Le conflit russo-géorgien, le coup d’arrêt à l’unilatéralisme ?
Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur cet énième conflit dans le Caucase. Les médias occidentaux, dans un premier temps abreuvés par les dépêches et les communiqués venant de Géorgie, semblaient voir dans ces événements tragiques un nouvel épisode du « grand frère russe méchant et brutal » remettant dans le droit chemin la « pauvre petite Géorgie ».
Maintenant que la poussière retombe, que les Ossètes comptent leurs morts et que les Géorgiens prennent la mesure des dégâts, il faut admettre que ce tableau manichéen se fissure. Retour sur ces événements.

Ces derniers temps, les escarmouches entre forces ossètes et forces géorgiennes s’étaient accrues de manière notable. L’enhardissement des forces ossètes n’aurait probablement jamais eu lieu sans le soutien implicite de la Russie.
Car, depuis le début de la question du Kosovo, la diplomatie russe avait prévenu les Occidentaux : il ne pouvait pas y avoir deux poids, deux mesures entre le Kosovo d’une part et l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie d’autre part. En cas d’indépendance du Kosovo, ils pourraient difficilement la refuser à l’Ossétie et l’Abkhazie.
Cette indépendance se profilant à l’horizon, le président géorgien Saakashvili a-t-il voulu tenter un coup de poker ? Probablement. Mais c’est là sans aucun doute une faute politique gravissime. Lorsqu’on est un dirigeant politique et que la vie de ses compatriotes dépend des décisions que l’on prend, on se doit de bien réfléchir avant de se lancer dans une opération militaire d’envergure.
Reprendre le contrôle de l’Ossétie du Sud par les armes supposait, au préalable, de défaire militairement les troupes russes de maintien de la paix. Comment Saakashvili a-t-il cru que la Russie laisserait ses soldats se faire tuer à sa frontière sans réagir ?
Quelle que soit l’intensification des escarmouches, la fuite en avant militaire du président géorgien était complètement irresponsable. Dans ce type de conflit à basse intensité, l’agresseur est toujours celui qui cède à l’escalade. Et cela est d’autant plus vrai que l’offensive géorgienne a été brutale. Difficile, donc, de jouer les victimes lorsque l’on attaque en premier, et surtout de cette manière.
C’est un secret de polichinelle que la Géorgie était soutenue, par les Etats-Unis, dans son projet de reprise de contrôle de ces territoires. Point de passage stratégique entre la mer Caspienne et la mer Noire, limitrophe de la Turquie et proche de l’Iran, ce pays avait tous les atouts, aux yeux du Pentagone, pour accueillir des bases militaires américaines.
C’était d’ailleurs en projet. Entre l’aide financière et les instructeurs américains, l’armement israélien, le choix du nom "Georges Bush" pour l’une des principales artères de Tbilissi fait figure d’anecdote. Un pion central de la diplomatie américaine au cœur du Caucase, voilà ce qu’était devenue la Géorgie. Et si l’on ajoute à cela que tous les projets d’oléoducs et de gazoducs, en provenance d’Asie centrale, dont l’objectif était le contournement de la Russie, passent par la Géorgie, on peut comprendre que la Russie surveillait ce territoire de près.
Se prévalant du soutien américain, Saakashvili s’est donc senti suffisamment fort pour attaquer l’Ossétie du Sud. Vu la vitesse, la puissance déployée et l’efficacité de la réponse russe, on peut se douter que les Russes s’attendaient à cette attaque. La Géorgie devait figurer en bonne place dans la liste des pays surveillés par le FSB, et tout indique que l’armée russe était préparée à la confrontation.
Outre les conséquences humaines dramatiques de ce conflit éclair pour la population civile locale, ossète et géorgienne, ces événements marquent un changement important dans les relations internationales de ces dernières années.
Depuis la chute du mur et la fin de l’Empire soviétique, les Etats-Unis demeuraient comme la seule "super-puissance". Conscients de cette force et profitant de l’affaiblissement économique et politique de la Russie, ils se sont peu à peu détachés des contraintes du droit international, et plus particulièrement de l’ONU.
Le paroxysme a été atteint avec l’intervention unilatérale en Irak, où chaque contingent étranger - on l’oublie déjà - avait été durement obtenu au prix d’une tournée mondiale de Georges Bush. Que dire des Américains donnant aux Russes des leçons de "respect de l’intégrité territoriale de pays souverains" ? Entre Guantanamo, les transferts de prisonniers pour interrogatoires dans des pays où sont pratiquées la torture et les exactions des compagnies privées de sécurité en Irak, les Etats-Unis sont bien mal placés en ce moment pour dispenser leurs conseils.
Cet unilatéralisme, où les bons sentiments et les règles du droit international ne valent que lorsque les autres y sont soumis, a en tout cas pris un coup d’arrêt avec la Russie. Le bombardement de soldats russes dans leurs casernes par les forces géorgiennes en Ossétie du Sud en a sonné le glas.
Et l’Union européenne dans son ensemble, au-delà des divergences historiques de certains de ses Etats membres avec la Russie, serait bien inspirée de voir dans ce retour de la Russie dans le concert des grandes puissances une occasion de promouvoir le multilatéralisme qu’elle appelle de ses vœux. Car qui dit multilatéralisme, dit contrepoids à la puissance américaine. Et aujourd’hui, le seul contrepoids qui existe, c’est la Russie.
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