Zine el Abidine Ben Ali, dictateur et véritable salaud
Pour quelques chroniques légèrement pimentées dans le Nouvel Obs et un blog dans Mediapart, Taoufik Ben brik se retrouve derrière les barreaux. Chroniques pimentées, mais ô combien vraies. En Tunisie, il y a des plats ainsi faits : ils ne sont ni bons, ni mauvais. Mais vrais. Je mange vrai, comme on dirait : je mange sucré, ou salé. Avant les élections tunisiennes, avec Taoufik, on mangeait des vrais plats. Mais c’est fini. Opposant déclaré du dictateur Ben Ali, il a été incarcéré quelques jours après sa dernière chronique sur les élections tunisiennes et juste après que Nicolas Sarkozy ait félicité le dictateur tunisien pour sa réélection.
Pour les Algériens et les Tunisiens, le monde retiendra deux chiffres : ceux qui ont permis la réélection de leurs présidents en 2009, respectivement à 90,24% et 89,68%. Deux affreux dictateurs aux portes de l’Europe, soutenus par les pays occidentaux et le silence de la classe intellectuelle.
La Tunisie est une dictature acceptable pour les occidentaux. Les violations des droits de l’homme dans ce pays, ça intéresse qui ? Quelques journalistes. Quant aux politiques, il faut croire que ce qui s’y passe leur est complètement égal. On ne sait pas trop comment interpréter leur silence, quand on les entend s’indigner des fausses élections iraniennes, afghanes, et dans je ne sais quel autre pays. On ne comprend pas non plus pourquoi les Européens expulsent-t-ils les Tunisiens fuyant leur pays tout en soutenant leur dictateur.
J’ai entendu un journaliste dire : « Il faut boycotter la Tunisie. » Boycotter la Suède, je comprendrais l’efficacité, mais une dictature ? Cette proposition de Boycotte est d’une stupidité totale. Vous ne rendez pas la justice au peuple tunisien, qui est admirable de gentillesses, d’accueil et de tolérance. Ce conseil-là, c’est parce qu’ils ont déjà décidé de ne pas bouger le petit doigt pour ne pas devoir revendre leurs villas à Sousse et à Hammamet, ou pire : se voir traité comme cette journaliste du Monde de « folle », « remplie de haine », « bonne pour la psychanalyse », et refoulée à sa descente d’avion après y avoir passé une nuit à l’aéroport assise sur un siège. Lorsque je pense à tous ces acteurs, humoristes ou hommes politiques nés ou ayant vécu en Tunisie, qui y passent souvent leurs vacances et n’entendre aucune protestation de leur part, je comprends que c’est la Tunisie qui est aimée, pas le Tunisien. Pourquoi s’indigneraient-ils, d’autant plus que la bonne parole vient de très haut.
« De quoi ils se plaignent, ces tunisiens sous Ben Ali ; ils ont de quoi manger. » Jacques Chirac
Quand l’arabe à de quoi manger, il doit donc se taire pour Jacques Chirac. Mais ne nous attardons pas trop sur les déclarations du seul Président français à avoir donné son avis sur les bruits et les odeurs à Barbes. Il y a quelques jours Taoufik Ben Brik a raconté à Mediapart comment la police secrète de Ben Ali préparait son incarcération. En allant chercher sa fille de 10 ans à l’école, il a été littéralement agressé par une femme au moment où il s’apprêtait à rentrer dans sa voiture. Avant de démarrer, une Renault verte garée juste derrière sa voiture lui est rentré dedans. Il descend, et constate l’absence de dégât de part et d’autre. Mais la femme qui était au volant de la voiture verte l’interpelle : « Vous ne pouvez pas faire attention ? » Il lui répond que c’est elle la fautive puisqu’il n’avait même pas encore démarré la voiture. Là-dessus, la femme se déchaîne. Elle s’est mise à crier qu’on l’insultait, qu’on l’a mordait et qu’on essayait de la violer. Ensuite elle agrippe Taoufik Ben Brik et lui déchire ses vêtements. Comprenant le piège, Taoufik Ben Brik a commencé par appeler à l’aide en criant : « Elle est de la police ! »
Même le doute n’est pas permis dans ce minuscule pays cinq étoiles. « Quiconque émettra des accusations ou des doutes concernant l’intégrité de l’opération électorale sera poursuivi » a averti l’affreux dictateur Ben Ali, réélu pour un cinquième mandat.
Moins d’une semaine après, un écrivain est déjà en prison. Un un autre journaliste, Slim Boukhdhir, lui, a carrément été kidnappé par cinq hommes qui l’ont emmené dans un parc pour le massacrer. Avant l’agression, il venait de donner une interview à la BBC pour dénoncer l’intimidation du pouvoir à l’égard des journalistes. Ces dernières années, même à Alger, qui n’est pourtant pas un havre de paix pour les journalistes, on n’a pas vu ça. Dans le pire des cas, on vient vous chercher et on vous dit clairement ce qu’on vous reproche. On n’use pas de méthodes mafieuses en vous envoyant une fille vous agripper en pleine rue pour pouvoir vous jeter ensuite en prison. C’est vraiment la dictature à la tunisienne, bête et presque risible. Aussi grand qu’une boîte de chique, ce club Med pour européens désœuvrés, à seulement une heure de la France, concentre à lui seul les atteintes aux droits de l’Homme les plus ridicules de l’histoire des dictatures.
Le Parrain de Carthage, Zine el Abidine Ben Ali
1989 - 99,27% des voix
1994 - 99,90% des voix
1999 - 99,44% des voix
2004 - 94,48% des voix
2009 - 89,62% des voix (en forte baisse)
Laissez-moi vous raconter mon expérience tunisienne. 1996. La Marsa, à une vingtaine de kms de Tunis. Mon roman accepté par mon éditeur, j’étais allé pour le relire « ailleurs », j’y suis resté quatre mois dans ce foutu pays, sans avoir écrit une seule ligne. Au début, je me croyais vraiment en Europe. J’avais même une femme de ménage, comprise dans le loyer de la maison. J’ai très peu voyagé dans ma vie mais de tous ceux que j’ai eu l’occasion de visiter, la Tunisie restera le pays que je déteste le plus au monde. Tout est fabriqué pour le touriste, tout est superficiel et trompeur. Et quand je dis tout, c’est vraiment tout. Il y a dans l’atmosphère comme un parfum de colonisation qui demeure. Cela, le Tunisien le sait et vit avec. Mais il le voit d’une autre façon que vous. Et ce n’est pas la peine d’aller lui demander des explications car la Tunisie est un pays indépendant, point c’est tout, c’est d’ailleurs inscrit sur le paquet de cigarettes : 20 mars 1956.
Dans ce pays où le touriste est roi alors que le Tunisien, lui, baisse la tête, il y a comme une entente secrète entre le dictateur et une partie de la population. Il est vrai qu’il faut y vivre un certain temps pour comprendre comment ça se passe en Tunisie. Michel Camus et Vincent Geisser, qui y ont vécu quelques mois et connaissent donc ce pays de « l’intérieur », l’ont un peu pressenti. Ils soulignent que l’exception tunisienne résiderait dans une ambivalence permanente, une tunisianité politique cultivée par les gouvernants comme par les gouvernés, par les dominants comme par les dominés. Depuis cette date inscrite sur le paquet de cigarette, le Tunisien sait que son bulletin ne comptera pas, mais il vote quand même. Mettez-vous, si c’est possible, à la place d’un Tunisien qui a déjà voté quatre fois pour la même personne, et qui a revoté une cinquième fois dimanche 25 octobre 2009, toujours pour la même personne. « A voté. »
J’avais passé quatre mois à visiter ce que j’appellerai toute ma vie le « plus grand pénitencier d’Afrique. » Une prison, mais seulement pour le Tunisien. En Tunisie, mieux vaut être touriste ou coopérant si vous voulez y passer un bon moment. Et ce n’est pas les anecdotes qui manquent. Je pourrais en faire un gros livre. Dans un café, quand des amis venaient de Paris, il nous était impossible de discuter entre nous sans surprendre une tête penchée vers notre table ou sur notre épaule, qui écoute ouvertement tout ce qu’on se dit. Jamais vu de ma vie autant de flics pour un si petit pays de dix millions d’habitants. Dès qu’ils entendent parler français, les oreilles s’ouvrent et se rapprochent sans la moindre discrétion. C’est une stratégie, ça s’appelle : l’intimidation par le ridicule et l’effronterie, la politique de la terreur par la connerie pure. C’est tunisien. Vous avez beau les regarder pour leur indiquer qu’ils sont démasqués, ça leur est complètement égal : ils vous fixent dans les yeux, vous suivent de loin, et refusent de vous parler.
Je me souviens particulièrement d’un soir où je me baladais avec ma compagne de l’époque et un ami en sortant d’un restaurant. Nous étions tous français mais j’étais le seul à ressembler à un Tunisien. On se dirigeait vers notre voiture quand nous nous sommes aperçus qu’on était suivis par un véhicule tout feux éteints, juste derrière nous, avec quatre hommes à l’intérieur. Comme on n’avait rien à se reprocher, on s’est arrêtés pour les regarder. La voiture s’est arrêtée aussi, à une vingtaine de mètres. Aidés par l’effet de l’alcool, nous avions fait demi-tour pour leur parler : « On peut vous aider ? » Seul, bien naturellement, je ne me serais pas hasardé de cette manière-là, même bourré. Mais j’avais un passeport français, j’étais accompagné par un médecin français ainsi que par une grande blonde française, et ça, c’est beaucoup plus efficace qu’un passeport diplomatique dans la Tunisie de Ben Ali. J’ai eu largement l’occasion de le tester durant les quatre mois où je suis resté là-bas.
Nous voyant devant leur voiture, le type sur le siège passager ouvre la fenêtre et j’en profite pour reposer ma question :
« On peut vous aider ? »
- Non, rien, c’est rien, y a rien, y a rien », répète un type assis à l’arrière que je ne voyais pas.
J’insiste bêtement et poliment :
« Comment ça, y a rien ? Y a nous, et y a vous aussi. »
Le type répète encore sa phrase en même temps que la voiture démarre, les feux toujours éteints.
La magie du français, m’étais-je dit. La langue du colon, l’éternel meilleur conseiller, une langue d’occupation pour la vie.
La liberté d’expression n’est pas complètement ignorée en Tunisie, elle est même souvent évoquée. Mais à travers des blagues. Lorsqu’un tunisien veut parler de liberté d’expression ou de démocratie, il fait une blague. C’est la seule façon possible.
C’est un chien algérien et un chien tunisien qui se croisent à la frontière de leurs deux pays. Surpris, le chien tunisien baisse la queue et demande au chien algérien :
- Tiens, que viens-tu faire ici, cousin ? Vous avez encore foutu le bordel l’autre jour à Alger ; on a vu ça à la télé.
- Oh je me balade, dit le chien algérien. Voir vos touristes, vos beaux complexes quatre étoiles. Sincèrement, je vous admire. Tout est beau et lisse, en plus vous vous occupez très bien du touriste. Et toi, chien tunisien, que viens-tu faire par ici ?
- Moi, je viens ici juste pour pouvoir aboyer. »
.
Suivez les tribunes de Taoufik Ben Brik depuis la plus grande prison d’Afrique : la Tunisie
Florence Beaugé, journaliste au service International du Monde, explique comment et pourquoi elle a été refoulée, mardi soir (20/10/09) à son arrivée à Tunis, et interdite de territoire :
16 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON