ! Ça commence assez tôt, le 6 avril 1979 à la Seyne-sur-Mer où le cœur en acier inox qui devait partir deux jours après des hangars des Constructions Navales et Industrielles de la Méditerranée subit un feu d’artifice géant : tout le monde montre du doigt le Mossad, évidemment (c’était l’époque où il ne laissait aucune trace derrière lui, sans doute...). L’engin sera simplement "réparé" avant d’être expédié six mois après, avec un premier ministre assurant qu’il présente toutes les garanties, ce qu’on a du mal à croire à vrai dire. Raymond Barre, économiste, ne doit pas maîtriser grand chose à l’atome, se dit-on. "Garantir" un tel matériel abîmé est un non sens nous disent les techniciens.
Six mois plus tard, c’est au tour d’un ingénieur égyptien, le Dr Yahya le-Meshad, travaillant pour Saddam Hussein, d’être égorgé à Paris, à l’Hôtel Méridien : il devait se rendre à Saclay pour parler combustible ainsi qu’à Pierrelatte. Un beau micmac est découvert à son propos par la police française : une prostituée aurait approché le physicien, et la police souhaitait donc l’entendre. On la convoque et on la retrouve, mais pas vraiment vivante, écrabouillée par une voiture folle à St-Germain-des-Prés. Un hasard malencontreux, sans doute, qui sent à nouveau à plein nez le service secret. Encore une fois, le mot "Mossad" est lâché. La même année, en plein été, c’est Jean-Jacques Graf, un des responsables du projet Technicatome (et en liaison avec le troisième fournisseur italien Ansaldo Mercanico Nucleare) qui est visé par plusieurs bombes. Ce sont les bureaux de la SNIA-Techint, qui participe activement à la construction en Irak de la centrale nucléaire, qui vont exploser par erreur : "on" s’est visiblement trompé d’objectif, Graf n’y étant pas et c’est un homonyme qui a pris à sa place. Pour beaucoup se sont toujours les mêmes artificiers qui s’évertuent ! En réalité, toute cette agitation fait partie à coup sûr de "l’Opération Sphynx" du Mossad, en fait, qui consiste à mettre le maximum de bâtons dans les roues à la l’édification de la centrale irakienne. Un documentaire (israélien, coproduit avec la RAI) de 2006 retrace ces événements, on y voit David Ivri, responsable de l’IAF ou Aviezer Ya’ari, chef des services secrets expliquer... sans trop dire, bien sûr.
Une fois bâti, ou même en cours de construction, l’inquiétude est grande en Israël. Une opération d’attaque aérienne du site est donc élaborée secrètement en haut lieu. L’ audacieuse opération iranienne n’a pas donné de grands résultats. Les bombes utilisées étaient tout simplement insuffisantes, car trop légères. Décision est prise de s’en équiper d’autres, d’une tonne (2 000 livres) celles-là. Les MK-84. A condition de savoir les larguer au bon moment, ce qu’exige un ordinateur de bord efficace dont est dépourvu le Phantom II. Quadrature du cercle, pour les israéliens : y aller avec de petites bombes, inefficaces ou attendre un meilleur vecteur pour de plus grosses ? En tout cas, l’opération iranienne du 30 septembre a au moins démontré une chose : les batteries SAM disposées autour de la centrale n’ont rien détecté, et encore moins les missiles Roland fournis par les français. Les Phantoms ne pouvaient brouiller que des missiles SA-2, SA-3, et SA-6, pourtant. La découverte des Roland inefficaces ouvrait en fait un bel espoir aux israéliens.
Israël ne peut ré-attaquer le site sans prendre d’énormes risques, car ses avions vieillissants ont en effet une électronique de bord peu évoluée, notamment des viseurs de bombardement complètement obsolètes. En 1980, on songe pourtant à moderniser les Phantom-enclumes en "Kurnass 2000 program", mais Israel Aircraft Industries propose plutôt le "Super Phantom" : changement des vieux moteurs J79 remplacés par des PW1120, nouvelle avionique, etc. Mais ce n’est pas avant le 24 avril 1987qu’il volera, et ce sera le plus modeste "Kurnass 2000" qui sera retenu à sa place... la grande nouveauté étant ce qui manquait jusqu’ici : un viseur et un radar corrects, le Norden APG-76 Synthetic Aperture remplaçant (enfin !) le vieil radar APQ-120, avec un HUD signé Kaiser (qui fournit la Navette !), qui affiche ce qui lui donne un nouvel ordinateur de bord, l’ Elbit ACE-3, qui remplace un ordinateur passablement dépassé. Le Kurnass 2000 vole pour la première fois le 15 juillet 1987, pour durer jusqu’en....2004, année du retrait des Phantoms israéliens. Conclusion : en 1980, les israéliens, s’ils veulent détruire Osirak, ne peuvent en fait que l’égratigner ; comme l’on fait les iraniens ! A moins de changer de montures, ce qu’ils réclament à cor et à cri à Jimmy Carter.
En août 1978, justement, toujours grâce à Brezinsky, un faucon perdu chez Carter, l’attitude des Etats-Unis sur la vente d’appareils de guerre à Israël change avec le plan "Peace Marble I", qui accorde à l’état hébreu 75 F-16A/Bs de nouvelle génération, de la série des Blocks 5/10. Les engins sont électroniquement bien plus évolués que les Phantoms avec leurs contre-mesures Loral Rapport III et des nouveaux lance-leurres AN/ALE-40s. Les livraisons vont vite s’effectuer dès juillet 1980, et les pilotes encore plus vite les prendre en mains, notamment notre personnage, qui est nommé intégrateur de ce nouvel engin au sein de l’IAF. Un travail efficace : le 28 avril 1981 deux F-16 abattent deux hélicoptères Mi-8 près de Zahle au Liban. Ironie du sort : les F-16 accordés à Israël étaient ceux à l’origine commandés par... l’Iran, par le Shah !
Les appareils sont en fait "customisés" par les israéliens, qui vont les transformer aux petits oignons pour eux. Un numéro de "Flight International" du 30 juin 1979 nous apprenait que les F-16 surnommés Netz ("faucon") allaient être équipés dès leur réception de radars israéliens Elta 2021B, dont un exemplaire avait été testé brillamment sur un Phantom Kurnass. "Meilleure résolution au sol", "possibilité d’engager 16 cibles à la fois", l’engin est supérieur de loin au "vieux" Westinghouse américain fourni d’origine. Selon les calculs, le radar d’Elta permet de bombarder avec des bombes conventionnelles non guidées avec une précision circulaire ("Circular Error Probable ou CEP") d’environ 8 à 12 mètres. C’est juste ce qu’il faut pour attaquer un dôme de réacteur nucléaire ! Une performance que font aujourd’hui les bombes GPS de haute altitude, mais qui n’existaient pas il y a 29 ans. Israël vient de recevoir des avions plus performants et les équipe aussitôt d’un radar tourné vers le sol, ultra-performant... dans le but d’attaquer au plus vite le site nucléaire irakien ! C’est évident ! Et ce sera chose faite le 7 juin 1981 avec "l’Opération Opéra" (ou "Opération Babylone", selon les sources). A tout hasard, il semble bien qu’un Kurnass ait survolé en express auparavant la centrale pour préparer photographiquement la mission : c’est le RF-4E (S) "Peace Jack" N° 498 de l’escadron ( "Tayeset") 119. Encore un qui n’a pas eu froid aux yeux ! Et bien la preuve qu’ils pouvaient s’y rendre effectivement en Phantom !!! Mais sans pouvoir y larguer correctement les bombes d’une tonne !
Ce n’est pas le seul : en même temps que les F-16 s’entraînent, en octobre 1980, ainsi qu’en janvier et mars 1981, les Phantom F-4E(S) du 119th Squadron des "Bat" ne chôment pas : ils survolent intensivement la frontière irakienne et d’Arabie Saoudite pour titiller leurs radars avec leurs nacelles AN/ALQ-119 ECM. Lors d’une mission, le 3 janvier 1981, le commandant du 119 ème, le lieutenant colonel Gideon Shefer, commandant de l’escadron 119, et son navigateur le capitaine Yuval Naveh "accrochent" un MiG-21MF en maraude et l’abattent rapidement : la confiance dans la mission envisagée y gagne des points. On y trouve aussi des indications précieuses sur le nouveau complexe irakien du H-3, le regroupement de trois bases centrées sur al-Walid, avec, H-3 Northwest et H-3 Southwest, située à seulement 50 km de la frontière jordanienne. Un réel danger. Pour contrarier les irakiens, Israël enverra même aux iraniens leurs nacelles de détection AN/ALQ-119 ECM en 20 exemplaires. De quoi aujourd’hui s’en mordre les doigts !
La chance va aider les israéliens : les iraniens vont leur donner un sacré coup de main le 4 avril 1981 où une audacieuse attaque menée par les deux commandants des forces aériennes iraniennes, le colonel Fakouri et le major Bahram Hushyar, avec comme leaders en vol le major Farajollah Baratpour et le Major Shafti qui guideront l’attaque. A l’aide de 8 Phantoms, et aidés par une véritable armada comprenant deux Tomcats F-14As, un Lockheed C-130H ’Khofaash’ de brouillage COMINT, un Boeing 747 qui va servir de bureau de commandement aérien et deux indispensables ravitailleurs 707-2J9C (décollé d’Istanbul !), les iraniens vont réduire en cendre le complexe H-3. Les deux leaders ont accrochés sous leurs ailes les pods israéliens. Un vrai désastre irakien, qui perdra ce jour-là trois Antonov An-12BP de transport, un bombardier Tu-16, quatre MiG-21s, cinq Su-20/-22s, huit MiG-23s, deux Mirage FlEQs et quatre hélicoptères Mi-8. De nombreux Tu-22B Blinders furent aussi endommagés, mais moins gravement. L’incroyable succès irakien ouvre la route aux avions israéliens, sans le savoir. Avec un pareil score, plus rien ne peut l’empêcher : pour la deuxième fois, les défenses irakiennes ont été facilement percées !
L’attaque, décidée par Menachem Begin, qui craignait alors de perdre les élections, sera menée par 14 avions en tout. Si ça marche, c’est un coup extraordinaire, qui lui assure un nouveau mandat. Les avions sont soigneusement sélectionnés : exit le Phantom, c’est le tout nouveau F-16 qui a été choisi pour bombarder, et le F-15 pour le protéger : soient 6 F-15 d’escorte, armés de missiles air-air et air-sol (anti-radars) et de pods de contre-mesure, et 8 F-16 de bombardement seulement, placés sous la direction de Zeev Raz. Leader reconnu et admiré de tous. Le leader charismatique fait l’unanimité. Les avions ont été choisis aux autres car ils disposent de systèmes de navigation inertielles et peuvent se passer de contrôleur au sol, et qu’ils sont monoplaces : en cas d’échec, il n’y aura qu’une personne à bord abattue. On pense qu’il y en a qui vont y rester, et l’opinion publique israélienne n’aime pas les pertes, autant les minimiser. Pour maintenir un secret maximal, sur les 14 pilotes, seuls 3 sont mis au courant du véritable objectif, au départ : Ilan Ramon (celui qui deviendra cosmonaute ici en 1994), Amir Nachumi, et évidemment le patron de l’opération, Zeev Raz. Un quatrième recruté l’apprendra indirectement : c’est Doobi Yoffe, dont la mère était la secrétaire de Menachem Begin qui vendra le morceau ! Reste à trouver d’autres pilotes, qui doivent être parmi les huit meilleurs du pays parmi les chasseurs-bombardiers : on songe obligatoirement à notre pilote du Liberty, qui a traversé la guerre du Yom Kippour accroché au manche de son "marteau pilon" ("SledgeHammer"), le fameux Phantom II "Kurnass".
Un avion qui arrivé en Israël juste après la guerre des 6 jours avait montré des aptitudes assez impressionnantes. A son bord, Yiftah Spector a enchaîné les victoires (4 ajoutées aux 11 en Mirage !) et a même failli devenir le premier à descendre un Mig-25, le photographe aussi inaccessible que le SR-71. Il venait juste de passer au pilotage du F-16. En fait Raz ira entraîner aux Etats-Unis, avec Yiftah, 12 pilotes (l’un d’entre eux s’était tué en vol), et en retiendra 8 avant de continuer l’entraînement en Israël ! Certainement à Nellis, haut-lieu des opérations secrètes : les américains ne doivent rien ignorer du projet, mais feront tout pour dire qu’ils n’étaient au courant de rien au lendemain de l’opération. Les autres pilotes, outre les cinq déjà cités étaient : Amos Yadlin, Hagai Katz et Relik Shafir. Les appareils étaient numérotés 107,113, 118, 129 du Squadron 117 (de la base de Ramon) et 239, 240, 249 et 243 du Squadron 110 (le 243 étant celui de l’infortuné futur cosmonaute, alors le plus jeune des 8 pilotes, dont le fils s’est tué l’année dernière à bord d’un F-16 lors d’un vol de routine !).
Pour ce qui est des plans de vol exacts de l’attaque, on les attribue le plus souvent à Aviam Sela, un authentique stratège aérien, l’auteur d’un des pièges les plus célèbres de l’histoire de l’aviation, au nom de code "Rimon 20", qui avait consisté à effectuer une fausse attaque de batterie radar par quatre Mirage IIIC, d’attendre que les Migs égyptiens fondent sur les assaillants pour que jaillissent les Phantom II Kurnass et fassent un massacre avec leur puissance de feu, ou avec des Mirages III, meilleurs en combat tournoyant, restés en embuscade. C’était pendant la fameuse guerre d’attrition où, à un moment, les Migs refusaient d’engager le combat. Le but du jeu n’était pas seulement de croiser le fer avec des Migs : c’était de démontrer que leurs pilotes, sur les rives du Canal de Suez n’étaient pas égyptiens, mais bel et bien russes ! Spécialiste de la consommation en carburant, c’est lui qui avait imposé les trois bidons, contraint et forcé à vrai dire : les F-16 fournis ne pouvaient être ravitaillés en vol, Israël, petit pays en étendue ne disposant pas de ravitailleur (même encore aujourd’hui, ne l’oublions pas !). Sela, qui participera lui-même à la bataille aérienne, descendra personnellement le Mig du russe Georgy Syrkin. Il avait ce jour-là gagné son pari : démontrer que les russes étaient directement impliqués en Egypte. Les américains, on l’a vu hier, avaient très certainement eux aussi engagé des pilotes pour écraser la flotte aérienne égyptienne en 1967. Les russes, jusque 1973 au moins avaient répondu en envoyant les leurs ! On retrouvera plus tard Aviam Sela mêlé à l’affaire de l’espion Jonathan Pollard. Lors de la bataille, Yiftah Spector pilotait un Mirage III, le numéro 52, de l’escadron 101, qu’il commandait : il fut crédité d’une demi-victoire (un Mig abattu à deux appareils).
L’attaque a donc lieu, et elle est décrite un peu partout avec plus ou moins de bonheur. Une très étonnante thèse remise par un obscur officier naval américain en septembre 2004, Peter S. Ford, fera une remarquable analyse de l’assaut. Son titre, à lui seul, résume très bien l’idée fondamentale " L’attaque d’Osirak par Israël : un modèle pour les futures frappes préventives". Et c’est effectivement une vraie mine de renseignement ! Les douze pilotes sélectionnés vont d’abord s’exercer pendant neuf mois d’affilée à voler à basse altitude, sans aucune conversation entre eux, avec un chargement énorme de deux bidons et deux bombes d’une tonne. Le tout pendant 3 heures de vol d’affilée, le temps d’effectuer la mission aller et retour, alors qu’une mission ordinaire en prend moins d’une ! Les avions consomment 2270 kg de kérosène par heure de vol à plein pot, il faudra sérieusement économiser, et les réservoirs vides seront abandonnés au dessus de Sakakah. En fait, larguer pareils réservoirs avec à côté pareilles bombes n’avait jamais été tenté avant les essais de l’opération ! La moindre inclinaison de l’appareil, et c’était le choc qui aurait pu être désastreux ! Leur entraînement intensif portera ses fruits : le jour de l’attaque, au bout d’une heure et 33 minutes de vol ils étaient en fait déjà arrivés sur leur cible !
Le largage des bombes qui ne sont pas guidées doit alors être fait au millimètre : leur impact est sensible sur un espace vertical de 2800 pieds (850 m !) et horizontal de 3400 pieds (1 km !), pendant les 9 secondes qui suivent l’impact (et le retardateur). L’avion qui les lance n’a pas intérêt à traverser l’ impact de ses prédécesseurs, sinon c’est l’extinction de réacteur assurée ! Pour que les pilotes visent mieux le réacteur, on va leur disposer en plein désert du Negev des dômes radars factices, qui ressemblent au dessus arrondi de la centrale, jusqu’à ce qu’ils font tous mouche dessus. Pratique : on inaugure le tir au pigeon en plein désert !
Les 14 appareils partiront le 7 juin 1981 à 15h55 (12:55 GMT) de la base d’Etzion, au Sud du pays, après avoir été salués par le Major General David Ivri et le General Raphael Eitan, les deux plus hauts responsables de l’IAF. Les 14 avions se dirigent en silence vers leur cible à 360 nœuds (660 km/h), pour économiser l’essence et à 100 pieds à peine au dessus du sol (30 mètres !!!). Les F-16 sont très délicats à piloter avec leurs 3 bidons (1 100 l sous le ventre et 1 400 l sous les ailes) et leurs deux énormes bombes. A 17H35 (14:35 GMT), à 20 km du but, les F-15 remontent et activent leurs pods de contre mesures ALQ-119 ECM pendant que les F-16 attaquent par deux en 4 passes en remontant à 2 000 m. C’est risqué : à ce moment là les radars irakiens les voient "plein phares". Les 16 bombes sont larguées à 1100 m d’altitude, mais deux ratent leur objectif. Au sol, il y a dix irakiens de morts et un chercheur français nommé Béguin.
Celui qui a raté sa cible, justement, c’est Yiftah Spector ! Malade la veille, pas dans son assiette, ayant mal dormi, ce n’est pas son jour du tout. Il respire mal (mauvais pour les tonneaux et les ressources ça car il faut se ventiler activement avant !) et a pris la veille des médicaments qui lui donnent un sang plus fluide qui fabriquent un "black-out" durant les manœuvres d’attaque ! Comme il le dira plus tard, ce jour là, à 40 ans, son corps de pilote de chasse l’a trahi : il mettra 20 ans pour l’avouer dans son livre ! Le gag, c’est qu’il était le sixième à bombarder, et que le temps qu’il effectue une manœuvre pour se recentrer, il filmera dans son viseur HUD l’impact du passage qui précède qui a fait tilt avec le retardement de l’explosion des bombes ! Les suivants prendront aussi des vues des impacts, mais pas aussi clairement que lui ! Il sera inutile, grâce aux vues du HUD de Spector d’envoyer un Phantom de reconnaissance pour confirmer : le dôme s’est bien effondré et la centrale bien détruite ! Evidemment, le lendemain, Washington, grâce à ces satellites Lacrosse, confirme le résultat espéré. La centrale nucléaire de Saddam Hussein n’est plus qu’un amas de débris. Inutilisable, ruiné, détruit. En 45 secondes chrono de bombardement, le réacteur Osirak est mort. C’est la fin des ambitions nucléaires irakiennes.
Les huit bombardiers remontent vite fait à 12 000 m, rejoignent leurs chasseurs de protection F-15, dirigés par Moshe Marom et Eitan Ben-Eliyahu, et rentrent, tant pis pour l’altitude ou la condensation, ils n’ont pas le choix : plus bas ils consomment trop ! Par le même chemin. Au départ, ils étaient tous passés à fond au dessus de la Mer Rouge, à 730 m d’altitude seulement, en visant l’emplacement du yacht du roi de Jordanie, alors en vacances, qui ne leur aurait jamais accordé le survol de son pays, les obligeant à un long détour... tous les pilotes sont comme ça, voyez-vous. Faut pas trop les titiller. Le roi, un peu secoué, avait dû appeler ses propres quartiers généraux pour leur demander ce que c’étaient que ses trublions ! Au retour, ils le saluent bruyamment à nouveau sans que la chasse jordanienne mise en alerte ne bronche ! A 18H05 heure locale les 14 avions sont déjà rentrés ! Deux d’entre eux n’ont plus que 182 kg de kérosène, soit à peine 8 minutes de vol économique. A peine atterris, exténués, on leur fait prendre la pose ! Voilà huit héros d’un coup ! A la Cnesset, quelques semaines plus tard, Begin est réélu dans un fauteuil ! Son "coup" a marché mieux qu’espéré ! Pas une seule perte en vies humaines, pas un seul appareil au tapis !
Au retour, c’est l’explosion de joie en Israël et le tollé général dans le monde en politique. On salue quand même le coup audacieux, en minimisant bien sûr le rôle des Etats-Unis. La France demande des comptes pour la mort de son ingénieur. On ne saura jamais où les douze pilotes pré-sélectionnés s’étaient entraînés aux Etats-Unis (à Nellis, très certainement), et encore moins comment ils avaient été guidés sur leur objectif. Comme lors de l’opération Liberty, durant toute leur expédition, un ange gardien aux grandes ailes et au rotodôme les surveillait du dessus : un Awacs américain, qui leur servait de guide... discret. Les Hawkeye israéliens venaient juste de débarquer et étaient inopérants encore : ils ne le seront que l’année suivante, en 1982 lors de l’attaque du Liban et les opérations de la vallée de la Bekaa. Israël n’aura pas le sien, d’Awacs, nommé le Phalcon, avant les années 90. Les avions israéliens ne sont pas allés seuls bombarder Osirak...
Et de cette coopération, il reste des traces tangibles. Dans le bureau du général David Ivry, responsable du succès total de l’opération, trône une photo avec une dédicace : "Au Général David Ivry, avec remerciements et félicitations pour le travail incroyable fait sur le programme nucléaire irakien en 1981, ce qui nous a rendu le travail plus facile pendant Desert Storm". Cétait signé "Dick Cheney, Sec. of Defense 1989-93". Ivry deviendra ambassadeur aux Etats-Unis de 2000 à 2002. On ne pouvait montrer meilleure coopération entre les Etats-Unis et Israël ! Un succès total ! En fait, la seule chose à laquelle n’avait pas songé Begin, c’est qu’il n’avait tablé que sur le court terme. Selon le rapport de Peter Scott Ford, à long terme, les pays arabes allaient pour sûr, être tentés, pour contrecarrer l’hégémonie israélienne, -et sa détention de l’arme nucléaire qui n’est plus un secret pour personne- de bâtir eux aussi une capacité nucléaire. C’est une évidence ! C’est le cas tout autour d’Israël ; certains plus malins (et plus fortunés) que l’Iran s’équipant "clefs en mains" beaucoup plus discrètement (mais pas sûrement !). "Les frappes préemptives sont relativement simples à effectuer, nous dit Ford, et installent un état de fait immédiat. Mais leurs conséquences sont durables et coûteuses". Les conséquences politiques aussi chez les pilotes israéliens, ajoutera-t-on : certains vont accéder à un très haut rang dans le pays. Ainsi pour l’un des huit : Amos Yadlin, nommé en 2004 attaché militaire à Washington et qui commande depuis janvier 2006, Aman, à savoir les services de renseignements militaires de Tsahal... Un bombardement comme tremplin de carrière politique (remarquez, McCain a fait pareil à partir d’un Skyhawk et d’un Skyraider !) ! Pour certains, il y a trois heures de vol qui valent toute une carrière, ou qui marquent tout le restant de leur vie ! Il y aurait-il des présidentiables parmi eux , ou de futurs chefs de gouvernement ?
Voilà qu’il conviendrait de méditer à nouveau... au cas où d’aucuns seraient tentés de rééditer l’expérience. Quant à notre pilote devenu héros (on ne saura pas qu’il a raté sa cible avant vingt années !), il a encore plein de choses à faire... et à nous apprendre sur les forces aériennes dont il fait toujours partie, jusqu’en 1984. Et il n’a pas fini de nous surprendre : après le Liberty et Osirak, il va encore effectuer quelques menues missions avant de prendre sa retraite. Mais sans jamais perdre de vue l’aviation, c’est ce que nous allons voir. Pour l’instant, il est devenu un des huit héros du pays ; laissons-lui savourer avec ses sept co-équipiers son exploit !
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