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Accueil du site > Tribune Libre > Yoga, la Voie et la Vie ?

Yoga, la Voie et la Vie ?

Le yoga est une pratique millénaire, construite au carrefour des cultures en s’adaptant à chacune. Il est bien plus qu’une pratique corporelle, une technique de bien-être ou une hygiène de vie anti-âge, fussent-elles à visée spirituelle – et bien plus qu’un marché très lucratif confortant l’obsédant culte occidental de la « performance ». Moins gymnaste que philosophe, Jeanne Burgart-Goutal conte sa voie de transformation par le yoga, arpentée pendant une décennie riche en découvertes comme en déconvenues, avec la complicité imagière d’Aurore Chapon avec qui elle avait consigné le roman graphique Resisters (Tana, 2021). Le yoga, une voie pour aller à l’essentiel , dans la conscience de soi - et du Soi ?

 

«  Le yoga, c’est l’arrêt des tourbillons du mental », selon les Yoga-sûtra, le premier traité de yoga connu. Le terme « yoga », venu de l’anglais yoke (joug), apparaît dans le Veda, 1500 ans environ avant notre ère comme désignant l’attelage, le labour, le déplacement voire le stratagème ou le remède, en opposition à ksema, le repos.

Dans sa profondeur, le yoga ne se réduit donc pas à une pratique sur le tapis : il vise à réaliser l’union du corps, du mental et de l’esprit – et l’union de l’individualité avec la conscience universelle. Ainsi, les sages de l’Inde vivent et réalisent en eux-mêmes la libération de cette Conscience.

Le corps qui nous porte est bien plus qu’une mécanique biologique à entretenir ou à asservir à des fins de « performance » – il est le point de rencontre de tous les plans d’existence de l’être humain...

La quête de Jeanne Burgart-Goutal part des pistes les plus fréquentées par les adeptes de bien-être pour aboutir aux bifurcations les plus secrètes - jusqu à l’évidence même où tout se dissout en plénitude : « Deviens ce que tu es ! » Et si, finalement, il n’y avait rien à atteindre ? S’il y avait juste à laisser se révéler une Réalité déjà là, inhérente à chacun ?

 

Aux sources du yoga

 

Bien avant Jeanne Burgart Goutal, le Dr. Thèrèse Brosse (1902-1991), alors chef de clinique au service de cardiologie à l’hôpital Broussais, est partie en 1935 pour une mission d’étude instrumentale du yoga en Inde, en quête d’une « énergétique de l’homme intégral ». Ainsi, la cardiologue a donné droit de cité à cette « technique de transformation psychosomatique » dans la recherche officielle. Auprès des yogis, la neurophysiologie lui a appris que l’un des hémisphères cérébraux représente « nous dans le monde » et l’autre « le monde en nous »... Comme dans la simplicité primordiale du souffle qui fait entrer le monde en nous et nous dilue dans le monde...

Dès l’entre-deux-guerres d’une autre course aux armements, le Dr. Brosse a administré la preuve que la « connaissance scientifique » n’est qu’une étincelle infime au sein d’une conscience beaucoup plus vaste, latente en chacun de nous (1)...

En septembre 2012, Jeanne Burgart Goutal cherche un « nouveau sport » - et, sur les conseils de sa soeur, pousse la porte d’une salle de yoga. Première prise de conscience : « J’avais fait connaissance avec mes organes... et avec Chitta, le singe de mon esprit !  »

Une philosophe ne peut que questionner le yoga, au-delà des « postures » saupoudrées de « respirations » et interoger son histoire, sa diffusion – de quoi se perdre dans une variété de significations, une multiplicité de yogas (de sagesse, de dévotion, d’action, de méditation, etc.) et se disperser sur deux lignes de front, entre matérialisme et spiritualisme – entre gymnastique et pratique philosophique. Du yoga, on ne saurait parler qu’au pluriel, dans le lâcher prise, la libération du mental et le dépassement de l’ego pour entrevoir la vérité de l’être au monde...

Durant l’été 2016, elle se rend à son premier « festival de yoga » près d’Aix-en-Provence et s’immerge dans le crissement des cigales ainsi que dans un approfondissement plus personnalisé auprès d’un yogi tantrique vivant en marge de « la société » - en toute « autonomie », comme il se doit : « Bienvenue à Ushuaïa dans ton froc, la vie en conditions réelles  »... Un sacré boulot, l’autonomie, dans l’ermitage Saint-Bernie, mais enfin « on n’est libre que de choisir ses esclavages  »...

Heureusement, il y a « le réseau » le rattachant à « la société », comme une « toile d’araignée dont les fils sont invisibles dans l’ombre, mais lumineux lorsqu’une ondée ou un rayon de soleil les fait scintiller » - bref, « ne confondons pas autonomie et autarcie »... Bernie reçoit pour des « formations » dans sa Shala des « chercheurs énergiques » en quête d’un autre rapport au monde ou d’un état de conscience élargi...

Par ses recherches bibliographiques, la philosophe apprend qu’ « à partir du XIXe siècle, les livres de yoga sont marqués par la rencontre entre Inde et Occident  ». Ainsi, « le yoga se mondialise, et de nouvelles synthèses et hybridations voient le jour  » - les plus célèbres auteurs indiens de cette période sont alors Sri Aurobindo (1872-1950) ou Vivekananda (1863-1902). En somme, son histoire s’avère « semblable à celle de la pizza napolitaine : ancienne, locale, mais aussi faite d’emprunts, plurielle, codifiée sur le tard, mondialisée puis réancrée dans une tradition réinventée  » (Marie Kock). Au Xie siècle apparaissent, avec le hatha yoga, « les postures, les techniques de nettoyage interne et de canalisation du souffle destinées à purifier ». La dimension physique de la pratique se fait stratégique pendant la colonisation britannique – « c’était pour les combattants de l’indépendance une manière discrète de se préparer clandestinement à la lutte  ».

 

De l’écoféminisme au yoga de la terre

 

Pour Jeanne, la quête d’une expérience libératrice se double par des recherches sur l’écoféminisme, ce qui suscite bien d’autres questions : si sa pratique (8 millions de pratiquants en France) est majoritairement féminine, le yoga est-il pour autant féministe ? Et que peut-il changer à notre rapport à la nature ?

Pour nombre de ses enseignants, l’écologie, dirait-on, est une « réalité vécue : toilettes séches, forage pour l’eau, panneaux solaires, potager... tout un mode de vie décroissant en acte »... La « famille écoyogi » pourrait aisément s’élargir non seulement aux hérauts de l’indépendance indienne ( Aurobindo, Gandhi, Tagore) mais aussi aux poètes romantiques (Goethe, Hölderlin, etc.), aux philosophes transcendantalistes (Emerson, Thoreau), aux féministes végétariennes révolutionnaires (Charlotte Despard, Margaret Cousins) voire à Aldous Huxley (1894-1963) et aux auteurs de la Beat Generation (Ginsberg, Kerouac).

Depuis les seventies, les penseurs de l’écologie profonde font école – et font du yoga un des moyens de réalisation du « soi écologique ». Ainsi, la philosophe et activiste Vandana Shiva, surnommée « la rock star de l’écoféminisme ») rappelle ce rapport vital à l’unification et à l’unité : «  le yoga, ce n’est pas juste les asanas, c’est faire un avec la terre nourricière  ».

Un séjour en Inde s’impose, n’en déplaise au sédentaire Bernie – et les découvertes s’enchaînent avec l’ayurvéda, l’aspect scientifique et médical de la même philosophie de la nature et de la vie. Par sa pratique, le disciple « s’inscrit consciemment dans les rythmes naturels (...) La santé, ce n’est pas juste l’absence de maladie, c’est l’harmonie avec le cosmos. »

Mais la pratique du tantra ne va pas sans découvenue : la vénération du féminin sacré, de la Déesse « n’implique pas de respecter les femmes réelles »... Sevrée de ses adorations comme de son irrépressible besoin de convoquer un yoga « pur et dur » permettant de dépasser sa condition, revenue à l’enseignement de la philosophie dans un lycée à Marseille, Jeanne Burgart Goutal perçoit l’exercice de son métier, somme toute, comme un yoga : « Désormais, ce qui comptait, (...) c’était l’écoute, le vivant, la présence, l’attention. Je compris qu’enseigner avec coeur était bien plus « du yoga » que faire des postures acrobatiques sur un tapis ou rester en lotus des nuits entières. »

La voilà à son tour « passeur de yoga » en Occident, en chemin dans la transmission d’une sagesse millénaire vécue en énergétique du Réel. Ainsi, tout est bien qui finit bien dans la conscience de plus grand que soi, dans l’immensité de l’instant, « simplement reliée au souffle qui va, qui vient, librement » - « tout est là » dans l’intelligence d’un corps transmuté, pénétré d’absolu...

Non, définitivement : le yoga n’est pas une displine à la mode depuis la vague hippie ou une voie d’ « optimisation de soi » dans un esprit de compétition – il est juste une pratique d’hygiène mentale, individuelle voire sociale permettant de se relier à un Univers qui ne nous est plus une « donnée extérieure », mais un donné primordial vécu en pleine conscience...

1) Dr. Thérèse Brosse, La « Conscience-Energie » structure de l’homme et de l’univers – ses implifications scientifiques, sociales et spirituelles, éditions Présence, 1978

 

Jeanne Burgart Goutal et Aurore Chapon, Yoga Shalala, Tana éditions, 240 pages, 22 euros


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55 réactions à cet article    


  • Gégène Gégène 18 mai 2024 10:35

    « Il (le yoga) vise à réaliser l’union du corps, du mental et de l’esprit »

    Qui pour nous expliquer la différence mental-esprit ?

      Lire les 5 réponses ▼ (de Sirius, lephénix, Gégène)

    • Sirius Sirius 18 mai 2024 10:37

      J’ai essayé récemment, mais ça n’a pas marché.

      Dès qu’on me disait : "Assied-toi et ne pense à rien", je voyais Macron assis devant son prompteur et récitant sa leçon.


      • Gégène Gégène 18 mai 2024 10:40

        @Sirius

        "ça n’a pas marché"
        ça, c’était couru d’avance !


      • Sirius Sirius 18 mai 2024 10:53

        @Gégène

        c’est vrai aussi qu’il est difficile de marcher quan on est dans la position du lotus


      • Sirius Sirius 18 mai 2024 10:53

        ce qu’on appelle « yoga » ici est une invention occidentale, une variante de la sophrologie


        • cevennevive cevennevive 18 mai 2024 14:54

          @Sirius, bonjour,

          Oui Sirius, le yoga, c’est tellement autre chose...
          Il s’apparente à la médecine ayurvédique et est bien loin d’une pratique corporelle à la mode !


        • lephénix lephénix 18 mai 2024 16:04

          @Sirius
          c’est une adaptation occidentale, une de plus, à une pratique qui se cherche depuis des siècles après avoir été une philosophie millénaire dans son berceau...


        • Jean Keim Jean Keim 18 mai 2024 19:05

          J’ai lu qq. part, je ne sais plus où, qu’il y a des milliers d’années de ça, la consommation d’une plante permettait le fonctionnement optimum du cerveau, seulement elle poussait sur certaines pentes de l’Himalaya et était extrêmement rare, elle finit par disparaître ; alors des sages se sont réunis et ont mis au point une technique corporelle permettant de palier cette disparition, aussi ce qui était destiné au départ à remplacer la plante disparue, à cause de pensées de plus en plus désordonnées, est devenu toutes autres choses comme des techniques pour accroître la puissance sexuelle, ou encore un moyen illusoire d’atteindre l’illumination voire carrément Dieu...

            Lire les 37 réponses ▼ (de lephénix, Jean Keim, Julian Dalrimple-sikes, Francis, agnotologue, Gollum, Dizier)

          • SilentArrow 19 mai 2024 07:13

            @lephénix

             

            Le terme « yoga », venu de l’anglais yoke (joug), ...

            Le terme sanscrit « yoga » et le mot anglais « yoke » viennent tous deux de la même racine indo-européenne, mais on ne peut pas dire que le mot « yoga » vient de l’anglais « yoke ». Le mot « yoga » était présent dans la littérature sanskrite bien avant l’arrivée des Anglais en Inde.

            Les Yoga-Sutra ont été compilés entre le IIe siècle av. J.-C. et IVe siècle apr. J.-C. Le Hathayoga Pradipika a été écrit au XVe siècle.


            • lephénix lephénix 19 mai 2024 11:04

              @SilentArrow
              merci de votre apport, il y a quantité de livres sur le yoga qui y vont de leur version l’article recense celle du récit graphique tiré des recherches de l’auteure... Deepak Chopra aussi invoque l’origine du mot à partir de l’anglais « yoke »...


            • colibri 19 mai 2024 18:43

              Le problème n’est pas le yoga mais de trouver un enseignant valable , 

              la source de l’enseignement originel s’est surement perdue (tout comme pour les religions ) , comment savoir si l’enseignement est de qualité et vrai ? il y a tellement de charlatan , et il est tres facile d’abuser les gens , de les mettre sous emprise , les aspirants aux cours de yoga sont souvent des gens fragiles , 

              Tapez « professeurs de yoga escroc ou abuseur » sur internet , et vous verrez tout un tas d’excroqueries démantelées telle la fédération de yoga Atman , et bien d’autres qui font du blanchiment , de l’exploitation sexuelle et mentale tel Christian Ruhaut , 

              Kara singh de la celèbre école basée en Isère depuis 20 ans, les abuseurs sont nombreux , les autres se croient investis d’une mission et invente leur propre technique yogique car ils ont un égo démesurés , , tout ca peut être dangereux ...

              De la même façon que le bouddhisme et tout ce qui vient d’Asie a dégénéré comme on le voit avec les accusations d’abus et d’emprise visant la plupart des gourous des temples bouddhistes tel Sogyal rinpoché , le grand copain du Dalai Lama , les techniques yogiques et autres n’ont rien à voir avec le véritable enseinement mais sont un filon juteux exploités par des gens sans scupules ou ignorants .


              • lephénix lephénix 19 mai 2024 21:26

                @colibri
                c’est un autre fait anthopologique totalisant qui nous renvoie au plus vieux métier du monde, qui n’est pas celui que l’on croit : c’est l’abuseur qui prétend détenir un pouvoir « du ciel » et exercer une emprise de ce fait aujourd’hui par un présumé « savoir » conféré par une « pratique » ou la maîtrise de « techniques »... c’est une bien vieille et vilaine histoire que celle de la domination, qui devrait être étrangère au yoga comme à tout savoir ou toute philosophie... chacun a un instinct, un sixième sens, une voix intérieure pour le prévenir contre toute arnaqueur, mais il n’y a aucune garantie d’un monde sans arnaqueurs...


              • zygzornifle zygzornifle 20 mai 2024 10:29

                Yo gars me disait un pote alsacien ....

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